ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisAutobiographie |
Le sacrifice de ma mère |
EN SARDAIGNE :Dans un jardin en ÉdenLa grammaire latine Iaiou Œil de bœuf De jardin en cimetière Le sacrifice de ma mère Enfant de chœur Homo homini lupus Revendication et pardon La confession des péchés Dans la contradiction d’une crise Le Père Olivi, à son retour LE DÉPARTL’ITALIEPUIS LA FRANCE............................................ |
’église de Saint Dominique devint le deuxième lieu de mon existence après le jardin. Il y avait du nouveau à apprendre : le catéchisme en vue de la première communion, l’acquisition des connaissances du service des Messes et d’autres fonctions cultuelles. Mais avant de parler de mes activités dans l’église, je voudrais rappeler un fait qui, tout en demeurant secret, a eu un impact dans mon existence. Je le décris tel qu’il ressort de ma mémoire. Je me vois dans l’église de Saint Dominique, amené par ma mère. On va directement dans la chapelle de la Vierge du Rosaire. Je m’assois sur un des premiers bancs, cependant que maman s’approche de l’autel, en haut duquel il y a la statue de la Vierge. Ma mère se lève de la balustrade de l’autel et va en arrière pour y retourner en se trainant sur le sol, qu’elle frôle de sa langue. En voyant cela, je me lève, me jetant par terre comme maman, pour la suivre en rasant moi aussi le sol avec la langue. J’en avais cependant horreur ! S’en étant aperçue, ma mère se lève et me reconduit sur le banc, pour finir seule son acte de sacrifice. Dans sa matérialité, cet acte conduit un homme à se présenter devant Dieu comme une bête qui ne peut regarder, respirer, bouger qu’en léchant de sa langue la poussière du sol. Plus tard, j’ai trouvé que cet acte était pratiqué par des croyants dans deux occasions : dans des conflits haineux et par inspiration religieuse. Dans des conflits haineux, un des adversaires parvenait à provoquer l’autre en lui disant qu’il pourrait le terrasser jusqu’à ce qu’il ne puisse marcher qu’en trainant sa langue par terre. Chez des fervents croyants, on parvenait à asservir ainsi son propre corps afin d’obtenir de Dieu, ou le pardon de ses péchés, ou une grâce exceptionnelle de bienfaisance. Cet outrage du corps humain prend une valeur de sacrifice. Laissons de côté toute critique à l’égard de cet acte monstrueux, pour nous demander pourquoi maman s’était-elle engagée à l’accomplir. On remarquera qu’elle n’était pas allée toute seule à l’église mais avec moi, non certes pour avoir une compagnie, mais parce que j’étais le but de ce sacrifice. S’il n’en avait pas été ainsi, elle n’aurait pas osé mettre son enfant devant une expérience, qui aurait été très éprouvante et dangereuse pour lui. Si elle m’avait amené, c’était que la « Grâce » qu’elle demandait à Dieu était pour moi. Cela apparaît d’ailleurs confirmé par mon état de santé dans mon enfance. J’en avais eu quelque connaissance par Umbertine, ma sœur ainée, mais aussi par des souvenirs qui ont résisté à l’oubli. J’avais été frappé par une maladie psychique, dont cependant je n’ai jamais connu le nom. Je me rappelle que j’avais été longtemps au lit, soumis à de fortes fièvres et à des troubles hallucinatoires. Je me trouvais engagé dans des luttes effrénées et épuisantes avec des diables rouges, qui prétendaient me prendre à leur service. J’en jetais beaucoup à terre, mais d’autres surgissaient de toutes parts pour remplir les vides dans leurs rangs. Par l’effort que cette lutte m’imposait et la prise de conscience de l’impossibilité d’abattre ces diables, je tombais dans un total épuisement, à la merci du délire. Je ne pouvais que crier, pleurer, angoissé de ne pas pouvoir échapper à cette lutte, qui rendait vaine toute résistance. Mes cris cependant révélaient en moi sinon une victoire, du moins une résistance qui me permettait de ne pas céder aux forces opposées. Je ne gagnais pas, mais je ne perdais pas non plus. J’ai guéri de cette maladie au seuil de mon adolescence sans plus subir l’épuisement des luttes avec les diables, jouissant d’une bonne santé me rendant apte à lutter avec les hommes. Mais une question se pose au sujet de ces hallucinations : comment la famille, ma mère, mes tantes les ont-elles jugées ? Ma mère a dû penser que j’avais été vraiment victime du diable, qui avait tenté de m’assujettir à son