ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris


La crise galiléenne




La mise entre parenthèses du contexte et l’analyse du miracle :

Le miracle de la croissance de l’Église



Sommaire
Avertissement au lecteur

Mise entre parenthèses du contexte
- Introduction
- Le symposium du récit
- Les miracles du Christ
- Miracle de la croissance
  - Les rapports de nombres
  - Symbolique et sémantique
    des nombres
  - Le prodige dans les Actes
  - Bénédiction de Dieu et
    bénédiction du Christ
  - Les Douze, Cinq et Trois
  - Bénédiction eucharistique
- Miracle de la constitution
- Miracle du rassasiement
- Miracle de prédication
- Du miracle du Christ au
   miracle de Jésus
- Jésus accomplit un miracle
   du Christ

Mise entre parenthèses du miracle



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Le prodige de croissance dans les Actes


   J’entrerai dans le domaine de la référence en commençant par les Actes. Quoique ceux-ci soient de nature épique, ils sont toutefois en relation avec l’histoire dans la mesure où le mythe, comme je l’ai dit à la suite de Vico, est « historique ». Il ne l’est bien sûr pas à la façon d’une historiographie, mais par la représentation sublimatrice et universalisante d’une conscience collective vivante. Tout en ne pouvant pas cerner les faits dans leur déroulement réel aussi bien chronologique que géographique, on peut cependant les percevoir dans l’impact qu’ils ont au niveau de cette conscience, qui est le sujet de l’histoire.
   Les Actes parlent donc de la naissance et du premier développement de l’Église, mais dans le contexte de l’épopée que les chrétiens eux-mêmes ont vécue et, dirai-je aussi, chantée par les hymnes, les prières et les actions de grâces de leur culte. Tout est rapporté, et la mémoire aussi, au vécu de la présence du Christ, qui est le héros principal de l’epos. Les autres personnages, tels Pierre et Jacques, Paul et Barnabas, ne sont que des figures secondaires qui agissent au nom et dans l’esprit du Christ. C’est dans cette optique que leurs exploits sont présentés comme des prodiges opérés par le Christ, quoiqu’il s’agisse d’actions humaines. Autrement dit, ils sont le support visible et historique de la personnalité invisible du héros, qui agit par leurs mains, parle par leur bouche, s’avance dans le monde par leurs pieds. « Si je vis – affirme Paul – ce n’est plus moi qui vis, mais c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2:20). C’est la thématique paulinienne qui, chez Luc, devient modèle de représentation.

