ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








Dans la contradiction d’une crise


Nicolle et Arnauld : La logique ou l’art de penser, 1664 



EN SARDAIGNE :

Dans un jardin en Éden

La grammaire latine

Iaiou

Œil de bœuf

De jardin en cimetière

Le sacrifice de ma mère

Enfant de chœur

Homo homini lupus

Revendication et pardon

La confession des péchés

Dans la contradiction
d’une crise


Le Père Olivi, à son retour


LE DÉPART



L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



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’ai fini mon enfance dans une grave crise. Je précise avant tout que j’ai parcouru la période de l’école pri­maire en retard sur l’âge ordinairement prévu. J’au­rais dû entrer en première année à sept ans mais, à cause de la condition de la famille et de la maladie et de la mort de mon père, on ne m’avait pas inscrit. Je fus donc à l’école primaire de l’âge de huit ans à ce­lui de treize. Ce déséquilibre d’âge avait était ce­pen­dant compensé par un état de maturité qui m’ôtait tout souci dans les études, me permettant de suivre les cours avec assiduité, attention et intelligence. Ce­la n’a pas empêché qu’à l’approche des Pâques de la cinquième année j’étais anxieux, n’ayant encore re­çu aucune information de la part du Père Olivi, qui s’occupait des démarches de mon entrée au collège.

    J’étais aussi troublé par le changement qui s’était accompli au couvent des pères dominicains. En ef­fet, les dirigeants de la province de l’Ordre dont fai­sait partie le couvent de Cagliari avaient décidé de renouveler la direction : le Père Zappulla fut rappelé en Sicile, et remplacé par le Père Intieri comme pri­eur. Un nouveau Père était aussi venu. Indirec­te­ment, j’avais su que ce changement avait été déter­miné à la suite d’abus qui s’étaient produits au cou­vent, suscitant du scandale. Je n’étais parvenu à con­naître ces désordres que d’une façon confuse. J’ai cependant suivi de près l’action directrice du nou­veau prieur, ainsi que sa personnalité et son style de vie.
    J’ai constaté que le Père Intieri agissait, comme son nom pouvait en donner l’image, en homme « en­tier », auquel rien manquait pour agir en réforma­teur... ou en destructeur : le ton de sa parole était autoritaire, son regard scrutateur, sa façon d’assumer sa responsabilité était plutôt d’un militaire que d’un frère : homme qui ne pouvait pas accepter d’oppo­si­tion. Un frère du couvent ne pouvait se présenter devant lui que soumis, voyant en lui non l’autorité responsable de l’observation de la règle de l’Ordre, mais presque la personnification de la présence de Dieu. Mais venons à des faits qui pourront confirmer ce que je percevais en lui.
    À Pâques, j’étais invité à dîner par les frères. Le frère convers, Frère GGirolamo, auquel revenait la tâ­che de vaquer aux besoins de la communauté, me dit : « Ennio, va acheter pour nous un kilo de viande à rôtir, car aujourd’hui je n’aurai pas le temps de tout faire ». J’achète la viande chez un boucher de ma connaissance, lui disant expressément : « de la bonne viande, pour les frères dominicains ».
    Plus tard, montant à la cuisine, j’assiste à une vé­ritable scène de théâtre populaire. Le prieur reproche âprement à Fère Girolamo d’avoir acheté une viande non-conforme à celle qu’il avait ordonnée. Le frère convers s’excuse, en assurant cependant que cette vian­de, quoique acheté par moi parce qu’il était oc­cu­pé dans l’église, était très bonne. Irrité, le Père In­tieri prend la viande et la met dans mes mains en me disant : « Apporte-la à ta mère ». J’exécute ses or­dres ! En donnant la viande à ma mère, je lui dis : « Maman, le Prieur t’offre cette viande », et je lui raconte l’histoire. Dégoûtée, maman refuse de la pren­dre, en disant : « Je ne veux pas recevoir un don s’il n’est pas apprécié par celui qui l’offre. Donne-la aux mendiants » (accatoni). Sans dire un mot, je reprends la viande et, en retournant au couvent, je la distribue aux mendiants qui demandaient l’aumône aux portes de l’église. Heureux, ils remerciaient Dieu pour la grâce reçue. Je me mets à tourner dans le cloître jusqu’à midi, en attendant le déjeuner.
    Je monte donc à cette heure au réfectoire. Mais c’était comme si, ayant quitté la salle de théâtre à la fin d’un acte, j’y retournais pour un second, dont le thème était aussi mesquin que le premier. J’y trouve trois Pères et un frère convers, debout devant la ta­ble pour la prière. Mais subitement le prieur, s’a­dres­sant au Père Ludovic, lui reproche d’avoir per­mis, par faiblesse, l’accomplissent de faits scanda­leux et stupéfiants, et fixant sur lui un regard mépri­sant : « À genoux, frère ! » Le Père Ludovic se met à genoux, cependant que les autres, entonnant la prière introductive du repas, prennent place le long de la table. Et ils mangent, le Père Ludovic toujours à ge­noux !
    J’étais tellement dégoûté qu’il m’était difficile de manger. J’ai décidé de ne pas rester, conscient que je n’aurais pu rien faire dans ce contexte. J’ai dit que je ne me sentais pas bien et qu’il serait plus prudent de retourner à la maison, mais, en réalité, je ne parve­nais pas à comprendre comment dans un ordre re­li­gieux, surtout celui des pères prédicateurs, pouvait exister un homme avec un tel pouvoir, qui sou­met­tait à son vouloir ses frères, comme des chiens !

    J’éprouvais un tel dégoût, qu’il m’apparut en ce moment que c’était une folie que de chercher à de­ve­nir dominicain. Je savais que ceux-ci se célé­braient eux-mêmes comme des inquisiteurs, titre de gloire pour eux, mais ce fait m’en donnait un sens tout à fait opposé.
    Je ne pouvais pas ne pas tomber dans une crise profonde. Car j’avais tout fait pour entrer dans une vie religieuse quand, au moment de me mettre sur le chemin, cette vie me devenait absurde. Cependant, si j’y avais renoncé, je n’aurais pas pu continuer les études, et aller de l’école élémentaire au gymnase pour parvenir au niveau des études universitaires. Il me semblait absurde de ne pas aller au gymnase, parce que je ne voulais plus être père dominicain. Mais y aller m’apparaissait illogique et n’être qu’un acte de profit. J’ai donc pris conscience d’être en con­tra­diction avec moi-même : tiraillé entre aller au collège par vocation religieuse et, en même temps, avoir horreur d’y aller. Mais j’ai compris que cette question était comme celle d’un pauvre affamé qui, une baguette étant tombée à ses pieds d’une cor­beil­le de pain, resterait désarmé, pris par la question : je la restitue, ou je la mange ?




Rédigé de 2009 à 2012




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t502660 : 10/12/2020