Analyse sémantique des récits :
La mise au tombeau de Jésus
Le tombeau
Suivons donc
Joseph nous conduisant au tombeau. Ici aussi, l’accord des textes est parfait sur l’essentiel : l’inhumation. Mais
Jean en précise le scénario d’une façon différente. Voilà son texte : «
Or, il y avait un jardin dans le lieu où Jésus avait été crucifié et, dans le jardin, un sépulcre nouveau, ou aucun cadavre n’avait été encore mis. Là donc, en raison de la parachève des juifs, puisque le tombeau était proche, fut mis Jésus » (
Jn 19:41-42).
Le tombeau dans le jardin ! Voilà la première différence. On retouche le décor, mais en réalité pour expliquer la signification christologique de la mise de
Jésus au tombeau, selon les Écritures. Ce jardin est sans doute en correspondance avec celui du commencement, où
Dieu avait mis l’homme pour vivre sa vie d’immortel (
Gn 2:8), mais il en fut chassé pour être envoyé sur la
terre, parce qu’il pêcha, devenant un être mortel. La
Septante traduit le mot hébreu de « jardin » (
ganah) par «
paradeisos ». Il était un jardin des immortels, donc un
paradis. Et puisque sur la
terre l’homme doit mourir, on pouvait bien affirmer que
la terre elle-même n’était qu’un tombeau, l’homme devant retourner dans la glaise d’où il avait été extrait (
Gn 3:19).
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre que, sur le chemin qui menait à l’ensevelissement de
Jésus, il y avait un jardin et, dans le jardin, un tombeau.
Le scénario des origines se reproduit mais, par le renversement de ses valeurs, l’enterrement de
Jésus devient l’événement qui reconduit virtuellement l’humanité à sa condition d’existence des origines. Un événement impensable se produit sur la
terre : la vie jaillit d’un tombeau. Celui-ci n’est plus un monument de ce qui fut, mais le débouché d’une source d’eau éternelle. Avant que tout s’accomplisse, l’existence humaine aura désormais pour symbole un tombeau dans un jardin ! Symbole de la
terre où l’homme avait été mis par
Dieu après son péché. Il y vit, certes, mais puisque cette vie est un chemin vers la mort, elle est une mort relativement à l’immortalité. Sur la
terre l’homme est comme dans un tombeau.
Et
Jésus, dans celui-ci ?
Jésus est l’image de l’homme qui vit sur
la terre, mais dans une perspective tout à fait différente. Car son tombeau est dans un jardin. Symbole du jardin des origines où, en tant qu’homme, il doit retourner, par sa résurrection. Aussitôt, les morts aussi, dans leur tombeau, sont dans l’attente de leur retour au jardin des origines, par la résurrection.
Dans les synoptiques,
Jésus n’est pas oint mais simplement roulé dans un suaire ; chez
Jean,
il est entouré de bandelettes.
Chez les premiers, on transporte le corps de
Jésus pour l’ensevelir, car on sait qu’il y a tout près de là un tombeau, qui a été creusé par
Joseph sur le rocher, non loin du lieu de la crucifixion, et on l’affirme comme une information certaine !
Au contraire, chez
Jean, le cortège funèbre a l’apparence d’une marche à la recherche d’un tombeau, trainant le corps de
Jésus pour l’ensevelir. Mais ce tombeau apparaît, miraculeusement, dans un jardin. Et c’est sérieux, tellement que ce jardin renvoie notre esprit au jardin des origines, où l’homme avait été mis par
Dieu pour y vivre éternellement. On peut bien penser que l’homme, dans son dernier regard sur le «
Jardin des immortels » voit un tombeau, le sien, celui qui l’attendait sur
la terre. Or cette image apparaît sur
la terre à celui qui conduisait
Jésus pour être enseveli ! Je crois qu’il ne serait pas trop téméraire de supposer que
l’auteur du récit a pensé ainsi. On peut supposer
qu’il croyait que le tombeau avait été fait par
Dieu et non par
Joseph, comme l’affirment les synoptiques. Les textes sont donc différents dans leurs sens théologique, même si, au niveau de leur narration épisodique, ils sont les mêmes.
Mais une question surgit à ce point : si nous restons au niveau anecdotique, les faits sont pour
les évangélistes réels et, disons, historiques.
Jésus a été enterré réellement dans un tombeau. Mais
les évangélistes donnent-ils un témoignage suffisant pour y croire ?
Ils le donnent, mais d’une façon différente. Dans un appendice, les synoptiques informent que les femmes de l’entourage de
Jésus (celles qui découvriront que le tombeau est vide), étaient là et ont suivi l’enterrement. Quant à
Jean, il en parle dans le chapitre suivant, à propos de
Marie de Magdala qui, pour
Luc, était la seule qui se soit rendue au tombeau et qui a été présente à la sépulture.