ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








Revendication et pardon


P. Danet : Magnum dictionarium latinum et gallicum, MDXCI 



EN SARDAIGNE :

Dans un jardin en Éden

La grammaire latine

Iaiou

Œil de bœuf

De jardin en cimetière

Le sacrifice de ma mère

Enfant de chœur

Homo homini lupus

Revendication et pardon

La confession des péchés

Dans la contradiction
d’une crise


Le Père Olivi, à son retour


LE DÉPART



L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



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eprenons ce discours. Dans l’enfance j’étais donc convaincu que la « vengeance » était un acte néces­saire pour réagir aux torts reçus gratuitement du pro­chain. Sans ces réactions, je craignais de rester vic­time des agressions sans me protéger de la méchan­ceté des hommes.
    Je remarque par incidence que le mot « vengean­ce » n’est pas tout à fait exact, et que j’aurais dû dire « revendication », mais c’est ainsi que je le formu­lais dans mon enfance. La vengeance à laquelle je re­courrais alors avait pour but de conduire l’agres­seur à reconnaître le mal qu’il avait commis. Au fond, ce n’était pas, à proprement parler, une « ven­geance », mais un avertissement qui obligeait l’of­fen­seur à reconnaître le mal qu’il avait commis. Le mal qu’il recevait était en réparation de celui qu’il avait fait. Je mettais donc l’offenseur et moi-même dans un rapport d’égalité.

    Malgré cette motivation, beaucoup d’objections se posaient à l’encontre de cette affirmation.
    J’ai constaté d’abord que l’agression, au lieu de ré­parer, se redouble, et que si, maintenant, les deux ne s’agressent pas, ils sont l’un et l’autre en position d’attaque. Leur situation d’égalité est donc négative, fondée non sur le rapport d’une communion de vie, mais sur l’assurance d’une agression. Évidemment, il y a entre les deux une volonté de respecter la li­ber­té de l’autre, mais l’assurance est donnée par la for­ce, et donc par une volonté de violence. Chacun res­pec­te l’autre, mais comme des soldats d’armées op­po­sées, muets l’un en face de l’autre mais qui, par le langage du regard, se disent : « Quiconque dégaine­ra l’épée périra par l’épée. ».
    Or je me disais que la relation entre les hommes com­me frères doit être garantie par une communion de vie, et non par une menace. Dans une relation in­té­gralement libre et humaine entre deux hommes, ce­lui qui a été offensé ne doit pas oublier que l’of­fen­seur, malgré son acte de violence, demeure une personne humaine. Les deux personnes en conflit doi­vent chercher à parvenir à une relation positive de communications de vie.
    J’estimais que le pardon annoncé par Jésus par­vient à inscrire les relations entre les hommes dans cette communion de vie. Jésus a marqué la mort qu’on lui avait donnée par son pardon. Souvent le pardon peut venir d’une attitude de recul et d’un sen­ti­ment de peur, laissant l’agresseur dans la vio­len­ce, et l’offensé tout à fait victime de lui. Mora­le­ment, le pardon ne surgit pas d’un recul mais de la conviction que chacun doit se mettre en relation avec autrui dans une communication de vie, qui dé­bor­de les limites de son individualité. Le pardon n’est pas fruit d’une lassitude, mais du renoncement à soi-même ; non de la peur, mais d’une élévation de soi-même par amour, en sorte que l’agresseur de­vient son propre accusateur, du fait même que l’of­fensé ne l’accuse pas.

    J’avais compris tout cela à cet âge ? La réponse est affirmative, non certes parce que j’en avais fait une analyse critique, mais par une intuition pratique. Je l’avais déjà exprimé, mais peut-être pas d’une fa­çon exhaustive, en sorte qu’il convenait de la rendre plus claire et plus simple. J’avais bien compris qu’il fallait pardonner l’offense reçue, mais je me sentais si faible et démuni que j’avais besoin d’accomplir un acte qui m’eut mis debout, comme une personne, en face de l’offenseur. Mon acte de réponse avait ce but. En y renonçant, je serais resté écrasé.
    J’avais demandé conseil à tante Erneste, qui jouait à mon égard un rôle de directrice spirituelle. Puisque j’étais un enfant appelé par Dieu à être dominicain, elle m’avait conseillé de vivre comme tel. Je le pou­vais, puisque je voyais les dominicains tous les jours. Mais qu’aurais-je dû faire ? Il aurait été dif­ficile de le savoir et plus encore de le faire.
    Mais ce qui me conduisit à cette imitation fut plutôt le fait que je fréquentais déjà la vie du cou­vent, surtout par ma relation amicale avec frère Gi­ro­lamo, un frère convers. Or parmi toutes ses acti­vités, il y avait celle de la préparation des hosties pour la célébration des messes et la communion des fidèles.

    Évidemment, je ne recherchais pas ces hosties pour me nourrir, mais pour jouer. Les enfants cher­chaient à les manger « comme des anges », disait-ils, sans les mâcher. De cet emploi, l’idée me vint de créer un jeu, celui de l’hostie, qui impliquait la céré­monie de la messe, la communion, et aussi la prédi­cation. J’en étais passionné. Il y avait dans la maison un petit autel portatif, en bois rouge et à trois mar­ches, ayant aussi au milieu un tabernacle. Après l’avoir bien nettoyé, je l’avais peu à peu garni d’ar­ti­cles : des chandelles, un petit vase pour des fleurs, des images de la Vierge Marie et des Saints.
    Au premier jeu de messe, il y avait beaucoup d’en­fants des familles de notre rue, qui vinrent aussi par la suite. Ils étaient très heureux de pouvoir parti­ciper à la messe par jeu, puisque personne ne les amenait à l’écoute de la vraie dans l’église, ou puis­qu’ils ne voulaient pas y aller, parce qu’ils ne com­prenaient rien, la prenant plutôt comme un spectacle. Mais en la jouant, ils avaient conscience de la suivre dans ses différents moments, du Kyrie, du Gloria, du Credo, du Sanctus, enfin de participer à la commu­nion ! Je jouai longtemps au jeu de la messe, surtout le jeudi.

    Ainsi fus-je pour ainsi dire sauvé de l’acte de « ven­geance », vivant par jeu celui que je cherchais à devenir à la fin de mes études : un père domini­cain ! Naturellement, à la fin des écoles élémen­tai­res, mon jeu s’arrêta, puisque je me trouvais sur le chemin qui me conduisait à être effectivement un père dominicain et à célébrer vraiment la messe. Mais ce que lecteur parviendra à savoir, si j’ai le temps de poursuivre ces mémoires, c’est qu’un jour, en célébrant la messe, je me suis aperçu qu’elle n’est en elle-même qu’un jeu, et qu’en prenant conscience de ne pas pouvoir éviter de la jouer, je fus contraint de m’arrêter de la célébrer, mettant ainsi fin à mon ministère sacerdotal.




Rédigé de 2009 à 2012




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t502640 : 10/12/2020