ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


La crise galiléenne




La mise entre parenthèses du contexte et l’analyse du miracle :

Le miracle de la constitution de l’Église



Sommaire
Avertissement au lecteur

Mise entre parenthèses du contexte
- Introduction
- Le symposium du récit
- Les miracles du Christ
- Miracle de la croissance
- Miracle de la constitution
  - Remarques exégétiques
  - Divisions par cent et
    cinquante

  - Les cent vingt
  - Les trois mille
  - Les cinq mille
  - Fraction du pain et étapes
    de croissance
- Miracle du rassasiement
- Miracle de prédication
- Du miracle du Christ au
   miracle de Jésus
- Jésus accomplit un miracle
   du Christ

Mise entre parenthèses du miracle

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Les cent vingt et la communauté des frères de Jésus


   Selon les Actes, le groupe de cent vingt était constitué par les apôtres, la mère et les frères de Jésus et « les femmes », sans doute celles qui avaient suivi Jésus de la Galilée à Jérusalem. Il s’agit donc de la communauté dans laquelle Jésus avait vécu, mais augmentée par l’adjonction de ses parents. La présence de ceux-ci n’est pas étonnante si nous nous rapportons au contexte de l’évangile de Luc, selon lequel les frères de Jésus, tout en n’étant pas associés à son ministère, partageaient les mêmes conditions d’existence puisqu’à Capharnaüm ils vivaient, semble-t-il, sous le même toit.
   Dans cette communauté, le fait nouveau est donc que les frères de Jésus s’unissent maintenant aux disciples pour constituer une confrérie. Leur union, cependant, ne semble pas avoir bousculé l’ordre hiérarchique du premier compagnonnage de Jésus, puisque les disciples – que l’auteur des Actes appelle par leurs noms – y jouent le rôle essentiel. Selon la perspective des Actes, le nombre cent vingt se laisse donc comprendre comme une multiplication de douze par dix, c’est-à-dire du nombre des apôtres par le nombre propre au nom de Jésus (I = 10).

   L’insertion des frères de Jésus dans la communauté des disciples fait au contraire problème si nous nous référons à l’évangile de Marc, où non seulement ils sont en marge de la prédication de l’Évangile, mais même opposés et en situation de rupture avec Jésus, qui vit à Capharnaüm dans la maison de Simon cependant qu’ils demeurent à Nazareth avec leur mère. Les retrouvant associés avec les disciples après la mort de Jésus, on doit conclure qu’il y a eu de leur part un changement d’attitude vis-à-vis de la personne et de la mission de leur frère, et qu’ils se sont aussi réconciliés avec les disciples. La communauté est donc nouvelle, résultant de l’union de deux groupes hétérogènes dont chacun possède une identité propre, et sans doute aussi des options différentes, quoiqu’inscrites dans la même perspective. D’où la nécessité de rechercher l’événement fondateur de cette union, comme aussi le caractère de la communauté qui en résulte.

   En ce qui concerne l’événement fondateur, celui-ci semble être la foi en la résurrection de Jésus. Dans l’évangile de Matthieu, on trouve que le ressuscité dit aux femmes qui s’étaient rendues au sépulcre : « Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront » (Mt 28:10). Qui sont ces frères ? Étant donné l’équivoque que ce mot engendre, puisqu’on peut aussi bien comprendre les frères charnels de Jésus que ses disciples, et que l’évangéliste ne montre aucun souci de l’éviter, il est logique de penser que ce message s’adressait aussi bien aux frères qu’aux disciples, dans la mesure où ils se trouvaient tous associés dans une communauté fraternelle. Les frères et les disciples pouvaient bien le « voir », dans la mesure où leur union faite en son nom devenait le signe de sa reconnaissance.
   À ce propos, je rappellerai que les récits des apparitions du ressuscité s’articulent tous suivant une intrigue de reconnaissance à partir d’une thématique de retour. Jésus revient chez les siens, mais à cause du changement qu’il a subi pendant la séparation il apparaît comme un étranger. Il n’est reconnu dans sa propre identité que par des signes de reconnaissance. Or l’analyse montre que ces signes coïncident tous avec des actes commémoratifs de la communauté elle-même, tels que la fraction du pain, ou des indices de mémorisation inscrits moins dans des souvenirs personnels que dans le cadre d’une célébration. Ainsi la reconnaissance elle-même ne se fonde-t-elle pas sur l’évidence d’une expérience, mais sur la foi à une parole dite. Nul doute que la communauté n’avait d’autre but que de témoigner de l’existence du ressuscité, en en devenant elle-même le lieu de reconnaissance.

