ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








La confession des péchés


Lettere a Mons. Pietro Bembo, 1560 



EN SARDAIGNE :

Dans un jardin en Éden

La grammaire latine

Iaiou

Œil de bœuf

De jardin en cimetière

Le sacrifice de ma mère

Enfant de chœur

Homo homini lupus

Revendication et pardon

La confession des péchés

Dans la contradiction
d’une crise


Le Père Olivi, à son retour


LE DÉPART



L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



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’avais remarqué qu’on confessait les péchés de deux façons, soit par le « sacrement de la confession », soit par la messe lorsque, aux marches de l’hôtel, le célébrant et l’acolyte prononcent les paroles : « mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa ».
    Or, puisque j’avais appris que la messe accom­plis­sait le sacrifice du Christ pour la rémission des péchés, je pensais qu’elle les remettait, sans avoir besoin de recourir au sacrement de la confession. En d’autres termes, j’étais déjà convaincu que la con­fes­sion comme sacrement du pardon des péchés était sinon inutile, du moins superflue. J’avais donc con­clu que les péchés, étant confessés au commence­ment de la messe, étaient pardonnés dans son ac­com­plissement par le sacrifice eucharistique. Sa­chant cependant que je me posais un problème qui n’était pas de mon âge et pour lequel je n’avais aucune compétence, ni pour le résoudre, ni pour le poser, j’avais déterminé de ne plus y penser.
    Étrangement, cependant, je me sentais souvent pous­sé à jeter des regards sur les confessionnaux, comme si mon regard aurait pu m’offrir la solution au regard du pardon des péchés. Mais suivre du re­gard un confessionnal déterminé dans son activité pouvait amener des surprises.

    Je fus frappé en effet de constater qu’une femme y allait souvent, y restant longuement chaque fois. Je me demandais s’il s’agissait d’une pécheresse, car puis­que dans les confessionnaux on ne dit que des pé­chés commis, je pouvais bien conclure qu’elle avait commis beaucoup de péchés. Ma conclusion cependant me paraissait trop hâtive, car cela pouvait aussi signifier qu’elle ne parvenait pas à se repentir, ou qu’elle avait besoin d’être consolée dans son re­pentir.
    Un jour j’ai eu l’occasion de me trouver face à face avec cette femme. Elle m’apparaissait jeune et belle. Je lui dis : « Bonjour ! » Elle me répond dou­ce­ment : « Bonjour ! », et chacun poursuit son che­min. Je sentais cependant qu’elle m’avait touché.
    Un autre jour, en venant à Saint Dominique non pas de ma maison mais du centre de la ville, j’entrais dans l’église par sa seconde porte, celle du cloître. Or, à cet endroit, l’église était précédée par un petit jardin public, en sorte que j’ai dû tourner légèrement à droite pour prendre la direction de l’église. En tour­nant, je fus frappé de voir au rez-de-chaussée de la première maison une femme accoudée à la fe­nê­tre. C’était elle, la femme du confessionnal. Rien d’é­tonnant, dira-t-on ! Une femme pouvait bien ap­pa­raître accoudée à la fenêtre pour regarder la rue ou prendre une bouffée d’air.

    Mais selon la tradition italienne ou, peut-être, sar­de, les femmes étaient souvent accoudées à la fe­nê­tre pour : « far’ a l’amore ». La traduction littérale de cette expression en français n’aurait pas le même sens. Car en italien elle signifie la rencontre « d’a­moureux » déclarés et reconnus, n’ayant d’autre but qu’une conversation amicale. Cette rencontre ce­pen­dant ne pouvait pas se tenir dans une maison, mais au dehors, afin qu’elle ne puisse pas se transformer en relation sexuelle. Les amoureux respectaient ces canons posés par la société.
    Mais lorsque la femme habitait dans une maison qui donnait au rez-de-chaussée, on les trouvait ac­cou­dés à la même fenêtre, pouvant ainsi s’em­bras­ser, elle étant dedans, lui dehors. C’est cette si­tua­tion qu’on appelait « faire à l’amour » ! En s’em­bras­sant, ils ne pouvaient pas être accusés d’aller au-delà des limites de la morale, car lui restait au hors de la maison. « Combinazione » à l’italienne, dira-t-on ! Sans doute, mais l’exigence de la société était sauvée ! D’ailleurs les amoureux auraient aussi pu dire qu’ils se comportaient selon les lois de la natu­re, comme les oiseaux : la femelle dans le nid, pour couver ses oisillons, le mâle dehors, en apportant la pâtée !
    Pour information, j’ajouterai que si l’amoureuse ha­bitait dans un des étages supérieurs d’une maison, les deux ne pouvaient se parler que par le langage des signes. Dès lors, ils ne s’embrassaient qu’en lan­çant des baisers à vol d’oiseau !
    Nous les enfants, garçons et filles, nous étions fort tentés d’aller voir. Moi j’en avais été tellement pris que j’ai regardé longtemps, deux ou trois fois, un jeune homme et une fille qui se parlaient ainsi. Mon but cependant était plutôt d’apprendre le langage des mains que d’épier les amoureux... Et j’appris vite les signes, parvenant à pouvoir parler ainsi après quel­ques exercices. C’est ainsi qu’un jour j’ai parlé avec Efisio pour lui répéter par mes doigts ce qu’il disait par sa voix à sa fiancée : « T’amo tanto » ! Mon frè­re en avait été étonné, me disant : « Avec toi on ne peut pas garder en secret notre parole, même pas quand on fait à l’amour » (si fastiggia). J’aurais pu répondre que ce n’était pas moi qui dévoilais le se­cret de la parole, mais les amoureux eux-mêmes pour être passés du langage de la parole à celui des signes, or ce langage est visible par tous, comme par tous est audible la parole.

