ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








Homo homini lupus


P. Danet : Magnum dictionarium latinum et gallicum, MDXCI 



EN SARDAIGNE :

Dans un jardin en Éden

La grammaire latine

Iaiou

Œil de bœuf

De jardin en cimetière

Le sacrifice de ma mère

Enfant de chœur

Homo homini lupus

Revendication et pardon

La confession des péchés

Dans la contradiction
d’une crise


Le Père Olivi, à son retour


LE DÉPART



L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



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nfant, je n’aurais pas pu citer cette affirmation de Machiavel, mais elle exprime vraiment ce que j’ai appris alors à la suite de mes tentatives de com­portement fraternel vis-à-vis des autres.

    Un jour, on frappe à la porte. C’était un mendiant. D’habitude, dans ce cas, j’appelais maman et, si elle n’était pas là, je renvoyais le mendiant. Ce matin, ce­pendant, en vo­yant ce pauvre je fus ému, et dé­ci­dai de lui donner du café. J’ai pu le faire, car maman n’était pas dans la cuisine. Le pauvre en fut heureux, et moi vive­ment touché.
    Or le jour après, le même mendiant revient avec un autre. « Ohé ! lui ai-je dit, mais où crois-tu ve­nir ? » « Tu vois, mon garçon, lui aussi a faim. » « Mais ce n’est pas un bar, ici ! Tu comprends ? Je vous le donne cependant, mais ne revenez plus ». Je leur donne du café, et ils s’en vont, tout à fait satis­faits.
    Quelques jours après, ce sont quatre pauvres qui se présentent. « Êtes-vous fous ? » L’un d’eux, avec une prétention inouïe, me répond : « Nous n’avons pas de café, alors que tu en as : tu peux donc bien le partager avec nous. Pouvons-nous entrer avec toi dans la cuisine. ? » Et ils avancent. « Arrêtez-vous, sinon je lâche le chien ! » Il aboyait en effet féroce­ment. « On attend, on attend ! Mais laisse le chien en paix, nous ne sommes pas des voleurs ». Je les quitte, je cherche aux alentours un bâton, et je trouve une pioche. Je la prends et reviens vers les quatre hom­mes, la pioche brandie entre mes mains, en cri­ant : « Fuori, fuori di qui ». (Dehors, dehors d’ici). Pre­nant peur, ils s’en vont.
    J’ai fermé la porte, en jetant la pioche loin de moi, pensant : « Mes frères, frères ! Comme il est difficile de se convertir en frères ! » Et cependant j’avais mis toute ma bonne volonté. Mais je n’avais pas pensé que les mendiants, en constatant que j’avais reçu in­térieurement l’appel à leur donner du café, seraient inexorablement revenus.

    Peu de temps après un autre fait survint. Je fais mes courses dans la via San Giovanni, et je m’arrête à une boutique de fruits et légumes tenue par des siciliens, où j’allais souvent.
    Aussitôt entré, un des deux vendeurs me de­man­de : « En­nio, est-ce que tu nous aides à traîner ces sacs pour les remettre en place ? » « Oui. » On traî­ne les sacs pendant presqu’une heure. Après cela, tout souriant, l’un des deux m’offre cinq figues sè­ches : « Comme récompense ! » « Cinq figues pour une heure de travail ? » « Pour un " Sardegnolo " c’est plus que suffisant ! ». Or le mot « sardegnolo » était usité pour désigner les ânes sardes, non les hom­mes !
    En réponse à ce mépris qui ne touchait pas seule­ment ma personne mais tous les sardes, je crache sur les figues que je tenais dans ma main et les jette avec violence sur sa figure : « Mangiali-tu, randagio di siciliano ! » (Mange-les, toi, vagabond de Sici­lien). Et je m’enfuis. Tous les deux se lancent à ma pour­suite et ils parviennent à me rattraper, me jetant par terre et m’assommant de coups de pieds, comme un chien. Et ils s’en vont, en riant.
    Après m’être reposé étendu par terre, je me lève enfin, me disant : « Voilà mes nouveau frères : les siciliens ! ».
    Rentré chez moi, je n’ai rien dit à mamère ni à mes frères ! En nourrissant une vengeance, jusqu’à la mort s’il le fallait, je criais : « Me la pagherete car­ra, botoli ringhiosi ! » (Vous le paierez cher, chiens de requins ! ». Je ne pensais plus à autre cho­se qu’à trouver une occasion pour accomplir ma ven­geance. Mais j’étais fortement tourmenté : me ven­ger, alors que je disais m’être converti à la fra­ter­nité avec tous les hommes ? Mais d’autre part, com­ment considérer comme frères ceux qui considèrent les Sardes comme des ânes et, en plus, le disent ou­ver­tement ? Comment ne pas s’opposer, même avec violence, à celui qui te méprise, parce que tu es un Sarde ? À un Sicilien, de surcroit ? Je me dresse com­me vengeur de mon peuple en disant : « Non, il faut que je punisse ces salauds de Sici­liens ! »
    Toujours à la recherche de l’occasion propice pour ma vengeance, je découvre un jour qu’un de deux Siciliens passait par ma rue, pour retourner pro­bablement à sa maison, précisément à l’endroit où je pour­rais lui tendre un piège. En effet, notre salle à manger finissait par une terrasse, de laquelle je pourrais lui lancer quelque chose de très désagré­a­ble, sans être vu. Des pierres, par exemple !
    Il se posait pour moi un seul problème, celui de monter sur la terrasse, car il n’y avait pas d’escalier. Pour y aller, il fallait monter sur le toit de la cuisine, qui n’était pas trop élevé, et de là sauter sur la ter­ras­se, un demi-mètre plus haut. Il fallait trouver une échelle pour monter sur le toit de la cuisine. J’ai trou­vé cette échelle et j’ai fait des essais pour mon­ter. J’y monte donc vers le soir avec des pierres et j’attends le retour du Sicilien à sa maison. Mais com­me il tardait à venir, je me mis à penser à ce que j’allais faire précisément : lancer des pierres ! Et si je le blessais ou, pis, le tuais ? Je pensais qu’il mé­ri­tait sans doute d’être tué, pour le mépris qu’il avait pour les Sardes ! Non, je ne le tuerai pas, je me bor­nerai à lui donner une bonne leçon ! C’est l’heure d’arrêter, chiens des Siciliens, de nous traiter comme des chiens ! À ces mots, je remarquais que je me com­portais avec eux, de la même façon qu’eux à mon égard !
    Mais la nuit approchait et aucun Sicilien n’ap­pa­raissait. J’ai décidé d’attendre jusqu’à l’éclairage de la ville à la tombée de la nuit, mais personne ne pas­sa dans la rue. J’ai pris alors acte que Dieu ne le vou­lait pas ! Je me trouvais cependant comme si j’a­vais reçu une gifle, sans pouvoir ôter de mon visage l’empreinte de la main qui me l’avait donnée. On m’a renié comme personne humaine, m’obligeant à avoir conscience de ne pas être un homme ! Le sen­ti­ment de vengeance agitait mon esprit et, instinc­ti­vement, je cherchais à le justifier. Je trouvais qu’elle n’avait pour moi d’autre but que de racheter l’image d’homme qu’on nous avait enlevée, à moi et aux Sardes ! Le pardon des offenses se posait comme le but de la venue du Christ parmi les hommes, tandis que je le remplaçais par la vengeance ! Tourmenté intérieurement, je ne pouvais que réfléchir.




Rédigé de 2009 à 2012




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t502630 : 03/12/2020