ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisDe la naissance de Jésus-Christ
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L’évangile de Matthieu : la naissance du fils de David |
Le récit |
Sommaire Avertissement Introduction La naissance chez Paul L’évangile de Marc Matthieu : naissance du roi des juifs - Le récit - La généalogie de Jésus - L’épisode de la naissance - La reconnaissance du roi des Juifs Luc : naissance du fils de Dieu La naissance du héros Jean : le samaritain Marie Joseph Les noms de Jésus L’évangile de Thomas Témoignages des juifs Jésus . . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . . |
Dans sa narration, Matthieu se propose de parler de la naissance de Jésus comme « Roi des juifs ». Il ne s’agit évidemment pas d’un roi des juifs dont la légitimité serait fondée sur la descendance d’un des rois historiques du judaïsme, mais du Roi messianique, du Roi sauveur qui constituait, selon la vision messianique, la visée des Écritures, aussi bien de ses oracles que de ses messages. C’est donc le Roi dans la naissance duquel devaient trouver sens et accomplissement l’histoire de ses ancêtres du peuple. On comprend dès lors pourquoi Matthieu a cherché à construire un récit en reprenant les épisodes prototypes et messianiques des grands ancêtres, à la fois fondateurs du peuple et figures du Christ. Il reprend l’affirmation de Paul selon laquelle le Fils de Dieu était, selon les Écritures, « Fils de David ». Dans la naissance de Jésus s’achève et s’accomplit la royauté davidique. Son récit débute donc par une généalogie destinée à insérer Jésus dans la chaîne des générations d’Abraham et de David. La généalogie est suivie par cinq tableaux, où il reprend les événements ancestraux qui décrivent d’avance la naissance du Christ : la conception par une femme par l’intervention de Dieu et le consentement de son époux, l’héritier de la royauté ; l’accomplissement de la royauté du judaïsme, telle qu’elle avait été annoncée par la prophétie de Baal ; l’édit de l’anéantissement des aînés du peuple par Pharaon ; le séjour en Égypte de Joseph, qui fut le salut du peuple ; enfin, le retour d’Égypte. Dans cette reprise, Matthieu ajoute aux événements fondateurs de nouvelles péripéties, car la fécondation de la femme par l’intervention de Dieu se transforme en une conception par l’esprit de Dieu, l’accomplissement de la prophétie du prophète de Baal se renouvelle dans l’apparition de l’étoile de sa vision et par la venue des mages, l’édit de Pharaon se reproduit par la condamnation à mort, par Hérode, de tous les enfants nés à Bethléem, la déportation de Joseph en Égypte est reprise par la fuite des époux et de l’enfant Jésus en Égypte, enfin le retour du peuple d’Égypte est traduit par le retour des époux et de Jésus à Nazareth. Bien que séparés dans le temps au long de leur processus diachronique, ces événements trouvent une parfaite unité dans la synchronie du récit. Dans ce récit, la scène fondamentale est le premier tableau, la conception par la vierge, qui donne sens à tous les épisodes et qui constitue aussi le fondement qui justifie l’insertion de Jésus dans la généalogie. En effet, Jésus s’insère légitimement dans la chaîne des fils de David parce que sa mère, Marie, est épouse de Joseph, héritier légitime de cette royauté. Les mages voient « l’étoile de Jacob » se poser sur le lieu où Jésus est né, parce que celui-ci est le véritable héritier messianique. Hérode poursuit à mort l’enfant parce qu’il craint qu’il conteste sa légitimité. Marie et Joseph fuient en Égypte pour sauver l’enfant de la persécution d’Hérode, ils en reviennent après la mort du roi, tout danger étant écarté pour l’enfant. Malgré ce rôle central dans l’articulation et le sens, la naissance de Jésus d’une vierge mère constitue, en soi, un non-sens au sein de cette reprise des événements fondateurs de l’histoire juive, et donc de la naissance de Jésus. En effet, le thème propre à la conception des mères des ancêtres juifs n’est pas la virginité mais la