ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Prométhée et Jésus :
d’Eschyle aux évangiles


(esquisse d’une théologie du mythe)





Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort

V – Le procès et la condamnation




Sommaire

Introduction

Dieu, le Sauveur et la mort
- La colère de Dieu et le
  péché
- Dieu et le Sauveur
- Le Sauveur contre Dieu
- Le feu
- Procès et condamnation
  . La croix de Prométhée
  . La croix de Jésus
- Océan et Pierre
- Océanides et filles de
  Jérusalem
- Io et Marie
- La mort
- La rédemption
- L’eschatologie

Le mythe d’Io et l’évangile de Marie

Conclusion théologique



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La croix de Jésus


   Jésus a prêché son Évangile dans la perspective de la croix qui l’attendait. Pour lui comme pour Prométhée, la croix était une nécessité. Nous verrons plus loin la valeur théologique de cette nécessité, pour le moment il suffit de souligner que nous ne pouvons pas lui échapper sur le plan historique, étant donné l’opposition entre l’Évangile et Yahvé.

   Dans le premier procès, les accusations étant contradictoires, Caïphe cherche, devant l’assemblée, à provoquer la confession de l’accusé lui-même. Interrogeant Jésus en tant que grand-prêtre, il prononce ce nom de Yahvé devant lequel tout le peuple tremble. Ce n’est pas l’homme qui interpelle Jésus, c’est le Yahvé de l’histoire, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu du peuple. Et Jésus confesse être « le fils de Dieu », bien qu’il soit « le fils de l’homme ».
   Cette confession contient toute la mission de Jésus. En même temps qu’il déclare être le fils de Dieu, Jésus s’avoue pécheur aux yeux de la loi car, tout en étant homme, il se fait Dieu, au-dessus du Temple, de la loi, de la royauté davidique. Il n’est pas nécessaire que l’homme prononce une sentence : Jésus est déjà condamné par Dieu lui-même, comme blasphémateur. Pour ce péché, la loi prévoit la mort par la croix. Jésus, le sauveur des hommes, le bienfaiteur, devient le « maudit » de Dieu.

   La sentence de mort acquise devant le tribunal religieux, le procès s’ouvre devant le tribunal de l’histoire, auprès du procurateur romain. Aux yeux de l’autorité religieuse, celui-ci n’est que le pouvoir exécutif de la peine de mort. Elle ne lui présente pas Jésus pour qu’il le juge mais le fasse exécuter, puisqu’il a déjà été condamné à la crucifixion par le droit divin.
   Et Pilate, d’exécuteur, devient l’unique défenseur de Jésus. Il ne veut pas le condamner car, selon le droit humain, Jésus n’a commis aucun crime passible de mort. Les raisons de la sentence de mort lui échappent, il doit l’exécuter malgré lui, contre la raison et l’humanité.

   On amène Jésus au lieu désert appelé « Golgotha », « le lieu du crâne », dont les hommes ne s’approchent que pour être exécutés, et on le crucifie. Sur la petite colline du Golgotha, la croix se dresse jusqu’à la hauteur du rocher où Prométhée a été supplicié. La description des évangiles est moins dramatique, mais la grandeur du patient suffit à révéler une tragédie divine et humaine à la fois.
   Sur la croix, Jésus devient objet de mépris et de compassion : il a déçu les hommes, tous ceux qu’il a rassasiés, instruits, pardonnés de leur péché. En passant auprès de la croix, ils se souviennent de ses paroles eschatologiques sur la destruction du temple. Mais voilà, le temple est encore là, tandis qu’il se trouve dans l’impossibilité de se sauver de la mort.
   Ceux qui l’ont crucifié, les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens, se moquent de lui et disent : « Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même… Il s’est confié en Dieu, que Dieu le délivre maintenant s’il l’aime. Car il a dit : je suis le fils de Dieu » (Mt 27:42).
   Le sarcasme touche à l’indescriptible. Ceux qui le méprisent, ceux qui l’ont condamné au nom de Yahvé, lancent un défi à Dieu son père, parce qu’il a cherché à ébranler la loi, à pousser les masses contre l’autorité religieuse, à détruire le temple et le sacrifice, à susciter un royaume qui n’était pas celui de David. C’est justement le moment où ce Dieu pourra démontrer sa puissance contre Yahvé : tout le monde croira en lui, s’il est assez puissant pour détacher de la croix son fils, que Yahvé y a cloué.

   Cependant le Dieu de Jésus, refusant de relever le défi, abandonne son fils aux mains des pharisiens, qui l’offrent en sacrifice à leur idole, au Yahvé de la tradition. Le silence de Dieu transforme en agonie la souffrance du Christ.
   Jésus sait que son père doit instaurer son royaume sur les ruines de Jérusalem, mais il ignore quand. Pour le moment, tout semble parler contre cette victoire. La croix et la mort ne sont pas inévitables parce que les juifs ont décidé de la crucifixion, mais parce que Dieu lui-même l’a voulue. Le mystère est profond : objet de la colère du Yahvé de l’histoire, Jésus est aussi objet de l’abandon du Yahvé de la révélation : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27:46), révélant ainsi au monde le caractère contradictoire de sa croix.
   Mais personne ne le comprend, Dieu reste encore caché dans son silence ! Le seul pouvoir que le père laisse à son fils, c’est la souffrance. Seules des femmes qui pleurent au pied de la croix entendent les paroles de l’angoisse ; sans le comprendre, elles sentent le mystère de cette souffrance divine et humaine à la fois. Leur cœur saisit, devant la croix, ce que le droit et la raison, la théologie et la foi, ne pouvaient pas comprendre. Et c’est par cette douleur silencieuse que le Christ accomplit l’aspiration prophétique d’Eschyle à un sauveur qui souffre dans l’humilité, sans aucune « démesure ».



c 1960




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t910520 : 26/01/2021