ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


                              Auteurs Méthode Textes
  Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



Autobiographie








Le Père Olivi, à son retour


Nicolle et Arnauld : La logique ou l’art de penser, 1664 



EN SARDAIGNE :

Dans un jardin en Éden

La grammaire latine

Iaiou

Œil de bœuf

De jardin en cimetière

Le sacrifice de ma mère

Enfant de chœur

Homo homini lupus

Revendication et pardon

La confession des péchés

Dans la contradiction
d’une crise


Le Père Olivi, à son retour


LE DÉPART



L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



............................................

près quelque jours, je vais au couvent et je trouve le Père Olivi qui me dit : « Tu iras au collège en no­vem­bre et tu pourras devenir un dominicain, comme tu l’as souhaité : amène donc moi chez ta mère. »

    Quand il arrive à la maison, Maman reçoit le Père Olivi avec gentillesse. Le Père lui dit : « Madame, j’ai pu parvenir à une conclusion positive de mes démarches : votre fils pourra poursuivre les années de gymnase au collège d’Arezzo et parvenir, s’il est fidèle à sa vocation, à entrer comme novice dans l’Ordre dominicain ».
    Ma Mère le remercie pour tout ce qu’il a fait pour moi, mais elle ajoute : « Mon père, je regrette ce­pen­dant de vous dire que je n’envoie pas Ennio au collège. » « Mais pourquoi, Madame ! Vous refusez, alors que votre fils a tout fait pour y aller ? » « C’est que mon fils est un tison d’enfer » (Un tizzone d’inferno). Le Père Olivi sourit, pensant que ma mère plaisantait, mais moi j’avais bien compris qu’elle le disait sérieusement. N’ayant vu aucun si­gne qui lui aurait garanti cette vocation, et trouvant au contraire en moi des indices qui la reniaient, elle ne pouvait, en conscience, me laisser partir.
    J’interviens alors brusquement, répondant à ma­man à la place du père Olivi : « Maman ! Tu me con­sidères comme un tison d’enfer, et comme un tison d’enfer je te réponds : moi j’y vais ! » (E pur io ci va­do). Le dialogue entre maman et moi se pro­lon­ge brièvement dans une opposition radicale. Ma mè­re répond : « Tu ne pourras pas y aller, parce que je ne te donnerai pas d’argent pour le trousseau ». « Après l’école, j’aurai trois mois libres, maman, je chercherai du travail, je gagnerai un peu d’argent que je donnerai à tante Erneste, pour le préparer. »
    Le père Olivi intervient : « Je suis étonné, mais je ne veux pas intervenir dans votre querelle et, comp­tant sur votre accord, j’attend une solution positive du problème. Merci beaucoup, Madame, de votre ac­cueil. » Je me secoue, et je m’apprête à accom­pa­gner le Père Olivi qui refuse en me disant : « Je con­nais la route. Reste avec ta maman et cherche à lui donner un des signes, par lesquels Dieu t’a appe­lé. » Et il s’en va.

    Le père Olivi parti, j’ai réfléchi sur les deux pro­blè­mes qui agitaient mon esprit et me troublaient : le refus de Maman de me laisser partir, et mon re­vi­re­ment, décidant d’y aller alors que j’estimais que c’é­tait une grave erreur. Je savais ce que maman pen­sait de moi, sans pour autant saisir toutes les raisons de son opposition à mon égard. Comme je l’ai déjà dit quelque part dans ces notes, maman avait été frap­pée par les hallucinations de ma maladie d’en­fan­ce, parce qu’elle les croyait d’origine diabolique. Elle ne supposait pas que j’avais été possédé par le diable, mais subjugué par lui pour être au service du mensonge. Elle s’était convaincue par suggestion que mon comportement était diabolique, et en en étant convaincue, chacune de mes affirmations pou­vait être transformée en mensonge diabolique. Mais cherchons à regarder de près quelques faits.

