LIMITES ET AVENIR D’UNE CRITIQUE DE L’ANTIJUDAÏSME CHRÉTIEN
Mémoires malheureuses
L’expression «
mémoires collectives plus ou moins malheureuses » (au pluriel dans l’article de
Blanchard cité
ci-dessus) désigne d’une part, en la minimisant, la mémoire – très malheureuse et à juste titre – des
juifs après la Shoah. Mais elle rappelle d’autre part à notre bon souvenir les martyrs chrétiens, tel
Étienne qui fut jugé par le Sanhédrin puis lapidé (l’incongru «
plus ou moins » apparaît plus normal, s’il fait référence à des martyrs si anciens !). L’expression s’applique également au cas de
Jésus lui-même car, dans l’article, elle est mise en rapport avec «
la responsabilité juive dans la mort de Jésus [qui]
sera tenue pour plus ou moins importante, selon qu’on établit comme historique ou non la modération affichée par le Pilate des Évangiles ». Elle vise donc implicitement, en le minimisant, lui aussi, le thème du « peuple déicide » chez les
Pères de l’Église.
Si j’ai raison, les phrases de
Blanchard («
La difficile question des relations entre juifs et chrétiens... De telles questions ne sauraient être tranchées... en fonction de mémoires collectives plus ou moins malheureuses ») sont un appel à la réconciliation et à l’oubli des « offenses » mutuelles. Son seul défaut serait de mettre sur un même plan la condamnation de
Jésus et les siècles de persécutions chrétiennes antijuives, et de faire ainsi l’économie d’une analyse de l’antijudaïsme (ou antisémitisme) chrétien. Ce serait une sorte de « paix des braves » conclue entre le
Vatican et
l’État d’Israël : le premier oublierait le « déicide » « commis » par le «
peuple juif », l’autre les racines historiques chrétiennes du génocide, et on n’en parlerait plus.
En s’en tenant à la responsabilité des
évangélistes,
Corpus Christi va-t-il dans le sens d’un tel « compromis historique » ? ou bien
Mordillat et
Prieur comptent-ils habilement sur les effets du temps et la logique des choses pour rendre possible, sans violer les consciences, une mise en question progressivement plus profonde ?
La conclusion d’un article paru dans
La Croix et signé « es qualité » par
Jean Dujardin – «
secrétaire du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme » – me fait pencher pour la deuxième hypothèse.