La crise galiléenne

La communauté des cinq mille et l’Église du Christ

   L’augmentation de 3.000 à 5.000 n’aurait apporté aucun changement substantiel à la communauté initiale, si elle n’avait pas été comprise par rapport à un taux de croissance qui en changeait aussi la qualité. En effet, il s’agissait d’un rapport de multiplication de mille par un, qui était signe à la fois de l’accomplissement des temps messianiques et d’une croissance portée à un développement maximal. Le groupe n’était plus une secte qui se proposait de conduire le peuple dans une perspective éthique et messianique qui lui était propre, mais l’expression d’une nouvelle génération qui prétendait accomplir la vocation du peuple. C’était la génération où la promesse de Dieu s’était accomplie.
   Cette prise de conscience mena aussi la nouvelle communauté à rompre avec le judaïsme, car face à elle celui-ci ne pouvait apparaître que comme le non-accompli, l’enfance vis-à-vis de la maturité, le signe et la figure face à la réalité. Peut-être les paroles de Jésus résonnèrent-elles aux oreilles des disciples : « il ne faut pas mettre du vin nouveau dans de vieilles outres » (Mt 9:17). Le jour nouveau pointait, celui du temps de l’accomplissement, et on devait repousser les ombres de la nuit. Comment continuer à vivre sous Moïse, alors que le Christ venait pour l’accomplissement du royaume ?
   Mais la rupture ne pouvait pas s’opérer sans une nouvelle structure. Tout en gardant le schéma idéal, on devait remplacer la loi par l’Évangile, la tradition par la prophétie, la Palestine par toutes les nations de la terre. Le peuple était nouveau, né non du sang et de la chair, mais d’une génération par l’Esprit ouverte à tous les hommes. On restaurait par ce peuple la prophétie, mais aussi la royauté, dont le Christ était le seigneur. Si, dans la communauté des 3.000, les croyants se sentaient obligés d’aller au temple, ici la communauté elle-même devenait le temple, en tant que « coinonie dans la fraction du pain ». Du sacrifice sanglant, on passait au sacrifice eucharistique, où le Christ se donnait en s’incarnant dans la communauté. Le symbole de la communauté devenait la table, toujours prête pour que le Christ puisse s’asseoir pour manger avec les hommes.

   Ce changement obligea aussi à une nouvelle structure. Dans la mesure où on ouvrait la relation fraternelle à tous les hommes, on ne pouvait plus se limiter au cercle des douze tribus d’Israël. Le nombre douze demeura, mais en tant que symbole d’ordre cosmique, personnifié par les apôtres qui ne demeuraient en relation avec les douze tribus d’Israël que comme un sens spirituel avec le sens charnel de la lettre.
   La conséquence ultime de ce nouveau sens fut aussi la transformation de la synagogue en église. Étant donné son universalité, la communauté ne pouvait être conçue que comme un rassemblement de tous les hommes autour d’une table, qui leur permette de se reconnaître comme des frères : appel au partage, au don de soi-même dans le don du Christ, union dans un instant qui devenait compréhensif du temps.
   Le nombre « E X » (5.000) devenait ainsi à la fois symbole et signification de cette communauté. Elle était « Ecclesia Xristos », Église du Christ, ce corps d’hommes où le Christ était la dynamique de croissance.