   Il est opportun d’approfondir chez Luc l’action prodigieuse du Christ dans l’établissement de son Église. En dépit de leur multitude et de leur variété, on constate que les miracles s’inscrivent tous dans le cadre d’un événement de base, qui apparaît ainsi comme l’œuvre par excellence du Christ : c’est le développement de l’Église qui se poursuit à un double niveau, extérieur et géographique dans son expansion dans l’empire, intérieur par sa croissance. Cette œuvre prodigieuse apparaît cohérente non seulement avec l’argument du récit, mais aussi avec le rôle de la personne du Christ qui agit, comme nous l’avons dit, en qualité de « Seigneur ».
   Mais il y a plus. Luc le présuppose comme un héros venant, couvrant de sa puissance la marche de ses ministres et agissant afin que les hommes s’unissent autour de son Nom. Qu’on se rappelle la vision par laquelle Luc ouvre le récit des Actes (Ac 1:10). Deux hommes apparaissent aux disciples qui regardent le ciel où Jésus a disparu, leur enjoignant de ne pas rester figés mais de se préparer pour recevoir l’esprit du Christ afin de prêcher l’Évangile dans le monde. Ces deux hommes sont ceux-là mêmes qui, toujours selon Luc, apparaissent aux apôtres lors de la transfiguration (Lc 9:30), et aux femmes dans le sépulcre (Lc 24:4) : ce sont Moïse et Élie.
   Luc manifeste la raison profonde de la présence des deux prophètes dans les derniers actes de la vie de Jésus, lorsqu’il affirme qu’ « ils parlaient (avec Jésus) de son exode qu’il allait accomplir à Jérusalem » (Lc 9:31). Il s’agit, bien sûr, de la mort de Jésus, que Luc interprète à la lumière des récits de Moïse et d’Élie. Autrement dit, elle devient signe d’un événement qui couvre toute l’histoire, dans la mesure où elle représente l’exode de Jésus hors du monde où s’accomplissent la sortie de Moïse d’Égypte vers la terre promise, et l’enlèvement d’Élie au ciel.
   Le Christ est donc la personnalité de cette personne messianique dont Moïse et Élie étaient des préfigurations historiques. Mais cet accomplissement exige aussi que le Christ vienne du ciel, dans l’esprit d’Élie, pour prendre possession de la terre promise, d’où l’injonction faite aux apôtres par les deux hommes de se mettre en marche dans le monde pour prêcher l’Évangile et recevoir l’esprit du Christ. Mais être investis de cet esprit signifie se mettre à la disposition du Christ pour que, par eux, il prenne possession de son règne.
   Cet arrière-plan théologique confirme le caractère épique des Actes : dans la mesure où, au niveau de la foi, Jésus est le Christ qui accomplit les Écritures, il ne peut apparaître au niveau phénoménologique de sa représentation que comme un héros, agissant dans le cadre d’un contexte épique propre à la naissance d’un peuple et d’une nouvelle civilisation. Aussi ce qu’on nomme théologiquement « Église » n’est, phénoménologiquement, que la société qui naît de cette civilisation et qui est porteuse d’une nouvelle image d’homme.

   Luc porte sur la croissance de l’Église un regard des plus attentifs, puisqu’il la suit tout au long de l’histoire du récit, en prenant aussi soin d’en souligner les étapes, où le quantitatif semble impliquer aussi un changement qualitatif, l’augmentation prenant valeur d’événement.
   Je soulignerai avant tout les verbes par lesquels il exprime cette croissance. En premier lieu on trouve le verbe « ajouter » (prostitemi), dont le sens est une augmentation par addition et qui se placerait au niveau de la croissance quantitative (Ac 2:41 ; 5:14). Ensuite apparaît le verbe « multiplier », mais dans le sens de devenir multitude (pletinein) (Ac 6:1 ; 6:7 ; 9:31) ; ce verbe marque un saut qualitatif, dans la mesure où l’augmentation change la valeur de la multitude, qui n’est plus une somme d’individus mais une totalité spécifique, un peuple (plethos). Le troisième verbe est « surabonder » (perisseuein) (Ac 16:5), qui désigne une croissance en éclatement, en ce qu’elle déborde les limites géographiques et sociales où elle était contenue, pour se répandre au-delà. Le saut qualitatif est encore plus important, puisque la multitude d’hommes se transforme en multitude de communautés.

   Quant aux étapes, il y en a trois, et elles sont très rapprochées, dès la première période de la naissance de l’Église, marquant un processus de croissance de 120 à 3.000 et 5.000. Voici les textes :
- Ac 1:15 « Le nombre de personnes réunies était d’environ 120 »
- Ac 2:41 « Et en ce jour le nombre des disciples s’augmenta d’environ 3.000 âmes »
- Ac 4:4 « Et le nombre des hommes s’éleva à environ 5.000 ».
   On notera l’occurrence du mot « nombre » (aritmos), qui nous autorise à penser que l’auteur n’a pas le souci de nous rapporter la progression quantitative de la croissance, mais seulement les étapes qui sont devenues signifiantes grâce au symbolisme contenu dans leur nombre. On objectera que l’adverbe « environ », qui a dans le texte la même fréquence, semble ôter tout symbolisme, nous obligeant à approcher cette croissance comme un fait de chronique, mais il s’agit d’une précision qui relève moins de la chose que de l’auteur, qui s’efforce d’écrire en historien alors qu’il est un poète-théologien de l’histoire qui s’ignore.