   La nature de cette association n’était pas aléatoire, comme cela peut sembler dans le monde moderne où il n’y a pas de place pour l’homme ressuscité. Dans les temps anciens, la résurrection s’inscrivait dans le cadre des possibilités du système de représentation du monde. La personne ressuscitée était considérée comme un homme qui, tout en existant, demeurait inconnu puisque, par sa mort, il avait perdu son nom. Pour qu’il existe en droit, il fallait donc qu’il recouvre son nom et que des gens le nomment, d’où la nécessité de la constitution d’un milieu où son nom pouvait être prononcé comme celui d’une personne vivante, ce qui autorisait les autres à le considérer comme tel. Autrement dit, il fallait que tous ceux qui l’avaient connu avant sa mort se constituassent comme témoins de son existence : le sérieux de ce témoignage était garant de la réalité du fait, quel témoignage aurait été plus sérieux que celui d’hommes unis en communauté dans ce but ?
   Dans la culture juive, cette association est compréhensible par analogie avec le statut du lévirat, selon lequel les frères d’un défunt devaient empêcher l’extinction de son nom en prenant sa veuve pour épouse. Ici, les disciples doivent perpétuer le nom de Jésus en devenant témoins de son existence face à la loi et au monde. Que cette communauté primitive fut une sublimation du lévirat apparaît surtout par la présence en son sein des frères de Jésus qui, par droit naturel, étaient les personnes les plus autorisées à témoigner de l’identité de celui qui leur était apparu avec celui qui était mort, d’autant plus qu’ils s’étaient opposés aux disciples jusqu’à la rupture, lutte dont nous pouvons suivre les différentes phases dans les épîtres de Paul.

   Ce fondement nous permet de cerner la nature de cette communauté. Il s’agissait sans doute d’une confrérie qui unissait dans une forme supérieure et par une synthèse dialectique deux anciennes associations, dont l’une était familiale et l’autre amicale. Son caractère était à la fois religieux et cultuel, mais sans constituer encore une Église. En effet, ses membres participaient au culte commun dans le temple et demeuraient fidèles à la tradition du peuple. On peut l’assimiler à ces confréries qui se formaient autour de la parole d’un maître, afin d’en continuer l’enseignement.
   Ce qu’elle possédait en propre, c’était l’accent porté sur la « fraction du pain », mais celle-ci était moins un rite, qui aurait pu les opposer à la liturgie sacrificielle, qu’une pratique célébrative, dont la signification restait liée à un repas funèbre. Elle se rapportait à la mort du frère, mais en tant que motivation profonde d’une réconciliation entre les frères et les disciples, dans une fraternité qui allait au-delà de la chair et qui visait à réaliser le but du message de Jésus.
   En dépit de ces limites, il demeure que cette confrérie portait en germe l’Église future, aussi bien dans ses implications que dans ses contradictions latentes. En effet la croyance en la résurrection mettait les associés dans le sillage de la tradition christologique et eschatologique, cependant que la fraction du pain les rendait proches des sectes de mystères. De plus, le frère défunt leur laissait un patrimoine de logia, qui exigeait d’être constitué en corpus doctrinal.

   En raison de ces caractères, on peut affirmer que le nombre de cent vingt n’avait pas, à l’origine, le sens ecclésiologique et apostolique que lui donne Luc. Comme celui-ci n’est pas le créateur de ce nombre symbolique mais qu’il l’a reçu de la tradition, il est possible de le déchiffrer d’une façon différente et plus appropriée à la nature de la communauté que nous venons de découvrir.
   Trois hypothèses de lecture nous sont offertes :
Koinonia Mateton Iesous Nazoraoui (Confrérie des disciples de Jésus le nazaréen) :
K=20 + M=40 + I=10 + N=50 = 120
Koinoia ADElfon Iesous Nazoaiou (Confrérie des frères de Jésus le Nazaréen) :
K=20 + Ade=40 + I=10 + N=50 = 120
ADElfoi Rabbi Iesous (Les frères du maître Jésus) :
Ade=10 + R=100 + I=10 = 120
   Ces interprétations ont une valeur indicative, mais elles sont susceptibles de nous faire entrevoir une liaison étroite entre le symbolisme du nombre et la réalité, puisqu’elles ne se rapportent pas au phénomène de croissance de l’Église, qui serait propre à Luc, mais à l’essence originelle de la communauté.



1984




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ti14300 : 03/05/2017