ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








De jardin en cimetière

La poupée



P. Danet : Magnum dictionarium latinum et gallicum, MDXCI 



EN SARDAIGNE :

Dans un jardin en Éden

La grammaire latine

Iaiou

Œil de bœuf

De jardin en cimetière
- Au jardin
- Les figues
- La poupée
- Les chatons
- Le bon docteur

Le sacrifice de ma mère

Enfant de chœur

Homo homini lupus

Revendication et pardon

La confession des péchés

Dans la contradiction
d’une crise


Le Père Olivi, à son retour


LE DÉPART



L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



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 cet âge, j’ai trouvé en Ubalda, ma sœur, ma meil­leure amie. Elle avait trois ans de moins que moi, mais je sentais qu’elle était très proche de moi par l’intelligence, avec cependant une mémoire plus for­te que la mienne, et une force de volonté égale. On se comprenait. Je jouais avec elle à la course, au pè­re et à la mère, aux fiancés en se tenant l’un en face de l’autre à la fenêtre, comme les amoureux qu’on voyait le soir en ville à la fenêtre du rez-de-chaussée de quelques maisons. Enfin, au cheval, dans lequel, évidemment, le cheval c’était moi.
    Je souffrais cependant pour elle, parce qu’elle n’a­vait qu’une très petite bambola (poupée). J’avais pensé pou­voir lui en acheter une plus grande, en cherchant à faire les achats de la maison chez les boutiquiers qui faisaient des réductions.

    La bambola vint un jour, par miracle ! Je l’ai trou­vée en bas des maisons qui donnent sur le jardin, tom­bée du premier ou du deuxième étage. Tout con­tent, je la porte à la maison, je la nettoie, et je la don­ne à Ubalda, qui en fut enchantée, la recevant comme une grâce.
    Mais voilà que deux jours après, Zia Promisena, la femme de ménage de Mme Mascolo, propriétaire du jardin, vient à la maison en réclamant la poupée. Je lui dis : « La poupée ? Elle s’est cassée, Zia Pro­mi­sena, en tombant ! » Elle avait bien compris, mais elle me semblait troublée par la situation. Elle ne dit rien et remonte chez sa maîtresse.
    Plus tard elle revient, mais pour rencontrer cette fois maman, de la part de Mme Mascolo. Maman ne pouvait que m’obliger à restituer la poupée. J’étais indigné autant du comportement de Mme Mascolo que de ma stupidité pour ne pas l’avoir prévu. « Oui, la poupée est à elle, mais pourquoi revendique-t-elle la poupée et non les chiffons, les papiers, les vieilles chaussures, la " merde " qu’elle jette directement ou in­directement tous les jours dans le jardin ? Au point que dans ce jardin, sur un espace de trois mè­tres, il ne pousse rien et il n’y a rien d’autre que de la vase, et de la mauvaise herbe ? »

    Il me vint à l’esprit de ramasser un peu de cette ordure et de la remettre à Mme Mascolo pour lui restituer gratuitement les autres choses qu’elle avait laissées tomber dans le jardin ! J’ai reconnu cepen­dant que maman avait raison de m’imposer la resti­tution, si on ne voulait pas subir d’inévitables consé­quences douloureuses.
    Mais, sachant que Madame faisait la sieste, je dé­ci­dais de l’en empêcher, afin qu’elle puisse bercer la poupée et mettre de la crème sur ses petits pieds d’ar­gile ! Je fis quelques pas sur le sol du jardin en bas des palais, et je trouvais un gros pot de confiture et, plus loin, une vieille louche, et je me mis en bas du long balcon de Mme Mascolo, à tambouriner vio­lemment avec la louche, en chantant les vers que j’en­tendais souvent dans la bouche de garçons en train de jouer : « Mortu canciofali ! Sa licenz’à su’um­briagoni ! » Boum ! Boum ! (Le carnaval est mort ! La licence à l’ivrogne !) Et je continue à cri­er jusqu’au moment où, au balcon de Mme Mascolo, ap­paraît Zia Promisena, criant « Garçon… Ennio, arrête-toi ! Madame fait la sieste ! » « Quoi ? Je n’en­tends pas, Zia Promisena ! » Et je criais plus fort encore : « Mortu canciofali, sa licenz’à s’um­bria­goni, Boum, boum. »
    Maman entend et m’appelle, m’ordonnant de me taire. J’ai obéi à maman, comme toujours! Mais je lui ai dit : « Maman ! Je voulais seulement que Ma­da­me se réveille pour qu’elle berce sa poupée ! » Cette fois, cependant, j’ai pris conscience d’être allé au-delà des limites de l’éducation de mon milieu.

    Ce fut ma première contestation de nature poli­ti­que contre les riches ; mais les Mascolo ne firent au­cun recours ! Peut-être Madame fut-elle satisfaite d’a­voir récupéré la « bambola » sans dégâts impor­tants. Mais de ma part ce fut certes une erreur que de penser qu’une poupée était un objet superflu pour une femme adulte comme Mme Mascolo.




Rédigé de 2009 à 2012




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