stérilité. Certes, toutes les mères des rois historiques du judaïsme ne furent pas stériles, mais ce fut le cas de toutes les mères historico-mythiques, celles que le peuple considérait comme la première racine du peuple et de sa légitimité royale : Sara, Rebecca, Rachel, mais aussi d’autres mères de héros nationaux comme celles de Samson ou de Samuel. Pourquoi donc le roi messianique ne naît-il pas comme les pères du peuple, images par excellence du Christ ? Évidemment, ceux qui considèrent le récit de Matthieu comme une narration historique répondront qu’il n’est pas né d’une mère stérile parce qu’il est né d’une mère vierge. Mais ce récit est théologique et non historique. D’autre part, la naissance de Jésus d’une mère vierge est étrangère à la tradition de Paul. Si le fils de Dieu était né d’une vierge fécondée par le Saint Esprit, il ne se serait pas tout à fait vidé de sa « forme divine », car elle se serait manifestée précisément par cette virginité. Il s’agit donc d’une expression interprétative par le biais du code messianique, comme nous le verrons mieux par la suite. Mais alors quel fait concernant Jésus a pu pousser Matthieu à le faire naître comme fils d’une vierge ? Et comment Matthieu a-t-il pu insérer dans la génération du roi des juifs un terme fondamentalement étranger à la génération du fils de Dieu selon la tradition juive ? Le recours à la fécondation de la vierge est d’autant plus grave que la génération d’un fils de Dieu par la médiation d’une mère vierge est propre au schéma grec de la naissance du héros. Tous les héros fondateurs des peuples ont été des enfants d’une mère vierge, fécondée par Zeus ou par un autre Dieu : Héraclès, Thésée, Énée, Épaphos, Hélène, etc. Aussi tous les hommes-héros (Alexandre, César, Auguste…), censés être issus de la dynastie des fils de Dieu, de ces fils nés d’une vierge, se considéraient comme des fils de Dieu. Le thème qui est à la base de « l’histoire » de la naissance de ces enfants de Dieu est très spécifique et absolument contraire à celui de la naissance des héros du judaïsme. En effet, les héros juifs sont toujours issus de l’union d’un homme et d’une femme, et Dieu n’intervient miraculeusement que pour activer la fonction génitrice. Leur histoire est parsemée d’épisodes dans lesquels la femme est montrée rongée par le chagrin de ne pas pouvoir avoir d’enfants : plainte de la femme et impuissance de l’homme, souffrance propre donc à un ménage normal. Dieu intervient par l’apparition d’un ange assurant à la femme qu’elle va devenir féconde, mais toujours par sa relation avec l’homme. Par cette intervention, l’enfant peut être appelé « fils de Dieu », mais par une intervention supérieure qui transcende l’acte sexuel, comme une sorte d’intervention par création. Dans la génération des héros grecs, au contraire, la situation initiale est tout à fait différente. La femme reste hors de toute relation sexuelle avec un homme, et ne devient féconde que par son union avec Dieu. Sa souffrance découle du fait qu’elle devient mère. En effet, elle est mère alors que sa condition légitime est celle de vierge. Sa maternité la rend coupable d’adultère ou de prostitution aux yeux de la loi, elle doit donc fuit comme une coupable et, après avoir accouché, exposer l’enfant. Elle ne sera sauvée que lorsque Dieu fera reconnaître dans son enfant un de ses fils : au moment où l’enfant bâtard est reconnu fils de Dieu, sa mère est reconnue comme épouse de Dieu. Ces remarques nous permettent de découvrir que le récit de Matthieu est beaucoup plus complexe qu’il n’apparaît à la première lecture. Matthieu articule ses récits en jumelant deux schémas de naissance des héros, le juif et le grec. Mais comment a-t-il pu accorder des thèmes si fortement opposés ? Et surtout, qu’est-ce qui a pu conduire Matthieu à avoir recours au schéma grec de la naissance du héros ? S’agit-il d’un thème théologique, ou d’un renseignement sur la naissance de Jésus ? |
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t731000 : 18/12/2017