ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








De jardin en cimetière

Le bon docteur



P. Danet : Magnum dictionarium latinum et gallicum, MDXCI 



EN SARDAIGNE :

Dans un jardin en Éden

La grammaire latine

Iaiou

Œil de bœuf

De jardin en cimetière
- Au jardin
- Les figues
- La poupée
- Les chatons
- Le bon docteur

Le sacrifice de ma mère

Enfant de chœur

Homo homini lupus

Revendication et pardon

La confession des péchés

Dans la contradiction
d’une crise


Le Père Olivi, à son retour


LE DÉPART



L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



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ne des tâches que j’avais insensiblement assumées était celle d’enterrer dans le jardin des objets ou des corps d’animaux domestiques, si des amis me le de­man­daient. D’ailleurs, nous aussi dans la famille on faisait ainsi, avec nos chats, nos rats, nos oiseaux, nos chiens. Mais, vers la fin, cette offre de service m’a causé des surprises.

    Un jour, je vois venir chez moi le Docteur Porrà, accompagné d’une femme et portant un paquet. Il ma­nifeste beaucoup de plaisir en me voyant. Il me dit que devant faire, en tant que médecin, beaucoup d’expériences, il venait chez moi, afin que je puisse enterrer le corps de la bête qui avait été objet de ses dernières recherches. Il préférait qu’elle soit enterrée dans le jardin à cause du secret que toute expéri­men­tation portait en elle-même.
    Le paquet n’était pas grand. Je l’ai pris, l’assurant que je l’aurais enterré le plus tôt possible. Mais le doc­teur insista pour que je le fasse tout de suite, m’as­surant qu’il avait le temps d’attendre. J’ai fermé les yeux pour trouver mentalement dans le jardin l’endroit où je pourrais le mettre, et je cours avec le paquet. Au retour, le docteur me remercie beaucoup. Je salue la dame, persuadé qu’elle était sa femme.

    Le Docteur vint une deuxième fois, accompagné par une femme, qui n’était pas celle de la première fois.
    Avec surprise, je constate que le paquet était vrai­ment grand. « Cette fois, me dit-il, l’objet de mes expériences est une bête un peu plus grande, mais elle ne sera pas trop lourde pour toi. » Je pensais à un chien, mais je n’en étais pas tout à fait convaincu. Je cherchais mentalement dans le jardin l’endroit où enterrer ce paquet. Le trouvant, je prends donc le pa­quet et je vais à l’endroit établi. Je fais la fosse large, beaucoup plus que ce que le volume du paquet exi­geait.
    Mais le doute me poursuivait : « C’est vraiment un chien, ou je me trompe ? » Avec la pelle qui m’a­vait permis de faire la fosse, j’ai cherché à ouvrir le paquet pour en connaître le contenu. J’ouvre… « Mon Dieu ! Un bébé ! Mais comment est-ce pos­si­ble ? Le docteur aurait fait des expériences sur ce bé­bé ? L’a-t-il tué, comme il a tué Iaiou ? Non, la mère du bébé est là. Est-il alors mort-né ? Et le doc­teur en a-t-il profité pour faire des expériences ? »
    Je n’en revenais pas. J’arrête de me poser des ques­tions pour procéder à l’enterrement, recouvrant la fosse aussi plat que possible pour ne pas donner l’impression d’un tombeau. Seulement, j’ai mis sur le tombeau une fleur ! Je ne peux pas dire si, comme la première fois, je suis retourné vers ceux qui m’at­tendaient. Peut-être ne me voyant pas, étaient-ils ren­trés à la maison. Mais comment aurais-je pu ou­blier ?
    J’éprouvais une telle horreur que mon propos était de retourner pour lui cracher à la figure. Mais je pré­férais jeter ces événements dans la poubelle de l’ou­bli, en renonçant à toute autre offense.

    Par ces deux tombeaux le jardin, déjà assombri par la mort de mon grand-père, m’est apparu comme un cimetière, au sens réel du mot. Il n’était plus pour moi qu’un jardin sous l’ombre de la mort, celle de Ia­iou, mais parce qu’il était devenu terre des morts ! J’y allais encore pour cueillir des fruits ou pour d’au­tres besoins, mais j’avais en même temps le désir de le fuir, parce qu’il gardait dans sa terre non seulement des plantes mais aussi des cadavres. Peut-être que je voyais en moi l’ombre de mon enfance s’évanouir…

    Si j’allais encore au jardin, c’était plutôt pour me rendre à sa lolla, afin de rencontrer l’oncle Lazzaro, qui l’avait pris en location pour son travail.
    Mais oncle Lazzaro cohabitait avec une femme, considérée par ma famille comme une garce. Ma­man m’avait défendu d’avoir des relations avec cette femme. Or elle était souvent avec son ami, en l’ai­dant aussi dans le jardin, et de plus, elle m’aimait beaucoup et était très gentille avec moi. Les paroles de Maman me défendant toute relation avec elle étaient dures et sans exception : « De ne plus voir cet­te putain » (bagascia). Maman devait avoir vrai­ment honte que son frère vive avec elle, et aussi crain­dre qu’elle me corrompe. Mais je n’aurais pas pu m’éloigner tout à fait de l’amie de mon oncle sans l’abandonner lui aussi, suscitant sa colère con­tre elle et la haine de cette femme.
    J’ai respecté la défense de ma mère en limitant les rencontres avec l’amie de mon oncle. Ainsi, mal­gré ma sympathie, cette femme venait à prendre place dans mon esprit parmi les « bagascies » de ma connaissance.

    J’ai décidé alors d’aller plus souvent à l’église, confiant de ne pas encore tomber sur une autre « ba­gascia ». C’est alors que l’image de la vierge Marie s’est présentée plus fréquemment à mon esprit, com­me par un jeu qui venait sans doute de la foi elle-même. En effet, quoique celle-ci ait eu comme pre­mier objet Jésus-Christ, elle a trouvé son épanouis­sement dans la dévotion à Marie. Du culte du Fils, la foi nous a conduits en effet à celui de la mère qui l’a engendré.



Rédigé de 2009 à 2012




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t502550 : 03/12/2020