ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


De la naissance de Jésus-Christ
à la naissance de Jésus




L’évangile apocryphe de Thomas




Sommaire
Avertissement

Introduction

La naissance chez Paul

L’évangile de Marc

Matthieu : naissance du roi des juifs

Luc : naissance du fils de Dieu

La naissance du héros

Jean : le samaritain

Marie

Joseph

Les noms de Jésus

L’évangile de Thomas

Témoignages des juifs

Jésus


. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

   Dans l’évangile de Thomas, on trouve ce logion de Jésus : « qui connaîtra (ou a connu) le père et la mère… de prostituée ? » (105 ou 322).

   Si on se borne à combler les lacunes du texte, sans y apporter de corrections, on peut le reconstituer des deux façons suivantes : « Celui qui connaîtra (a connu) le père et la mère, on l’appellera fils de prostituée » ou « Qui connaîtra (a connu) son père et sa mère l’appellera fils de prostituée ».

   Selon la première version, Jésus dénie toute valeur à la naissance charnelle : celui qui tient à connaître son père et sa mère est assimilé au fils de prostitution. Ce sens peut être tiré du logion 101 (ou 224) du même évangile, où Jésus affirme qu’il est impossible d’être son disciple si l’on ne hait pas sa mère, car la mère est celle qui donne véritablement la vie.
   Selon la seconde version, Jésus annonce prophétiquement qu’il sera lui-même appelé fils d’une prostituée par tous ceux qui voudront le connaître par son père et sa mère, c’est-à-dire par sa généalogie. Ce biais suppose qu’ils ne pourront connaître en lui qu’un homme bâtard.

   J’estime que la première version est insoutenable, parce que ce logion est entièrement différent du logion 101, sur lequel il s’appuierait. En effet, tandis que dans celui-ci on oppose la mère charnelle à la mère éternelle, dans celui-là cette allusion fait défaut : Jésus n’est fils d’une prostituée qu’en raison de sa naissance illégitime.
   Il ne reste donc à examiner que la seconde version, qui semble d’autant plus pertinente qu’elle correspond à mon hypothèse sur l’accusation juive selon laquelle Jésus était un fils de prostitution. Plusieurs exégètes ont bien vu que le logion n’opposait aucun obstacle à cette interprétation, mais ils ont préféré supposer que le texte avait subi des corruptions plutôt que d’admettre que Jésus s’était déclaré lui-même bâtard. Par exemple, ils ont supposé que le logion original était une proposition négative « qui ne connaitra pas… », ou encore qu’il portait « fils de l’homme » au lieu de « fils de prostituée ».
   À mon sens, il n’est pas légitime de supposer l’altération d’un texte pour la seule raison qu’il ne correspond pas à la théologie du Nouveau Testament, et surtout à l’interprétation traditionnelle de celle-ci. Il faut par contre profiter de ce texte pour rechercher s’il existe, dans le Nouveau Testament, des passages susceptibles de lui correspondre car, malgré le canon, la tradition néotestamentaire n’est pas homogène. De plus, l’évangile de Thomas présente une interprétation souvent étonnante des logia de Jésus, par le réalisme qui perce sous le voile de l’allégorie gnostique. Ce caractère gnostique de l’évangile nous porte à orienter notre recherche sur le quatrième évangile, l’écrit le plus allégorique du Nouveau Testament. Un passage retient aussitôt notre attention : « N’est-il pas Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? » (Jn 6:42).

   Ces paroles sont une réplique à celles que Jésus a prononcées sur son origine : « Je suis le pain qui est descendu du ciel » (Jn 6:41). Mais avant de préciser le sens de cette réponse, je noterai la forte redondance : les deux expressions « fils de Joseph » et « dont nous connaissons le père et la mère » constituent un pléonasme. J’estime que l’énoncé « fils de Joseph » est une interpolation, destinée à accorder l’affirmation du quatrième évangile à celles de Mt 13:55 et Lc 4:22. D’ailleurs, la question des juifs à Jésus « où est ton père » (Jn 8:19) fait penser que pour eux il était de père inconnu.
   En supprimant l’énoncé mentionnant Joseph, la phrase reste syntaxiquement claire : « n’est-ce pas Jésus, dont nous connaissons le père et la mère ? ». Mais pourquoi le fait de connaître le père et la mère constituait-il pour les juifs un argument pour nier qu’il fut descendu du ciel ? On peut répondre qu’en connaissant son père et sa mère ils savaient bien qu’il n’était qu’un homme venant de la terre et non du ciel. Mais ce serait aller trop loin car, selon la conception mythique et religieuse, on pouvait bien descendre de dieu et d’une femme.
   L’évangéliste qui a écrit ces mots était bien persuadé que Jésus, tout en étant né comme un homme, venait du ciel. La force de l’objection vient donc d’ailleurs, non du fait que Jésus avait un père et une mère, mais de la nature de sa relation avec son père et sa mère. « Connaître son père et sa mère » prend donc le sens de savoir qui étaient son père et sa mère. S’agissant d’une indignité qui, du père et de la mère, rejaillit sur l’enfant au point de constituer une preuve qu’il n’est pas venu du ciel, il ne peut s’agir que d’une génération illégitime, adultérine. La réponse des juifs peut donc s’exprimer ainsi : « Comment peux-tu descendre du ciel, si nous savons que ton père n’est qu’un inconnu et ta mère une prostituée ou une adultère ? Comment peux-tu descendre du ciel si tu n’es qu’un bâtard ? »

   Dans le quatrième évangile, les juifs disent aussi contre Jésus : « Nous savons d’où il est » (Jn 7:27). Connaître son père et sa mère signifie savoir d’où il est, c’est-à-dire qu’il vient de la prostitution et de l’adultère. Le logion de Thomas correspond à l’affirmation des juifs dans le quatrième évangile. Dans ce logion, Jésus avertit ses disciples que les juifs – qui connaissent son père et sa mère charnelle – l’appellent « fils d’une prostituée » ; l’affirmation de Thomas se trouve ainsi vérifiée par le quatrième évangile : aux yeux des juifs, Jésus n’était qu’un bâtard.



2011




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t800000 : 24/12/2017