ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








Enfant de chœur


P. Danet : Magnum dictionarium latinum et gallicum, MDXCI 



EN SARDAIGNE :

Dans un jardin en Éden

La grammaire latine

Iaiou

Œil de bœuf

De jardin en cimetière

Le sacrifice de ma mère

Enfant de chœur

Homo homini lupus

Revendication et pardon

La confession des péchés

Dans la contradiction
d’une crise


Le Père Olivi, à son retour


LE DÉPART



L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



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enons-en aux nouvelles activités que j’avais apprises et poursuivies dans l’Église : le catéchisme, le servi­ce de la messe et des autres cultes. Mais aussi une conduite religieuse dans son comportement, pour ne pas dire un style de vie.

    En ce qui concerne le catéchisme, je l’avais appris par cœur comme tout le monde, en vue du service dans les différents cultes, mais aussi en cherchant à en retenir la doctrine de foi subjacente.
    Mais, comme il m’était impossible de la com­prendre dans sa définition dogmatique, je cherchais à en avoir une connaissance pratique. L’ensei­gne­ment de Jésus consistait en ce que les hommes doi­vent vivre comme des frères, s’ils veulent vraiment com­pren­dre que Dieu est le Père de tout homme. Or Jésus est l’homme envoyé dans le monde pour vivre comme fils de Dieu, en considérant tout homme com­me un frère, foi qu’il témoigne par sa mort.
    Réduction en comportement pratique de la foi des évangiles ? Trop tôt pour pouvoir le penser et le di­re. Il s’agit ici d’une connaissance pratique, con­nais­sance qui m’apparaitra comme la seule et l’unique à l’âge mûr de mon existence, lorsque j’aurai compris que toute élaboration dogmatique, même celle des Écritures elle-même, n’est qu’une sublimation allé­go­ri­que d’une finalité vécue. Cette précision de prin­cipe suffit ici pour la base fondamentale de mon interprétation des évangiles, tenue empiriquement dans ma jeunesse, et approfondie par l’analyse des textes dans ma maturité.

    Quant à la Messe, je retenais qu’elle était le rite de la mort de Jésus-Christ, marquée par le pardon à ceux qui l’avaient crucifié. J’ai remarqué que toutes les Messes commencent aux marches de l’autel, où le prêtre présente à Dieu les péchés des hommes. Cela m’apparaissait évident dans les paroles de l’en­fant de cœur, dans l’Introït de la messe : « mea cul­pa, mea maxima culpa ». Paroles qui étaient d’ail­leurs les seules que je comprenais. J’ai cherché à bien les fixer dans ma tête avec les différents mo­ments de ce rite : le Kyrie, le Gloria, le Credo, le Lavement des mains, la Consécration, enfin la Com­munion. J’apprenais donc les moments précis du dé­roulement du rite.
    Il s’y ajoutait le catéchisme, qui se rapportait au contenu de la foi, concernant aussi la doctrine de la messe et les autres sacrements. J’ai dû en suivre les cours, afin de me préparer à recevoir la première communion. Je ne me rappelle plus si le catéchète était un Père ou un laïc. Toujours est-il que ma con­naissance de la messe fut plus étoffée.

    Mais les problèmes de la foi commencèrent à me secouer. En effet, dans tout ce que le catéchète dic­tait, je trouvais des affirmations tout à fait incom­pré­hensibles, pour ne pas dire absurdes.
    Celle, par exemple, que l’hostie consacrée est Jésus ! Or, à la perception comme dans toute ana­lyse, « l’Hostie » n’est que de l’hostie : de la farine pétrie, mise au four. Sa consécration n’affecte pas sa nature physique ou métaphysique, mais sa fonction, la constituant en signe dans un ordre de valeurs exis­tentielles. On ne peut pas confondre le rôle d’un si­gne avec la nature de la chose qui le porte. La com­munion est un repas, mais symbolique, c’est à dire fait non pas pour se rassasier, mais pour signifier l’union et la communication fraternelle entre les hom­mes. On ne peut pas transformer une valeur dans la chose qu’elle affecte. Ou, en renversant le rap­port, identifier une chose avec la finalité qui lui donne un sens, ou transformer en chose le sens par elle signifié. On ne peut identifier la nature des cho­ses avec leur fonction de signe, sans une confusion totale au niveau de l’être et de la connaissance.
    Mais, si l’on affirme que le pain demeure pain et Jésus, Jésus, l’un et l’autre peuvent constituer une identité, non au niveau de l’être, mais de la dimen­sion du signe, comme on vient de le dire. La théo­logie doit définir Jésus non dans la nature de son être, mais dans la dimension de ce qu’il signifie par sa parole et dans ses actes : l’appel de l’homme à un autre niveau de vie dans la dimension du vécu. Le « fils de l’homme », Jésus, est perçu comme fils de Dieu parce qu’il est tel non dans sa réalité physique, mais en tant que vécu comme tel par notre esprit. Les deux dimensions – le réel et le vécu – ne sont pas confondues. Si on les confond, on tombe dans l’erreur et dans la confusion mentale.
    Or il arrive que la religion n’opère pas cette dis­tinction, en affirmant par exemple que Jésus est hom­me et Dieu dans son être. Non, donc, au sens qu’il est homme dans son être et Dieu dans notre esprit, dans la mesure où on le vit comme tel, mais homme et Dieu en lui, dans son être. Jésus est l’hom­me-Dieu, le Dieu homme ! Comme si Dieu, en créant l’homme-Jésus, épris par sa beauté et sa puis­sance, le retient par sa propre nature ! Il est donc constitué par l’union de deux natures, humaine et divine ! Au moment de la création, Dieu a-t-il était jaloux de l’homme pour le retenir, ou l’homme tel­le­ment épris de Dieu, pour s’unir à lui ? Mais ar­rê­tons-nous ici, pour ne pas sortir des limites de cette étude.

