ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


La crise galiléenne




La mise entre parenthèses du contexte et l’analyse du miracle :

Le miracle de la croissance de l’Église



Sommaire
Avertissement au lecteur

Mise entre parenthèses du contexte
- Introduction
- Le symposium du récit
- Les miracles du Christ
- Miracle de la croissance
  - Les rapports de nombres
  - Symbolique et sémantique
    des nombres
  - Le prodige dans les Actes
  - Bénédiction de Dieu et
    bénédiction du Christ

  - Les Douze, Cinq et Trois
  - Bénédiction eucharistique
- Miracle de la constitution
- Miracle du rassasiement
- Miracle de prédication
- Du miracle du Christ au
   miracle de Jésus
- Jésus accomplit un miracle
   du Christ

Mise entre parenthèses du miracle



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La bénédiction de Dieu à Abraham et la bénédiction du Christ


   Ce serait, à mon avis, une erreur que de croire ces nombres tout à fait symboliques et sans rapport aucun avec la réalité. Si le miracle est idéologique, c’est au niveau de l’interprétation et non du phénomène qui, lui, est supposé existant, au moins par hypothèse.
   Le fait donc que l’Église ait vu dans les nombres de trois et de cinq mille la marque d’un événement miraculeux, et qu’elle se soit appuyée sur celui-ci comme argument dans la polémique contre les juifs, montre qu’elle les a estimés comme des faits réels, d’autant plus que dans les Actes, comme dans le texte de Matthieu, ces nombres sont présentés comme approximatifs. Tout nous porte donc à affirmer que, ayant pris conscience des étapes de sa propre croissance, l’Église a cherché à les comprendre à la lumière de sa foi dans le messianisme de Jésus, précisément comme signes de l’activité que celui-ci exerçait dans le monde en tant que Christ et Seigneur. Mais pour qu’elle ait pu saisir ces signes, il fallait que cette croissance soit directement visée par des textes messianiques, et d’autre part que les deux nombres qui en ont marqué les étapes soient supposés par les mêmes Écritures comme indices de leur accomplissement. Seules ces deux conditions pouvaient lui permettre de croire que sa croissance était un miracle du Christ.

   En ce qui concerne les textes messianiques, mon attention portera successivement sur le cycle d’Abraham et sur celui de Moïse.
   Les premiers sont sans doute les plus fondamentaux idéologiquement. Ils prennent sens dans le cadre de la trichotomie : alliance, bénédiction et multiplication. Dieu veut établir une alliance perpétuelle avec Abraham et, dans ce but, il le « bénit ». La multiplication effective de la descendance d’Abraham apparaît à la fois comme l’effet et comme le signe visible de cette bénédiction. Pour reconnaître que leur origine en tant que peuple remonte à Yahvé, il suffit aux fils d’Abraham de regarder le processus historique de leur propre croissance.
   Ce cycle biblique recourt fréquemment au verbe « pletuno », au sens d’augmenter, de multiplier, d’accroître, un groupe en sorte de le transformer en « multitude ». Dans des passages de nature métaphorique et poétique, cette multitude apparaît ouverte vers l’infini, car elle est mise en relation avec les étoiles du ciel, le sable de la mer, la poussière de la terre. D’autres passages en mettent en relief le caractère social et national, s’agissant en effet d’une multitude de peuples et de nations. Un texte attire plus que les autres notre attention, à cause de son impact sur le Nouveau Testament : « Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai (eulogeso) : je rendrai ton nom grand et tu seras une source de bénédiction » (Gn 12:2). On soulignera la mise en relief de la bénédiction et aussi l’exaltation du nom de cette race devenue un « grand peuple ».
   Les textes du cycle de Moïse s’inscrivent dans le cadre de cette promesse, qu’ils supposent s’accomplissant dans la marche du peuple dans le désert vers la terre promise. Les fils d’Israël sont devenus un peuple, et il ne leur reste maintenant que de continuer à s’accroître afin de « remplir » la terre que Dieu leur a donnée (Ex 1:7). Il s’agit donc d’une croissance (aucsano) et d’une multiplication (plétuno) de caractère national et politique, jointe à la puissance et au pouvoir.
   Parmi les textes, je citerai aussi un passage du Deutéronome qui a marqué d’une façon déterminante le processus d’interprétation néotestamentaire : « Le Seigneur Dieu vous a multipliés (epituno), et vous êtes aujourd’hui aussi nombreux que les étoiles du ciel ; que le Seigneur (kurios) Dieu de vos pères vous augmente mille fois (prostheie umin os est Xiliosplasios) autant, et qu’il vous bénisse (eulogesai) comme il vous l’a promis » (Dt 1:10-11).
   Je soulignerai l’attribution de la croissance à l’action de Dieu, qui agit en qualité de Kurios. Les verbes qui désignent la croissance passent ainsi du mode intransitif au transitif : c’est Dieu qui augmente et multiplie. Enfin je mettrai en relief le rapport de cette multiplication, qui est de un par mille.

