ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Pierre Curie
Le roman inachevé d’un utopiste
Bruay-en-Artois (1956-1960) :
la paroisse réformée de Bruay-en-Artois
Sommaire
Prologue
Introduction
Clermont-l’Hérault
Saint-Quentin
Bruay-en-Artois
-
Introduction
-
Le pays
des mines
-
L’évangélisation
du pays
-
La paroisse de Bruay
-
À l’écoute
des hommes
-
Échec
et mat
Tourcoing
La crise
Épilogue
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0
o - . . . . . . . .
Quand nous nous sommes installés à
Bruay-en-Artois, nous avons été confrontés à une situation paradoxale. Ce poste ancien de la Société chrétienne du
Nord n’était vraiment ni une de ces Fraternités décrites précédemment
(1)
, ni une paroisse de l’Église réformée de
France, et cependant il avait l’apparence de l’une et de l’autre. D’autre part sa dispersion géographique et humaine lui donnait une physionomie complexe et hétérogène.
À l’extrémité occidentale du bassin houiller du
Pas-de-Calais,
Bruay, vaste cité minière en crise qui comptait à l’époque environ trente mille habitants, s’étage sur les collines de
l’Artois.
Au centre de
la ville se dresse, dans une rue étroite et pentue terminée par des escaliers (d’où son nom), le petit temple de l’Église réformée, contigu au presbytère. La faible communauté protestante de
Bruay (une trentaine de familles) était composée de quelques commerçants, d’employés des Houillères, petits cadres administratifs et contre-maîtres (porions) et de très peu d’ouvriers du fond. Ils constituaient une classe moyenne qui exerçait dans la paroisse une influence sociale et morale prépondérante, donnant au témoignage évangélique une certaine couleur conservatrice.
À une quinzaine de kilomètres vers le centre du bassin houiller, à l’est, en lisière de la paroisse de
Liévin, deux petites bourgades minières,
Barlin et
Hersin-Coupigny, constituaient une annexe humainement homogène. En effet, la dizaine de familles protestantes qui y résidaient était presque exclusivement formée de mineurs de fond, de situation très modeste.
Quelques autres familles (sept à huit) d’origines diverses, fonctionnaires, employés, retraités, se trouvaient disséminées à l’ouest de
Bruay, vers
Auchel et
Lillers, petites cités implantées en secteur rural vers la côte, et à une dizaine de kilomètres au nord dans la ville de
Béthune, sous-préfecture du département.
En réalité, seul un lien formel unissait le centre paroissial de
Bruay à l’annexe ouvrière de
Barlin-
Hersin, ainsi qu’aux disséminés. D’ailleurs, vestige des temps anciens, un baraquement en forme de temple était destiné à rassembler les familles de l’annexe de
Barlin.
Complexité aussi des relations entre les membres de cette communauté qui avait connu, comme toutes celles du bassin minier, ses heures fastes aux débuts de l’évangélisation du pays, et qui se trouvait maintenant en période de déclin démographique et spirituel. Les différents groupes sociaux, en particulier classe parvenue et mineurs de fond, s’ignoraient ou se jugeaient mutuellement.
Sur le territoire de
Bruay, à environ deux kilomètres du centre urbain, au cœur d’une cité ouvrière et à proximité d’un puits de mine, était implanté un Foyer, vestige d’une ancienne Fraternité. Sur un vaste terrain clos, deux bâtiments avaient été édifiés pour servir, l’un de salle polyvalente ouverte aux multiples activités d’une Fraternité populaire, et l’autre de presbytère confortable pour l’époque.
Désormais privée de son objectif initial par la crise minière, ses activités étaient tombées en désuétude. Cette ancienne Fraternité fut alors reconvertie en foyer d’accueil pour des mineurs célibataires originaires de plusieurs secteurs du bassin minier.
Marcel Dumets, son directeur laïc, y faisait écho en ces termes, en décembre 1956, dans les colonnes du
Nord Protestant
: «
Le Foyer du mineur a accueilli son premier pensionnaire le vingt-sept mars 1953. Depuis ce jour, quarante-trois hommes de plusieurs nationalités sont venus s’abriter sous son toit. Ces hommes sont entrés directement ou indirectement en contact avec l’évangile. Chacun sait dans le Foyer que c’est
Jésus-Christ qui est le
Seigneur, même si tous ne le confessent pas. Chaque quinzaine une étude biblique a lieu. Espérons que bientôt des pensionnaires se joindront à notre recherche… La lutte contre l’alcoolisme se poursuit avec l’aide des membres du Foyer. Une quinzaine de victoires complètes ont été remportées sur les buveurs. Nous sommes dans la reconnaissance en voyant agir la main du
Seigneur, alors que bien souvent tout paraît désespéré. Aujourd’hui, nous comptons beaucoup sur la paroisse de
Bruay pour témoigner auprès de nos hommes
».
Quelques mois plus tard, en juin 1957, à l’occasion de l’assemblée générale du Foyer,
il précisait : «
Le Foyer est une préfiguration de
l’Europe unie, puisque nous allons de
l’Espagnol au
Polonais, en passant par le
Français et
l’Allemand
».
Le langage employé par
ce directeur, lui-même du
Nord et très influencé par sa jeune femme suisse, était révélateur de l’orientation donnée à ce Foyer, et qui s’accordait aux traits précédemment décrits
(2)
de l’évangélisation protestante des Fraternités : piétiste, morale et sociale, dont l’œuvre antialcoolique de la Croix Bleue était exemplaire.
Le Foyer du mineur était géré par un comité dont le président de l’époque,
Marcel Guérin, ingénieur des mines, était aussi membre du conseil paroissial de
Bruay. Avec un autre membre ouvrier résidant dans la cité de la fosse 6,
il a été à peu près le seul à répondre au vœu
du directeur qui comptait beaucoup sur le soutien des membres de la paroisse de
Bruay !
Hélas, ce Foyer allait bientôt connaître d’importantes difficultés, dues sans doute à l’environnement économique de la région (on n’avait pas prévu en 1953 que les puits de
Bruay allaient fermer les uns après les autres dans les cinq années suivantes), mais aussi à la vétusté des locaux qui exigeaient de coûteuses réparations (toiture…), à la lassitude du petit nombre de donateurs et au refus des Houillères de le subventionner.
Au cours de l’assemblée générale de 1957,
le président du comité exprima son inquiétude : «
Le comité a vécu la hantise du déficit des exercices précédents et différé les dépenses nécessaires. Il reste beaucoup à faire, et le Foyer ne pourra continuer que s’il a davantage d’amis qui pensent à lui
».
En 1958, le Foyer du mineur dut cesser son activité ;
son directeur abandonna ses fonctions, mais y logea encore avec sa famille. Il s’avéra impossible, dans ce secteur en crise, de trouver un acquéreur pour ces bâtiments vétustes.
Nous allions devoir leur trouver une utilisation nouvelle, même provisoire.
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(1)
Voir
(2)
Voir
1992
tc423000 : 16/07/2019