ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Michel Bruston

Corpus Christi







STRATÉGIES 
de  CORPUS  CHRISTI



Un événement culturel


Effet analyseur de Corpus Christi


Stratégies de Corpus Christi

- Introduction
- Limites des métho-
  des exégétiques

  . Manque de repères
  . Paradoxe, prudence
  . Frustration ?
  . Limites de l'exégèse
  . Méthode d’analyse
    référentielle
- Critique de l’anti-
  judaïsme chrétien
- Historique ?
- Archéologie de
  l'écriture
- De la modernité
- Le sens et les faits
- Conclusions


. . . . . . - o 0 o - . . . . . .

LIMITES  DES  MÉTHODES EXÉGÉTIQUES  ?

Un défi intellectuel
qui « secoue » et qui « frustre » ?




    Sans doute Mordillat et Prieur ont-ils parié sur le désir de leurs auditeurs chrétiens, de relever le défi intellectuel qu’ils leur ont lancé. Mais ont-ils suscité quelque espoir d’y parvenir, quand « les plus grands spécialistes » – ce sont eux qui le disent – en semblent tous incapables ?
    Dans Le Monde, Prieur le reconnaît : « On soulève plus de questions qu’on n’apporte de réponses », et Mordillat revendique ce choix : ils ont voulu éviter une « illusion de débat », telle que la télévision s’est habituée à en mettre en scène, sorte de « jeu » où « le spectateur choisit [parmi les intervenants] soit l’un, soit l’autre, en réalité celui qui va dans le sens de ses idées ». Tous deux assument, puisque l’un déclare : « ça crée une frustration, mais c’est positif » et l’autre : « si ça secoue, ce n’est pas plus mal ».
    Ces raisons, cependant, ne me convainquent pas complètement, en ce qui concerne la partie Procès.

    S’ils souhaitaient simplement « secouer » le télé­spectateur, il est dommage qu’ils n’aient pu inclure quel­ques remarques assez dérangeantes d’Ennio Floris à propos de l’importance du Droit et du respect des procédures juridiques chez les Romains. Il est d’ailleurs tout à fait surprenant que cet aspect du contexte histo­rique ne soit pris en compte par aucun intervenant, quand il est question de procès devant le préfet romain de Judée, de condamnation à mort et d’exécution capitale. (1)
    S’ils souhaitaient « secouer » au maximum le télé­spectateur, pourquoi n’y a-t-il aucune référence au Discours vrai du philosophe païen Celse ? Selon celui- ci, les juifs accusaient Jésus d’être « un faux prophète avéré », et de plus « un enfant illégitime » (2). Du reste, il est étonnant que ces thèses juives ne soient pas explicitées, quand il est question d’un procès de Jésus devant le Sanhédrin, et dans une émission qui critique... l’antijudaïsme chrétien. (3)
    De plus, si ces « accusations » ont un fondement historique, plusieurs problèmes se résolvent d’eux-mêmes. Cela explique que les prêtres du Temple aient pu reprocher à Jésus de s’être déclaré « fils de Dieu » : dans un tel cas même « fils d’Abraham » aurait été un « blasphème », puisqu’étant illégitime – donc « impur » – le « bâtard » n’était pas un membre à part entière du « peuple » – les « purs » descendants d’Abraham – et était a fortiori exclu des « fils de Dieu » – titre décerné aux « justes », aux prophètes et aux rois. Cela explique que le Sanhédrin ait pu lui faire un vrai procès (4). On comprend sur quoi s’est fondé Saul de Tarse pour persécuter tout spécialement les juifs convertis à Jésus-Christ : ils adoraient un « blasphémateur » du judaïsme (pour les ex-païens, Jésus était « seulement » un « criminel politique ») ; et surtout pourquoi, une fois converti lui-même, il enseigna que les chrétiens ne devaient pas se préoccuper de la vie de Jésus (celle-ci restait à ses yeux « un scandale pour les juifs »). (5)

    S’ils souhaitaient vraiment « créer une frustration » en évitant de fournir de telles « réponses » toutes simples (6) pourquoi Mordillat et Prieur ont-ils, tout au contraire, apporté plus de réponses que de questions dans le sixième et dernier sous-thème ?

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(1) Cela a dû surprendre aussi les réalisateurs. C’est en voix off qu’on entend : « Les accusations des Grands Prêtres paraissent faibles au regard de leur propre Loi, et plus faibles encore au regard du Droit romain ». Il faut ouvrir le livret correspondant à cette deuxième partie (Procès, p. 40), pour apprendre que ce procès est une « monstruosité juridique » aux yeux de Trocmé.
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(2) Dans la culture grecque en tout cas, un enfant né hors mariage, un enfant « sans père », un enfant que « Dieu sauve » (c’est à dire abandonné, exposé à la charité publique et recueilli, comme le fut Moïse) était un « bâtard ».
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(3) Origène a au moins pris la peine de les citer dans son Contre Celse, même si ce fut pour y répondre par la haine de « tous les juifs de tous les temps » et du « peuple [juif] déicide ».
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(4) Maccoby et Boismard montrent dans la quatrième partie (Pâque) que la date de l’arrivée de Jésus à Jérusalem (et par conséquent celles de son arrestation et de son éventuel procès) est plutôt à situer en automne. Soit au moment de la fête des Tentes, comme ils le soutiennent, soit lors de la fête de la Dédicace (la Hanoucca), comme le soutient Floris, arguant qu’il s’agissait de la commémoration de la purification du Temple par Judas Macchabée (après sa profanation par le suzerain de la Judée, le roi de Syrie Antiochos IV Épiphane, qui l'avait mis à sac en 170 av. J.-C., puis l'avait consacré à Zeus Olympien) et que Jésus se situait aussi dans une perspective de purification dans ses paroles contre le Temple, puis quand il s’est attaqué aux « changeurs » et aux « marchands ».
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(5) C’est la promesse de la résurrection « de la chair » qui constituait « une folie aux yeux des Grecs ». Les philosophes présocratiques avaient montré l’absurdité de cette idée, de manière convaincante aux yeux des Grecs.
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(6) Certains les qualifieront plus volontiers d’« éculées ». Mais ce n’est pas un argument recevable, quand on connaît un peu l’histoire des sciences. On voit parfois repris par des chercheurs de haut niveau certains aspects de vieilles théories, certes contredites pas les travaux contemporains, mais… on n’avait pas pensé que… en réexaminant les choses autrement... il y aurait encore des idées à en tirer ! Copernic s’est prévalu du système « héliocentrique » d’Aristarque, qui avait précédé celui de Ptolémée (système « géocentrique » incontesté depuis 15 siècles). Galilée s’est appuyé sur Platon pour lutter contre la philosophie d’Aristote (figée en orthodoxie « péripatéticienne » depuis deux siècles). Lamarck est aujourd’hui un point d’appui contre les tenants les plus dogmatiques des thèses de Darwin (dominantes depuis 1950 sous le nom de « théorie synthétique de l’évolution »). Etc.
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Paris, le 21 juin 1997




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tb013023 : 02/01/2018