    Le lecteur se demandera peut être si, à cet âge, j’avais vraiment cette connaissance de Jésus. Je peux l’affirmer, en précisant cependant que j’igno­rais la compréhension de Jésus donnée par la théo­logie, ou que je n’en tenais pas compte. Je compre­nais donc la foi en me référant aux catégories na­tu­relles et non théologiques de la raison. Je croyais que Jésus meurt en pardonnant à ceux qui l’ont cru­ci­fié, sans cependant supposer un « sacrifice expia­toire », au rachat des pêchés, bref à la rédemption par laquelle l’homme obtient le pardon des péchés, comme fondement de son salut. Pour moi, ce salut était propre à Dieu, par son amour, et il n’avait pas besoin de rédemption. Son pardon est gratuit !
    Compréhension de l’œuvre de Jésus, donc, sans me référer aux élucubrations théologiques mais aux principes de connaissance propres à tout homme. Ignorant la théologie, je connaissais cependant Jé­sus, et cette connaissance me donnait la possibilité de le suivre. Évidemment, tout en le connaissant je restais loin de parvenir à le suivre toujours.

    Pour en venir au culte de la Vierge Marie, je dirai que, comme tout le monde, je connaissais plusieurs madones, selon les multiples et différentes représen­tations correspondant aux miracles, aux lieux de leurs apparitions, aux rôles qu’on leur attribuait, se­lon les divers moments de sa vie relativement à Jésus, naissance, passion et mort. Le lecteur se de­man­dera laquelle parmi cette multitude de Maries constituait l’objet de ma dévotion et quelle était con­crè­tement celle-ci.
    À la première question, je répondrai que l’objet de ma dévotion était cette Marie qui avait un culte dans l’église que je fréquentais. Quant aux autres, je n’a­vais aucune dévotion spéciale, parce qu’elles m’é­taient dans un certain sens étrangères.
    La deuxième question est plus importante, car si je m’adressais à Marie à la dernière année de mon adolescence, je me posais déjà le problème du titre de « vierge » qu’on lui attribuait. Ce titre suppose qu’elle avait été fécondée non par une union sexu­el­le avec un homme, mais par l’Esprit de Dieu. Un fait à cet égard avait eu sur moi une importance forte­ment négative.
    Je me trouvais dans la sacristie de l’église de Saint Dominique. La statue de Marie – femme mor­te, le corps recouvert d’une robe de soie blanche et céleste – gisait sur une table à rallonges. Autour d’elle, des femmes en train de la préparer pour sa « fê­te » : l’Assomption. Il convient de rappeler que, dans ces temps, la statue de la vierge n’était pas com­me aujourd’hui debout, prête à monter au ciel, mais morte comme dormant. Le gisant de la vierge était donc étendu sur un lit. Pendant l’année, il était dans une chapelle de l’église d’une façon, disons, or­dinaire mais, pour sa fête, il était habillé d’une fa­çon somptueuse, comme une reine. Ainsi habillée, dormante, elle était mise dans un catafalque au mi­lieu de l’église et ensuite portée en procession dans la ville. Les femmes étaient donc en train d’habiller la « Madonna » avec sa robe de fête. Je fus cepen­dant étonné que la femme qui était chargée de l’ha­bil­lement liturgique de la statue, s’approche d’elle pour lui dévisser délicatement la tête, la remplaçant par une toute nouvelle, au point qu’elle ne paraissait plus morte, mais endormie. Après ce superbe ma­quil­lage liturgique, elle regarde Marie avec émotion, s’approche d’elle en lui disant toute émue : « Que tu es belle, Marie ! », et l’embrasse. Elle cède alors la place aux autres femmes, qui s’approchent une à une pour lui donner délicatement leur baiser.
    Je laisse le lecteur me suivre dans mon éton­ne­ment ! La femme se comporte avec la statue de Ma­rie comme si elle était la personne de Marie elle-même. Elle a pu le croire parce que le culte exige qu’on s’adresse par la prière à une image de Marie comme à elle-même. Mais ici, la femme n’était pas dans un acte liturgique. On peut ce­pen­dant se de­man­der si la foi est conditionnée par la liturgie ou celle-ci par la foi.
    Quant à moi, j’en été scandalisé, non parce que je m’opposais au culte de Marie et à la préparation de celui-ci, mais parce que cette femme considérait la statue de la Vierge comme la personne de la Vierge elle-même. Pour moi, le culte n’est que la mise en scène d’une rencontre qui ne se développe qu’à l’in­té­rieur de notre esprit. Mon scandale se rapportait à la croyance que l’objet du culte est sa propre re­pré­sentation et non un événement à l’intérieur de notre esprit, même quand il raconte un événement réel. Dans ce cas, ce qui compte est le sens, non le fait dans sa matérialité. Il fallait donc le comprendre, et j’avoue que je n’étais pas encore à même de pouvoir comprendre en quoi repose proprement la vérité de la religion. Sans doute, le culte est une représen­ta­tion théâtrale en vue d’un événement de l’esprit, mais pour saisir et comprendre cet événement il faut se détacher de la représentation pour le rechercher dans notre esprit. Dans le cas en question, Marie était représentée comme élevée au ciel, mais je ne pouvais pas savoir si cette « assomption » se rap­por­tait à un événement réel et ontologique de Marie, ou à un engagement de notre esprit.




Rédigé de 2009 à 2012




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t502620 : 03/12/2020