   Pour l’emploi que l’Église a fait de l’ensemble de ces promesses dans l’interprétation messianique de sa propre croissance, il suffit de nous rapporter au contexte du passage concernant le nombre de cinq mille. Il s’agit du deuxième discours où Pierre déclare que la guérison du boiteux s’est opérée « par le nom » de Jésus (Ac 3:16). Or ce discours finit par l’exhortation aux auditeurs de prendre conscience qu’ils sont les héritiers des promesses faites à Abraham : « Vous êtes les fils des prophètes et de l’alliance que Dieu a passée avec vos pères, en disant à Abraham : toutes les familles de la terre seront bénies en ta postérité » (Ac 3:25). Mais qui est cette postérité qui n’est plus objet mais sujet de cette bénédiction de Dieu à Abraham, de sorte qu’il la répand sur toutes les familles de la terre ? C’est Jésus-Christ : « c’est à vous, précisément, que Dieu, ayant suscité son serviteur, l’a envoyé pour vous faire bénir » (Ac 2:39).
   Il est opportun de nous arrêter sur cet énoncé, pour en mettre en évidence la densité du sens. Jésus est supposé être le « serviteur » de Dieu. Sans doute, sous ce titre, s’agit-il du Jésus historique, celui-là même que Pierre présente, dans le premier discours, comme l’homme que Dieu avait accrédité par des miracles et que les juifs avaient crucifié. Or ce serviteur a été « suscité » (anastasa) par Dieu. On notera l’ambiguïté de ce verbe, puisqu’il signifie à la fois susciter et ressusciter. Le premier sens se relie au passage messianique de Deutéronome 18:18 : « Je susciterai du milieu de leurs frères un prophète comme toi » : Dieu suscite le prophète dans la mesure où il le fait surgir. Le deuxième sens se rapporte à l’interprétation que l’Église donne à ce passage : Dieu a suscité ce prophète en « ressuscitant » son serviteur Jésus. Susciter, ressusciter : alternance polysémique, que l’Église transpose du niveau de la langue à celui de la parole, comme si Dieu avait prononcé un double discours dont le second, spirituel et prophétique, est caché dans la littéralité du premier.
   C’est dans la personnalité d’homme ressuscité que le serviteur est envoyé par Dieu pour « bénir » ses frères. Cette bénédiction lui revient en propre et exprime dans toute sa simplicité l’ensemble de son action christique. Elle reprend la bénédiction de Dieu à Abraham dans le cours de son histoire pour la mener à son accomplissement. Béni, le Christ est aussi bénissant, objet de bénédiction il en devient sujet.

   Se trouvant à la suite de ce discours, le nombre de cinq mille apparaît comme la conséquence de cette bénédiction messianique du Christ. Comme au temps de la promesse, au temps de l’accomplissement aussi, Dieu ne bénit que pour multiplier. Ainsi cette multiplication s’opère-t-elle selon ce qui avait été prophétisé, autrement dit par un rapport d’un par mille. Le nombre de cinq mille est l’accomplissement messianique de cette proportion : cinq par mille, c’est-à-dire cinq par Christ, dans la mesure où le nombre mille est le symbole de Xristos. Dans cette lecture aussi on retrouve le jeu d’un double sens, quoique non polysémique mais d’ambivalence, qui fut compris comme le croisement énigmatique de deux discours de Dieu.



1984




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ti13400 : 26/04/2017