Critique référentielle :
Joseph d’Arimathée
Homme riche
Étrange personnage que celui de
Joseph. Tous les problèmes s’évanouissent à sa démarche et, son rôle accompli,
il disparaît comme au-delà de la vie et de la mort !
Les évangélistes n’avaient donc pas résolu leurs problèmes mais les avaient refoulés.
Malheureusement, ou heureusement pour nous, les problèmes émergent des textes aussitôt qu’on s’en approche par une lecture critique. Ils sortent un à un, successivement, sans relâche, comme une bande magique de la bouche ensorcelé d’un prestidigitateur. Car comment concevoir que
Joseph fut conseiller de ce tribunal qui avait condamné
Jésus et l’avait envoyé à la justice romaine pour le faire mettre à mort ? On peut supposer
qu’il se soit abstenu de voter pour sa condamnation, mais ici
il se révolte ouvertement contre le sanhédrin, se présentant comme un conseiller qui cherche à légitimer son opposition par l’autorité du
gouverneur romain.
Marc semble le supposer, car
il affirme que
Joseph avait «
osé » demander le corps à
Pilate (
Mc 15:43).
Matthieu ne reprend pas l’affirmation de
Marc, parce qu’il conditionne la concession du corps de
Jésus à un prix d’achat. Il lui suffit donc d’assurer le lecteur que
Joseph était un homme riche (
Mt 27:57), or à l’offre d’un grand riche, toute porte s’ouvre, même celle d’un tombeau.
Mais il convient de revenir sur cette affirmation de
Matthieu. Celui-ci, en effet, tient à mettre en évidence, peut-être plus que les autres, que sa narration procède sur le modèle des Écritures.
S’il fait donc de
Joseph un grand riche, c’est certes dans le but de donner une solution aux problèmes matériels de l’ensevelissement de
Jésus, mais aussi en référence à un thème trouvé dans les Écritures sur la mort du
Christ. Cette référence existe.
Rendons-nous au quatrième chant du «
Serviteur de l’Éternel », qui annonce sa souffrance comme une mort et aussi une résurrection (
Is 53), dont nous avons déjà parlé dans
la première partie de cette étude. Au sujet de cette mort, on lit : «
On lui a donné les méchants pour être son tombeau, les riches, sa mort, bien qu’il n’ait pas commis de violence » (
Is 53:9).
Cette traduction est légèrement travaillée. Dans le texte hébreu, il y a une équation de valeur entre «
méchants » et «
tombeau », «
riches » et «
mort », mais cette équation est dépourvue de la préposition qui en établit la nature. En traduisant en français cet énoncé tel qu’on le lit en hébreux, on devrait écrire : «
On lui a donné les méchants son tombeau, les riches sa mort ».
La
Septante exprime cette équation par la préposition «
anti » (à la place de ; comme ; pour) : «
On lui a donné tous les méchants pour son tombeau, tous les riches pour sa mort ». Cette traduction est suivie par la
Vulgate avec l’emploi de «
pro », correspondant à «
anti » en grec.
Les traductions modernes tergiversent : «
On a mis son sépulcre parmi les méchants, son tombeau avec les riches » (
Segond) : ou, dans la
Bible de Jérusalem : «
On lui a donné une sépulture avec les méchants et sa tombe est avec les riches ». Traductions imparfaites, dont le sens reste au niveau de la matérialité des faits.
J’estime par contre parfaites en grammaire et en syntaxe celles de la
Septante et de la
Vulgate : «
On lui a donné les méchants pour être son tombeau, les riches, sa mort ».
Il est opportun cependant de préciser les raisons qui nous obligent à ce sens. Dans la première partie de cette étude, j’ai tracé
une analyse du récit du «
Serviteur de l’Éternel », qui constitue le texte le plus important concernant le personnage prophétique sur le modèle duquel
Jésus a été considéré comme étant le
Christ.
Cette analyse m’a convaincu que ce «
Serviteur de l’Éternel » n’est pas une personne, mais le peuple de la
génération
d’Abraham, les
juifs, que
Dieu a choisi comme
son peuple et auquel
il confie la tâche d’annoncer sa souveraineté à toutes les nations du monde. Si
Dieu s’adresse à
lui comme à une personne, c’est
qu’il voit en
lui une personne, objet de son amour et de ses bénédictions. Évidemment, la bénédiction tourne à l’avantage des individus, comme l’action et le comportement de ceux-ci retombe sur le peuple, mais l’individu n’est pas le peuple. Ils sont en relation d’être et de vie, mais ils sont distincts.
Dieu bénit
le peuple parce qu’il a été élu, mais
il peut rejeter des individus qui s’aliènent de la bénédiction
qu’il a donnée au
peuple. D’ailleurs, pour le confirmer, il suffit de rappeler les paroles de
Dieu au
peuple : «
Et maintenant écoute, Jacob, mon serviteur, Israël, que j’ai choisi » (
Is 44:1).
Jacob répond : «
Il m’a dit, tu es mon serviteur, Israël » (
Is 49:3).
Or le processus historique de foi qui a conduit à reconnaître que le
Christ annoncé par les Écritures s’accomplit en
Jésus de
Nazareth s’appuie sur l’interprétation du
Serviteur comme d’une personne à venir et non comme d’un peuple existant historiquement. Il s’agit d’une interprétation qui n’est pas celle des
juifs, et qui amène les croyants à adhérer au credo d’une nouvelle religion.
Pour revenir à
Matthieu, il a repris du chant du
Serviteur le mot «
riche », non pas selon le sens qu’il a dans le récit, mais dans un but pratique, celui de permettre à
Joseph d’être en mesure de pouvoir payer la somme requise pour obtenir le corps de
Jésus.
Il ignore donc le sens que le mot possède dans le texte biblique, mais il
lui suffit de se l’approprier pour l’inscrire dans le contexte de son récit, qui se veut en correspondance avec les Écritures.
Mais une question se pose à ce moment : est-ce que
Jésus pouvait être mis dans un tombeau ? Certainement pas ! Étant un condamné à mort,
il ne pouvait qu’être enterré et en aucune façon être mis dans un tombeau. Dès lors, on doit conclure que les évangiles libèrent
Jésus de la peine qui lui revenait comme condamné «
au bois » : être enterré. Mais pourquoi ce privilège ? Parce que, étant le
Christ,
il doit ressusciter ! J’invite le lecteur à se résigner à ne pouvoir visiter le tombeau de
Jésus que par la lecture des évangiles !