ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Ennio FlorisAutobiographie |
Dans la contradiction d’une crise |
EN SARDAIGNE :Dans un jardin en ÉdenLa grammaire latine Iaiou Œil de bœuf De jardin en cimetière Le sacrifice de ma mère Enfant de chœur Homo homini lupus Revendication et pardon La confession des péchés Dans la contradiction d’une crise Le Père Olivi, à son retour LE DÉPARTL’ITALIEPUIS LA FRANCE............................................ |
’ai fini mon enfance dans une grave crise. Je précise avant tout que j’ai parcouru la période de l’école primaire en retard sur l’âge ordinairement prévu. J’aurais dû entrer en première année à sept ans mais, à cause de la condition de la famille et de la maladie et de la mort de mon père, on ne m’avait pas inscrit. Je fus donc à l’école primaire de l’âge de huit ans à celui de treize. Ce déséquilibre d’âge avait était cependant compensé par un état de maturité qui m’ôtait tout souci dans les études, me permettant de suivre les cours avec assiduité, attention et intelligence. Cela n’a pas empêché qu’à l’approche des Pâques de la cinquième année j’étais anxieux, n’ayant encore reçu aucune information de la part du Père Olivi, qui s’occupait des démarches de mon entrée au collège. J’étais aussi troublé par le changement qui s’était accompli au couvent des pères dominicains. En effet, les dirigeants de la province de l’Ordre dont faisait partie le couvent de Cagliari avaient décidé de renouveler la direction : le Père Zappulla fut rappelé en Sicile, et remplacé par le Père Intieri comme prieur. Un nouveau Père était aussi venu. Indirectement, j’avais su que ce changement avait été déterminé à la suite d’abus qui s’étaient produits au couvent, suscitant du scandale. Je n’étais parvenu à connaître ces désordres que d’une façon confuse. J’ai cependant suivi de près l’action directrice du nouveau prieur, ainsi que sa personnalité et son style de vie. J’ai constaté que le Père Intieri agissait, comme son nom pouvait en donner l’image, en homme « entier », auquel rien manquait pour agir en réformateur... ou en destructeur : le ton de sa parole était autoritaire, son regard scrutateur, sa façon d’assumer sa responsabilité était plutôt d’un militaire que d’un frère : homme qui ne pouvait pas accepter d’opposition. Un frère du couvent ne pouvait se présenter devant lui que soumis, voyant en lui non l’autorité responsable de l’observation de la règle de l’Ordre, mais presque la personnification de la présence de Dieu. Mais venons à des faits qui pourront confirmer ce que je percevais en lui. À Pâques, j’étais invité à dîner par les frères. Le frère convers, Frère GGirolamo, auquel revenait la tâche de vaquer aux besoins de la communauté, me dit : « Ennio, va acheter pour nous un kilo de viande à rôtir, car aujourd’hui je n’aurai pas le temps de tout faire ». J’achète la viande chez un boucher de ma connaissance, lui disant expressément : « de la bonne viande, pour les frères dominicains ». Plus tard, montant à la cuisine, j’assiste à une véritable scène de théâtre populaire. Le prieur reproche âprement à Fère Girolamo d’avoir acheté une viande non-conforme à celle qu’il avait ordonnée. Le frère convers s’excuse, en assurant cependant que cette viande, quoique acheté par moi parce qu’il était occupé dans l’église, était très bonne. Irrité, le Père Intieri prend la viande et la met dans mes mains en me disant : « Apporte-la à ta mère ». J’exécute ses ordres ! En donnant la viande à ma mère, je lui dis : « Maman, le Prieur t’offre cette viande », et je lui raconte l’histoire. Dégoûtée, maman refuse de la prendre, en disant : « Je ne veux pas recevoir un don s’il n’est pas apprécié par celui qui l’offre. Donne-la aux mendiants » (accatoni). Sans dire un mot, je reprends la viande et, en retournant au couvent, je la distribue aux mendiants qui demandaient l’aumône aux portes de l’église. Heureux, ils remerciaient Dieu pour la grâce reçue. Je me mets à tourner dans le cloître jusqu’à midi, en attendant le déjeuner. Je monte donc à cette heure au réfectoire. Mais c’était comme si, ayant quitté la salle de théâtre à la fin d’un acte, j’y retournais pour un second, dont le thème était aussi mesquin que le premier. J’y trouve trois Pères et un frère convers, debout devant la table pour la prière. Mais subitement le prieur, s’adressant au Père Ludovic, lui reproche d’avoir permis, par faiblesse, l’accomplissent de faits scandaleux et stupéfiants, et fixant sur lui un regard méprisant : « À genoux, frère ! » Le Père Ludovic se met à genoux, cependant que les autres, entonnant la prière introductive du repas, prennent place le long de la table. Et ils mangent, le Père Ludovic toujours à genoux ! J’étais tellement dégoûté qu’il m’était difficile de manger. J’ai décidé de ne pas rester, conscient que je n’aurais pu rien faire dans ce contexte. J’ai dit que je ne me sentais pas bien et qu’il serait plus prudent de retourner à la maison, mais, en réalité, je ne parvenais pas à comprendre comment dans un ordre religieux, surtout celui des pères prédicateurs, pouvait exister un homme avec un tel pouvoir, qui soumettait à son vouloir ses frères, comme des chiens ! J’éprouvais un tel dégoût, qu’il m’apparut en ce moment que c’était une folie que de chercher à devenir dominicain. Je savais que ceux-ci se célébraient eux-mêmes comme des inquisiteurs, titre de gloire pour eux, mais ce fait m’en donnait un sens tout à fait opposé. Je ne pouvais pas ne pas tomber dans une crise profonde. Car j’avais tout fait pour entrer dans une vie religieuse quand, au moment de me mettre sur le chemin, cette vie me devenait absurde. Cependant, si j’y avais renoncé, je n’aurais pas pu continuer les études, et aller de l’école élémentaire au gymnase pour parvenir au niveau des études universitaires. Il me semblait absurde de ne pas aller au gymnase, parce que je ne voulais plus être père dominicain. Mais y aller m’apparaissait illogique et n’être qu’un acte de profit. J’ai donc pris conscience d’être en contradiction avec moi-même : tiraillé entre aller au collège par vocation religieuse et, en même temps, avoir horreur d’y aller. Mais j’ai compris que cette question était comme celle d’un pauvre affamé qui, une baguette étant tombée à ses pieds d’une corbeille de pain, resterait désarmé, pris par la question : je la restitue, ou je la mange ? |
t502660 : 10/12/2020