ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Prométhée et Jésus :
d’Eschyle aux évangiles


(esquisse d’une théologie du mythe)





Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort

II – Dieu et le Sauveur




Sommaire

Introduction

Dieu, le Sauveur et la mort
- La colère de Dieu et le
  péché
- Dieu et le Sauveur
  . Zeus devient sage
  . Le Dieu qui vient
- Le Sauveur contre Dieu
- Le feu
- Procès et condamnation
- Océan et Pierre
- Océanides et filles de
  Jérusalem
- Io et Marie
- La mort
- La rédemption
- L’eschatologie

Le mythe d’Io et l’évangile de Marie

Conclusion théologique



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Zeus, de la force à la sagesse


   L’œuvre d’Eschyle tend à dépasser ce tragique. Ce n’est pas le drame humain qui touche le poète, mais le fait que ce drame ait une origine divine. Eschyle, remontant aux sources, trouve dans cette rupture du divin les raisons de toutes les passions, de toutes les haines, de toutes les souffrances humaines et divines. Sa tragédie, nous l’avons déjà dit, est une théologie. Son point de départ est le dualisme commun aux mythes : d’un côté l’Ananké dont les lois sont confiées aux Parques et aux Érinyes, de l’autre les dieux, engagés dans une lutte implacable pour le pouvoir.
   Pour dépasser ce dualisme, Eschyle commence par concevoir le Destin d’une façon différente. Il ne s’agit plus de le considérer comme un tableau noir où les Parques et les Érinyes peuvent lire ce qui est juste et nécessaire, mais plutôt comme une nappe de glace sous laquelle continue de courir l’eau qui débouche dans les fleuves. Or ces fleuves sont précisément les dieux. Agents de liaison, ils deviennent personnification, hypostases éternelles du divin. Les épisodes de leurs vies, leurs exploits qui semblent sans histoire et sans issue, remplis de haine et de passion, de guerre et d’amour, d’intrigues et d’accouplements, sont les moments d’un unique processus, de convergences à travers lesquelles ils accèdent aux lois du Destin, cependant que celui-ci se personnalise, se délivre de l’aveuglement propre à sa nécessité et devient conscient. Eschyle nous fait connaître une nouvelle théogonie, celle de Zeus, de Dieu tout court, où l’objectif rejoint le personnel, où la nécessité devient liberté. Le sommet de ce processus doit coïncider avec le dépassement du tragique, dans un rôle qui est une loi de raison : le divin c’est Zeus lui-même, et Zeus c’est tout le divin.

   Le mythe de Prométhée nous ramène au début de cette évolution du divin, quand les dieux retrouvent leur unité sous le sceptre de Zeus. Par la naissance de Zeus, le Destin se révèle comme un pouvoir d’ordre et d’unité que Zeus lui-même ignore d’ailleurs : il ne le connaîtra qu’à la suite de ses erreurs et de sa démesure, il doit s’inspirer du Destin et là où il se laisse entraîner par sa passion et son orgueil, il trouve un autre dieu que le Destin suscite pour son enseignement, pour qu’il apprenne la sagesse et fasse l’expérience de la vie. On ne devient pas roi des dieux sans souffrance ni lutte.
   Après avoir sauvé sa vie en remportant la victoire sur son père Chronos, après avoir obtenu la domination des cieux et de la terre en triomphant des Titans, Zeus devient le maître de tous les êtres. Il a, d’un jeune roi, la grandeur et l’inexpérience. Il est fort, il est orgueilleux, il est possédé de la volonté de création. Il veut que les nouveaux dieux soient ses fils, que de nouveaux hommes surgissent sur la terre, afin que tout être obéisse à ses lois, se soumette à celui dont le sceptre est la foudre. C’est l’âge de fer de son empire. Parce qu’il est jeune et conscient de sa force, il oublie qu’au-dessus de lui règne le Destin, la raison suprême de toute loi, de toute dignité, y compris sa déité. Il ne voit pas que lui aussi doit être subordonné à la loi des dieux. Farouche envers ses ennemis les Titans, plein de mépris à l’égard des hommes, altier envers les dieux amis, il vit dans un climat de victoire et d’héroïsme, d’orgueil et de puissance, comme si le divin s’était personnifié en lui. Ne connaissant pas ses limites vis-à-vis du Destin, il est victime de la démesure.
   C’est cette démesure de Zeus qui fait apparaître Prométhée, en qui le Destin se personnifie à nouveau, afin de réaliser chez le Dieu, au niveau de la personnalité, l’ordre et l’harmonie qui préexistent dans l’objectif et dans l’éternel.

   Une lecture superficielle du mythe risque de nous choquer, en ce sens que nous y voyons des dieux qui se haïssent, se vengent, se réjouissent de leurs victoires. Mais une méditation plus profonde nous fait voir dans ces épisodes les moments successifs d’un processus de personnification du divin.
   C’est par cette lutte que Zeus apprendra à être sage, et finira par exprimer dans sa personne la perfection et l’ordre même du Destin. En buttant contre Prométhée, en effet, Zeus se détachera des autres dieux non seulement comme le plus puissant de tous, mais comme le maître par rapport aux disciples, le roi par rapport à ses sujets, le père par rapport à ses enfants. La divinité, tout d’abord partagée à égalité de titre et de dignité entre tous ces dieux, sera assumée par le seul Zeus qui deviendra celui en qui l’ordre du Destin s’exprimera en loi. Zeus sera synonyme de Dieu, tandis que les dieux d’antan seront abaissés jusqu’à n’être plus que les ministres de Zeus, ceux qui exécutent ses ordonnances, tout en se réjouissant de ses bienfaits et de sa gloire. On passe peu à peu du polythéisme dirigé au monothéisme, qui sera son aboutissement et son eschatologie.
   Prométhée est le sauveur des hommes dans la mesure où il révèle une nouvelle personnalité de Zeus, celle de père des dieux et des mortels.



c 1960




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t910210 : 07/10/2018