ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


                              Auteurs Méthode Textes
  Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



Autobiographie








La grammaire latine


J’ai trouvé trois centimes

Appu incontrau tres arrialis



Nicolle et Arnauld : La logique ou l’art de penser, 1664 



EN SARDAIGNE :

Dans un jardin en Éden

La grammaire latine
- Le cadeau
- J’ai trouvé trois centimes

Iaiou

Œil de bœuf

De jardin en cimetière

Le sacrifice de ma mère

Enfant de chœur

Homo homini lupus

Revendication et pardon

La confession des péchés

Dans la contradiction
d’une crise


Le Père Olivi, à son retour


LE DÉPART



L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



............................................

près la mort de mon père, mon frère Efisio, en tant qu’aîné mâle de la famille, devait assumer la fonc­tion de père. Mais c’est trop dire, car il était fiancé à une femme qui n’était pas du tout acceptée par ma famille, et tout d’abord par mon père. J’avais su que mon père, quelques jours avant sa mort, l’avait giflé pour être resté lié à cette femme qui n’était pas à son gré. Je crois qu’Efisio en souffrait beaucoup, perdant ainsi son équilibre, son humour, sa sérénité, ce qui troublait la bonne entente commune. Je fais seule­ment allusion à une de mes réactions d’enfant à son égard, parce qu’elle a abouti à une compréhension ré­ciproque durable entre nous deux.
    Efisio travaillait alors dans le chemin de fer se­condaire, comme chauffeur. Le travail était fatigant et lourd, aussi pénible que salissant. Il s’agissait de nourrir de charbon la chaudière du train, afin qu’il roule. Par la suite il devint certes « conducteur », mais alors il s’agissait de la conduite du train. Quand Efisio rentrait à la maison, il était tout noir, comme une brique de charbon. Se laver était un pro­blème, et une tâche très complexe car il n’y avait pas de salle de bain dans la maison. Efisio ne pouvait se laver que dans la « vasca », le gros bassin rond entre la porte d’entrée du jardin et la cuisine, sous le grand amandier. Il fallait entourer le bassin de rideaux, chauf­fer beaucoup d’eau, dans des marmites de « pas­ta­sciutta », et la transporter ! Travail qui in­com­bait naturellement à ma mère et à Umbertine, ma sœur, le pivot de la famille.
    Cette fois-ci j’ai regardé attentivement toute la préparation, et comment Efisio, noir de charbon, al­lait se laver. Curiosité d’enfant ? Beaucoup plus com­plexe : je dirais aujourd’hui, plutôt envie de ta­quiner, de provoquer. Umbertine le sentait, car elle s’était approchée de moi pour me dire : « Ennio, vas-t-en, car tu pourrais déranger Efisio et le mettre en colère. Dans cet état, Efisio se comportera com­me un fou, il ne permettra pas que tu le provoques ». Je me suis retiré, mais avec le propos, précisément, de le provoquer. Je me disais : je le provoquerai jus­qu’à ce qu’il montre qu’il est fou, s’il l’est, ou qu’il ne joue plus au fou, s’il ne l’est pas !
    Aussitôt qu’Efisio rentre dans le bassin et que ma mère et ma sœur lui apportent de l’eau chaude, je l’appelle à haute voix : « Efisio ! Efisio ! » Brus­que­ment, il débouche des plis des rideaux en criant : « Qu’est-ce que tu veux ? » Et moi : « Appu incon­trau très arrialis ! » Mon frère, ne pouvant pas ne pas comprendre que je le provoquais, répond, en mar­quant la fin du jeu : « Mettili in culo ! », et il dis­paraît aussitôt dans les rideaux. Et moi, de nouveau, en chantonnant, « Appu incontrau très arrialis… Ap­pu incontrau… ». Subitement, un gros morceau de savon jaillit comme un éclair des rideaux dans ma direction. Je me déplace vivement et je l’évite, chan­ton­nant encore plus fort cette fois : « Appu incontrau tres arrialis… appu incontrau tres arrialis ! » Tout cou­vert de savon, Efisio sort et je cours pour lui échapper, mais il parvient à me saisir et, me serrant le cou, il crie : « Ou tu te tais, ou je t’étrangle. » Je pense qu’il est au comble de sa colère, mais qu’il n’est pas fou. Et je reprends ma chanson au fond de la gorge : « appu incontrau très arrialis ». Furieux, il me prend et monte dans la salle à manger, ouvre la fenêtre qui donne sur le jardin potager, quatre mètres au-dessous, et il me tient suspendu, au-dessus d’une vasque où coulait de l’eau. « Ou tu te tais, ou je te jet­te dans la vasque et je t’écrase ! » J’entendais l’eau couler et son bruit me paraissait pouvoir ac­com­pagner ma chansonnette, et j’ai repris en ca­den­çant ma voix : « Appu incontrau très arrialis… Appu incontrau très arrialis ». Me soulevant et me portant toujours pendu à ses mains, Efisio rentre et me jette comme un chiffon dans un coin de la salle, me di­sant : « Hai vinto ! » Et il retourne dans le bassin, pour se laver en paix cette fois ! Courbatu dans tous mes muscles, je me suis dit « Je l’ai échappé, belle ! Il n’est pas fou, mais, je l’ai peut-être mené au seuil de la folie, en comprenant à ce moment qu’il ne l’était pas ! » L’ombre d’un doute pesait cependant sur moi, car je me demandais « mais qui est le fou, lui ou moi ? »

    Par la suite, Efisio a été toujours gentil avec moi et, en nous rencontrant, nous avons toujours évité de rappeler ce fait qui, pourtant, était entré dans l’his­toire de la famille. Plus tard ces vers moqueurs sont sortis par inadvertance de ma bouche en sa présence, un an avant sa mort. Étant venu à Cagliari de Rome pour mes vacances, je lui ai rendu visite. Sa femme était morte depuis un ou deux ans. J’avais été éton­né de constater qu’il avait gardé la maison comme elle l’avait laissée. Il fut d’une gentillesse exquise, et me manifesta sa solidarité pour la lutte que j’avais me­née à Rome pour sauver les Juifs de la persécution du Nazisme. Enfin, il m’avait offert un repas, com­me lui seul savait les préparer.
    Mais, je ne sais pas pourquoi, l’ancien refrain ré­son­na sur mes lèvres : « Appu incontrau tres arria­lis ». Efisio fond en larmes ! « Efisio, pourquoi pleu­res-tu ? C’est moi qui t’avais provoqué ! » « C’est vrai, tu as agi avec une insolence indicible, mais tu m’as empêché de sombrer dans la dépression à un des moments les plus tourmentés de mon existence. Tu m’as sauvé de la folie au moment où tu me pous­sais à te jeter par la fenêtre. » Et il a ajouté, en riant cette fois : « tu ne pouvais accomplir cette œuvre d’an­ge qu’en jouant au diable ! »
    J’ai ri alors à mon tour, en affirmant : « C’est avec raison que maman dit que je suis " un tizzone d’inferno " ! » (un tison d’enfer).




Rédigé de 2009 à 2012




Retour à l’accueil La grammaire latine Retour à la table des chapîtres Iaiou

t502200 : 03/03/2015