ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisAutobiographie |
La grammaire latineLe cadeau |
EN SARDAIGNE :Dans un jardin en ÉdenLa grammaire latine - Le cadeau - J’ai trouvé trois centimes Iaiou Œil de bœuf De jardin en cimetière Le sacrifice de ma mère Enfant de chœur Homo homini lupus Revendication et pardon La confession des péchés Dans la contradiction d’une crise Le Père Olivi, à son retour LE DÉPARTL’ITALIEPUIS LA FRANCE............................................ |
près la mort de mon père, je suis allé à l’Église de Saint Dominique, très proche de la maison mais que je ne connaissais que par le son de ses cloches. Y étant allé pour rencontrer quelque enfant de chœur, je me dirigeais vers la sacristie. Il n’y avait personne. La salle était grande, entourée partout d’armoires sculptées, si belles qu’elles me ravissaient. Un père dominicain entre, tout de blanc vêtu, et s’approche de moi. « Tu es nouveau, n’est-ce pas ? » « Oui. » « Je ne peux donc pas t’inviter à me servir la Messe. Ce sera pour une autre fois, j’en suis sûr, n’est-pas ? Comment t’appelles-tu, mon enfant ? » Je lui réponds avec une certaine fierté : « nEnio Floris » « Floris ! » répète-t-il, en réfléchissant. Puis, scandant les mots comme s’il récitait un vers : « Flores apparuerunt in terra nostra », dit-il. « C’est beau ! J’aime beaucoup ce que vous dites. » « Comment peux-tu affirmer que c’est beau, quand tu n’as rien compris ? » « Mais… j’ai compris, père ! » « Mon enfant, ne dis pas de mensonges si évidents ! Tu ne peux pas avoir compris, puisque tu ignores le latin ! Ne sais-tu pas que je viens d’énoncer une parole des Écritures et en latin ? ». « Oui, je l’ai imaginé... C’est vrai, je ne connais pas le latin, mais cette fois, je l’ai compris ! » « Qu’as-tu compris ? » « Que les fleurs sont apparues sur notre terre. » Confus, il dit en se parlant à lui-même : « C’est étonnant ! Comment le sait-il ? Je vois, tu viens du latin par ta naissance ! Alors, il ne me reste qu’à te faire cadeau d’une grammaire latine ! Ciao, on se reverra ». Et il me quitte pour se préparer à célébrer la messe, pendant qu’un garçon s’approche de lui pour la servir. J’ai reçu la grammaire quelques semaines après et je l’ai gardée plutôt comme un trésor que comme un livre. Et puisque je faisais les courses pour la maison, je l’emportais avec moi, la serrant sous mon bras gauche. Évidemment, les gens s’étonnaient, ne pouvant pas comprendre quel livre je pouvais serrer si fortement sous mon bras. On me le demandait souvent, et je répondais différemment selon la situation du moment. Trois garçons, un jour, m’ont posé la question par provocation. « C’est un livre qui ne vous concerne pas », ai-je répondu. « Et comment sais-tu qu’il ne nous concerne pas ? », me répond l’un d’eux en s’approchant rapidement de moi pour me l’arracher. « Le livre nous donnera la réponse », disait-il. Je l’évite et, rapidement, je décide de m’échapper, en traçant un plan de fuite inspiré des Horaces et des Curiaces que j’avais étudiés à l'école : J’aurais couru à grande vitesse, en sorte que l’un d’eux, en me poursuivant, se serait détaché des autres ; je me serais alors brusquement arrêté devant lui pour lui donner un coup de coude et le terrasser ; reprenant ma course, j’aurais eu le temps d’arriver à la maison pendant que les autres se seraient arrêtés pour aider leur camarade à se remettre sur ses pieds. Je me lance donc, mais la course n’a pas tout à fait fini comme je l’avais prévu. Car aussitôt arrêté devant le premier venu, j’ai tendu le bras droit pour lui donner un coup, mais je l’ai raté, et alors le bras gauche s’est ouvert, laissant tomber la grammaire par terre. Elle gisait sans s’ouvrir, montrant sur la couverture le titre « Grammatica latina ». Le garçon en fut étonné et, doucement, sans aucun ressentiment, me demanda : « Tu étudies le latin ? » Et moi lâchement, mais plutôt pour démontrer que je n’avais pas peur : « Je