    Commençons par mon opposition à l’égard de la prière du rosaire que la famille, lors de la maladie de mon père, récitait pour demander à Dieu sa guéri­son. Selon les docteurs, la maladie était désormais in­guérissable et le conduisait inéluctablement à la mort, et on récitait le rosaire pour l’accomplissement d’un miracle. J’avais alors huit ans et je m’opposais ouvertement à ce rosaire. Je disais qu’il était inutile et même dérisoire devant Dieu car, si papa était at­teint par une maladie mortelle, on devait supposer que Dieu avait décrétée sa mort. Le rosaire était donc inutile et même ridicule, car si Dieu avait éta­bli qu’il devait mourir, il mourrait et il ne fallait pas l’importuner pour qu’il change de décision, comme nous avons l’habitude de faire entre nous.
    Effectivement, je parvenais à empêcher la récita­tion du rosaire d’une façon violente, en lançant des coussins au milieu des ceux qui étaient en prière. Je les empêchais donc de prier et d’espérer que mon père pourrait être guéri par la prière. Évidemment, dans le contexte de la foi commune à toute la fa­mil­le, mon opposition ne pouvait être considérée que comme diabolique. Au point que, plus tard, j’ai en­ten­du une de mes tantes affirmer que mon père était mort, parce que j’avais empêché de réciter le ro­sai­re ! J’étais diabolique, peut-être, mais pour moi mon opposition était fondée sur la raison.

    Un autre fait encore : l’extrême-onction du grand-père. J’avais dit à Maman que Iaiou m’avait avoué avoir reçu l’extrême-onction parce que les femmes qui étaient venues lui rendre visite l’avaient forte­ment désiré. Il m’avait précisé qu’il n’aurait pas pu re­fuser d’accomplir un désir exprimé par des fem­mes ! Pour ma mère, cette affirmation ne pouvait être que mensongère et folle, et elle m’obligea à ne pas la répéter et à me taire.

    Une autre fois je lui avais dit que le docteur de la maison m’avait confié avoir beaucoup fait pour moi dans mon enfance mais, en ce qui concerne mon grand-père, il avait cru nécessaire, sans m’en dire la raison pour autant, de l’envoyer par une simple pi­qure au Père Éternel qui l’avait créé. Pour maman cette affirmation était un mensonge absurde, hon­teux et diabolique, et elle m’obligea à me taire.

    Elle confirmait que j’étais un tison d’enfer parce que ces mensonges ne pouvaient venir que du dia­ble, dont j’étais un instrument. Et cependant il n’y avait pas de mensonge dans mes affirmations. Heu­reusement que je ne lui avais pas dit que le docteur m’avait aussi prié d’enterrer dans le jardin une bête, objet de ses expériences, alors que cette bête était un bébé ! Sans doute que maman n’y aurait pas cru, con­vaincue que cela aussi n’était qu’un mensonge. On comprend que pour elle son enfant ne pouvait di­re ces mensonges, qu’en étant inconsciemment sous l’emprise du Diable. Cela a dû être très douloureux pour elle, mais ce fut aussi angoissant pour moi !
    Condamnerai-je maman ? Non, je constatais qu’elle était dans l’erreur, et que j’étais dans l’im­pos­sibilité de la convaincre du contraire. Elle a chan­gé d’opinion à mon égard une fois que je suis devenu dominicain, mais trop tard pour pouvoir ou­bli­er les accusations de mensonges de mon ado­les­cence. Mais j’avoue que, si elle avait vécu, elle au­rait trouvé dans ma laïcisation la preuve de ma dia­bolisation.

    Revenons à mon départ. Je dirai que le fait que le Père Olivi ait trouvé une personne qui s’engageait à payer mes études au collège m’était apparu comme un événement qui venait du ciel. J’ai pris acte que mon bienfaiteur s’était engagé à payer mon séjour au collège en vue de ma vocation religieuse, sans être cependant sûr de ma réussite ni de ma fidélité. Cette constatation m’avait soulagé, me permettant de sortir de la contradiction dans laquelle j’étais pris entre la fidélité à cette vocation et l’accomplis­se­ment de mes études. D’ailleurs, le collège lui-mê­me ne pouvait le garantir. Dès lors, je me sentais tout à fait libre pour m’engager au départ sans aucun com­plexe.




Rédigé de 2009 à 2012




Retour à l’accueil Dans la contradiction d’une crise Retour à la table des chapîtres Rêves et intuitions

t502710 : 10/12/2020