    Pour en revenir à moi, au moment où j’avais vu cette femme à la fenêtre, j’avais cherché à exploiter l’occasion jusqu’au bout, en marchant au-dessous de la fenêtre où la fille était accoudée !
    Or ce que j’attendais, arriva. Une voix m’appelle de la fenêtre : « Ennio, tu montes ? » « Oh ! Je suis pris. » Et je m’en vais en courant. Peu de temps après, je rencontre un de mes petits copains, qui me demande : « Connais-tu la femme du confession­nal ? » « Pourquoi me poses-tu cette question ? » « Par­ce que l’autre jour cette femme, me voyant pas­ser sous sa fenêtre, m’a invité, en me disant : " Tu montes ? " » « Et toi, qu’est-ce que tu lui as répon­du ? » « Que, malheureusement, je ne pouvais pas. » « Tu as bien fait, car c’est une " femme de mau­vaise vie " ». « Tu le crois ? » « Je le crains bien. Mais, ciao ! ».
    J’avoue que j’avais été sur le point de dire « c’est une putain », mais n’y croyant pas vraiment, et le mot « putain » (bagascia) étant vulgaire, je l’avais remplacé par « femme de mauvaise vie ».

    Le jour après, en rentrant à la maison de l’école, je trouve maman fortement irritée contre moi et hors d’elle-même. « Qu’est-ce que tu as fait ? Tu as ou­ver­te­ment affirmé que Madame X est une " bagas­cia " ! Au point que son mari est venu chez moi por­ter plainte, et exiger de toi une réparation sous pei­ne, si on ne la donne pas, de te dénoncer. Mais pourquoi ? Comment es-tu parvenu à cette diffama­tion publique ? ».
    J’ai raconté à maman comment les choses s’é­taient passées. J’ai ajouté aussi que mon jeune ami l’avait sans doute répété en famille et que d’autres en avaient profité pour divulguer la nouvelle. Sans doute des gens qui n’attendaient que ça ! J’ai mal agi, mais je ne suis pas responsable du scandale. « Tu n’es pas responsable ? Mais comment as-tu pu employer comme du pain ce mot scandaleux de " Ba­gascia "? » « Je ne l’ai pas créé, maman, ce mot, mais je l’ai appris ! » Et elle, pensive « Et par qui ? » « Je te le dirai, maman. La première fois par Iaiou quand, debout, les bras levés vers le ciel, il criait, en s’adressant sans doute à Jésus : " La ba­ga­scia qui ta nasciu !" (la pute qui t’a fait naître) » « Mais qu’est-ce-que tu dis, Ennio ? » Crie maman effrayée, et je continue : « La deuxième fois, par toi maman, quand tu m’as dit " Ne t’approches pas de cette " bagascia ". Or cette " bagascia " était la fem­me amie de ton frère ! »
    Maman couvre ses yeux de ses mains et pleure ! Moi je continue : « Si ces Messieurs veulent que j’ap­porte un remède à ce que j’ai dit, il faut qu’ils m’appellent et je leur dirai comme les choses se sont effectivement passées. » « Mais tu diras quoi ? » m’in­terrompt maman, encore en pleurs « Je leur dirai que je n’ai pas employé le mot " bagascia ", mais que j’ai seulement dit qu’elle était une " femme de mauvaise vie " ! ». Ma mère, en pleurant encore : « Y a-t-il une différence ? Tu pousses au mal et tu ne t’en aperçois pas… C’est signe que quelqu’un d’au­tre au-dedans de toi t’incite à agir ainsi. »




Rédigé de 2009 à 2012




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t502650 : 10/12/2020