service. C’est pour cela qu’elle m’avait confié, sinon consacré, à la Sainte Vierge. Dans sa foi, elle pouvait espérer, car je n’avais pas été un véritable possédé par le Diable mais un enfant tenté, convoité par lui pour être à son service. Son affirmation que j’étais un « tison d’enfer », porté toujours à dire des mensonges, m’avait cependant convaincu que, pour elle, j’avais été victime du diable, dont quelque chose était resté en moi. D’où son refus de m’envoyer au collège parce que j’étais un « tison d’enfer ». Cette affirmation peut se comprendre au sens que, pour elle, malgré tout, j’avais été asservi au diable par un instinct de tentation au mensonge. J’étais comme un morceau de bois qui, jeté au feu brûlant, devient un tison ardent infernal. Comme nous avons vu, elle m’accusait en effet de mensonges inouïs, telle l’affirmation que Iaiou aurait accepté de recevoir l’extrême onction par courtoisie à l’égard des femmes, ou qu’il avait été tué par le docteur. Marque donc d’une influence satanique qui m’aurait rendu indigne de recevoir le ministère sacerdotal. Mes tantes, sœurs de papa, avaient la même opinion que maman. Je me rappelle en effet que, dans leurs récits religieux, le Diable était toujours présent comme tentateur, puissance de séduction. Tante Laurine, par exemple, était convaincue que j’avais été sinon habité, du moins séduit réellement par le Diable. D’ailleurs j’avais constaté qu’elle parlait toujours du Diable comme puissance du mal, autant que de Dieu comme puissance du bien. Quant à moi, ma compréhension de ma lutte avec les diables avait été tout à fait opposée à celles de ma mère et de mes tantes. J’étais convaincu que Dieu avait tenu compte de ce que j’avais lutté jusqu’au bout de mes possibilités et que donc je lui avais donné la preuve de ma fidélité. Je n’aurais pas pu comprendre que mes luttes venaient de complexes psychologiques, car j’étais trop jeune pour pouvoir le penser. J’étais convaincu qu’elles avaient été réelles, quoi qu’intérieures, mais que leur issue était tout à fait contraire à celle supposée par les tantes. Rien de diabolique en moi, puisque je m’étais opposé à leurs attaques, en sorte que l’accusation d’avoir dit des mensonges était fausse. Au contraire, dans ce contexte difficile de mon enfance, j’avais été sincère, même dans ces relations de faits monstrueux. Mais ma mère et mes tantes auraient pu répondre que j’avais moi-même affirmé avoir été tenté par les diables et avoir combattu contre eux, c’est vrai ! Mais pas au point d’avoir cédé à leur tentation, mais au contraire d’avoir lutté sans jamais perdre le combat. Mais ma mère et mes tantes ont ignoré que, après ma maladie j’ai attribué mes luttes avec les diables à des hallucinations. Elles ignoraient aussi que j’aurais pu affirmer que mes rêveries venaient de leurs convictions religieuses dont j’avais été influencé, j’y ai fait allusion au commencement de ce récit. D’ailleurs, je me rappelle aussi avoir vu pendu sur le mur un calendrier, celui de l’année en cours, qui portait au centre une image d’homme rouge dansant. En bas il y avait le bloc de feuilles détachables pour chaque jour de l’année. Or, avec étonnement, j’avais découvert après ma maladie que cette figure rouge de diable était la même que celle portée par les diables dans mes hallucinations. Je ne pourrais pas douter que ceux-ci étaient la reproduction du diable du calendrier. En conclusion, je dirai que j’avais cru aux luttes avec les diables lors de ma maladie, mais que plus tard j’avais estimé qu’elles étaient d’origine psychologique. Au contraire, maman et les tantes furent toujours convaincues que j’avais été séduit par les diables jusqu’à en être victime. La preuve de cette séduction aurait été donnée par des mensonges, par mon opposition aux prières pour la guérison de mon père, par la conviction que je n’avais pas été appelé par Dieu à la vie religieuse, mais plutôt tenté par le Diable de me servir de cette apparente vocation pour la renier. Mais une question ultime se pose encore. Puisque j’ai quitté la vie religieuse et poursuivi une critique contre la valeur métaphysique de la théologie, ma mère et mes tantes auraient elles eu raison ? Je pense que les lecteurs pourront trouver dans la suite de mes notes autobiographiques une réponse satisfaisante à cette interrogation. |
t502610 : 03/12/202015