   Examinons le rapport de multiplication de ces nombres. De l’aveu implicite du récit lui-même, le multiplicable de 120 est 12, puisque ce sont les douze apôtres qui constituent le noyau de base de l’ensemble des personnes représentées par ce nombre. Par contre le multiplicable de 3.000 et 5.000 demeure dans le non-dit du texte. Il reste toutefois cernable si on soumet les nombres à un processus de division décimale, qui aboutit en dernière analyse au chiffre 3 pour le premier, et 5 pour le second. Il s’agirait donc de trois lignes de multiplication, à partir de 12, 3 et 5 :
12 x 10 = 120
3 x 1.000 = 3.000
5 x 1.000 = 5.000
   Je traduirai ces expressions numériques du français au grec, dans le but de cerner leur champ possible de signification.
- La première expression s’écrit : « I B x I = R K ». Je noterai principalement le multiplicateur, en raison de la lettre « I », qui représente l’initiale du nom de Iesosus. Ainsi le rapport suggère-t-il une multiplication qui se fait par Jésus.
- La deuxième expression se traduit ainsi : « g x X’g ». Le multiplicateur est « X », « xiliades », qui est aussi l’initiale de Xristos : une multiplication opérée par le Christ. La lettre « g » suggère le mot « galilaioi ».
- La troisième expression est : « E x X = ’E ». Le multiplicateur est le même, Xiliades, autrement dit le Christ. La lettre « E », par contre, suggère le mot « Église ». Elle se trouverait ainsi, comme la lettre « g », au commencement et à la fin de l’expression, mais avec un changement de valeur.

   Pour nous rapporter aux chiffres qui composent chacune des multiplications, ils s’offrent comme des symboles d’un éventail de significations possibles, susceptibles de nous aider dans la recherche au niveau référentiel. En effet « 120 R K » peut signifier « rizo koinonias » (racine de la communauté) ou « Rabbi koinonias » (maître de la communauté) ; « 3000 ’g » Galiléens (Galilaioi tou Xristou) ; « 5.000 ’E » l’Église (les Églises de Christ).
   Ce champ sémantique est plus vaste que celui de notre récit. On peut cependant affirmer qu’il le recouvre, à la façon d’un schéma général. En effet, on y retouve la même bipolarité entre les nombres 12 et 5, comme aussi le même rapport de multiplication de 5 x 1.000. Ce qu’il possède en propre, c’est la multiplication de 3 x 1.000, qui cependant n’est pas tout à fait étrangère au premier car elle peut être ramenée au processus de la multiplication à partir de cinq : 5 x 600 = 3.000, or 600 s’écrit « X », lettre correspondant à Kiliades et à l’initiale de Xristos.

   La sémantique de ces nombres trouve confirmation dans un passage où Jésus-Christ est reconnu auteur de cette croissance de façon explicite et directe : « Et le Seigneur ajoutait chaque jour à la communauté ceux qui étaient sauvés » (Ac 2:47). On notera que le verbe « ajouter » (prostitemi) passe du mode intransitif au transitif, exprimant une action du Christ. Le rapport de multiplication contenu dans la sémantique des nombres s’explicite et devient acte d’augmentation. Le Christ, quant à lui, agit en qualité de Seigneur qui sauve. Pour peu qu’on situe les deux mots de « Kurios » et de « Soter » dans le cadre de l’idéologie du temps, axée sur le culte de l’empereur, on ne paut pas écarter l’hypothèse que cette action du Christ s’inscrit aussi dans une stratégie visant à conquérir l’oicumene romaine. Un Kurios-Sauveur ne peut avoir d’autre antithèse que César, auquel les titres de Seigneur et de Sauveur revenaient en propre.



1984




Retour à l'accueil Symbolique et sémantique des nombres Haut de page Bénédiction de Dieu à Abraham et bénédiction du Christ      écrire au webmestre

ti13300 : 26/04/2017