ne suis pas comme toi, comme tu vois ». Les autres arrivent : « arrête-le pour qu’on lui prenne le livre », mais il répond en leur montrant du doigt la grammaire encore étendue par terre : « Ce n’est pas nécessaire, le livre lui-même vous le dira. » Les autres regardent : « Nous n’avons rien à foutre d’une grammaire latine », dit un des gars. Mais le premier, craignant une réaction de leur part, dit « Allons-nous en alors, car nous n’avons pas envie d’apprendre le latin ». Et ils s’en vont, déçus, en silence. Je suis arrivé à la maison comme un rescapé, vivement étonné du comportement imprévu de ces garçons libérés de tout esprit d’agression. J’étais heureux de ne pas avoir perdu la grammaire, mais très fortement humilié par mon comportement. Et je me disais : « Crétin ! Porter avec soi une grammaire sans l’ouvrir, comme un objet précieux, et sans aucun souci d’apprendre le latin qu’elle enseigne. C’est honteux ! Ces garçons méritent autant de louanges que moi de mépris ! Pour mon comportement, j’aurais mérité de recevoir un coup de pied au cul. » J’ai donc pris la décision de sortir de cette inconscience et d’avoir le courage d’ouvrir la grammaire. Si je suis né dans le latin, je dois chercher aussi à vivre dans le latin. J’avais eu aussi le sentiment qu’un miracle s’était accompli pour faire sortir mon esprit de son engourdissement. Arrivé à la maison, j’ai donc ouvert la grammaire et j’ai commencé à la lire lentement, en cherchant tout d’abord à la comprendre, puis à retenir par cœur ce que je lisais. Dès les premières paroles d’introduction, j’ai compris qu’en latin l’article est remplacé par la déclinaison. Je me suis donc mis à lire et apprendre par cœur ce que je lisais. Dans la première déclinaison : Rosa, la rose ; rosae, de la rose ; rosae, à la rose ; rosa, ô rose ; rosam, la rose. C’était simple, il ne me restait plus qu’à apprendre ! Je lisais et je fermais tout de suite les yeux pour fixer dans ma mémoire ce que j’avais lu, au singulier comme au pluriel. Heureux, je vais au jardin tout près d’un rosier, couvert de roses ouvertes comme riant au vert de ses branches sur ma naïveté. Je cueille une rose et je dis : la rose. J’arrache un pétale, le serrant entre mes doigts et je dis : de la rose. Je soulève enfin une rose et je dis rosam, à l’accusatif. Et ainsi de suite, jusqu’à l’ablatif, rosa. Je ne fais rien d’autre que décliner le mot pour en mieux saisir le sens. En le déclinant, le mot change dans sa terminaison, qui joue le rôle d’article : Ros-a, la rose ; ros-ae, de la rose ; ros-am, la rose ; ros-arum, des roses ; ros-is, aux roses, etc. Le mot garde donc toujours le même sens, mais son articulation syllabique peut avoir aussi un autre sens. Au bout d’un mois d’études, j'arrivais à la troisième déclinaison, qui change de mot : flos, floris, etc. Je commence donc : flos, floris… Je m’arrête brusquement en me disant : floris signifie : « de la fleur », mais Floris, c’est moi ! Le père Zappulla a raison, je viens du latin ! Je suis Ennio… Floris. Je n’ai pas besoin d’aller dans le jardin pour chercher un rosier : mon nom désignant les fleurs, il oblige à penser que ma génération vient des fleurs. Arrivé à la cinquième déclinaison, j’osais dire un jour au père Zappulla « Je sais le latin, père ! » Avec un certain humour, il répondit « Oui, au moins assez pour pouvoir aller au collège, peut-être dans la province de Rome. J’en ai parlé avec le père Olivi. » Plus précisément, je suis né dans un jardin au mois d’avril, au printemps, à l’éclosion des fleurs. Dans mon jardin, on trouvait toujours du vanillier, du jasmin, des violettes, des lys et des rosiers. Et des chrysanthèmes, pour les morts. Ma génération a pris son nom de la fleur, au temps où la langue était encore liée au latin. Et je peux bien rattacher le sens de son existence dans le monde au vers du >Cantique des Cantiques : « Flores apparuerunt in terra nostra » (Ct 2:12). |
t502100 : 26/11/2020