ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie


Le roman inachevé d’un utopiste





Bruay-en-Artois (1956-1960) :
échec et mat ?


Sommaire

Prologue

Introduction

Clermont-l’Hérault

Saint-Quentin

Bruay-en-Artois
- Introduction
- Le pays des mines
- L’évangélisation du pays
- La paroisse de Bruay
- À l’écoute des hommes
- Échec et mat

Tourcoing

La crise

Épilogue




. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

   Au fil de ces quatre années, bien des motifs de tension provoquèrent l’éloignement, progressif ou brutal, de nombre de protestants, essentiellement à Bruay. Parfois des comportements anodins comme celui de cette paroissienne un peu trop zélée, qui insistait auprès du pasteur pour nouer le rabat de la robe avant qu’il ne monte en chaire le dimanche, et qui s’est vue à plusieurs reprises éconduite gentiment de cette tâche qu’elle considérait comme un témoignage de sa foi. D’autres motifs furent plus sérieux, comme l’attitude de ce père qui éconduisit son fils, ce qui provoqua la rupture entre sa famille et le pasteur et l’éloigna définitivement de la vie de la paroisse. Je citerai encore la colère de cette autre famille de Bruay qui, à l’occasion d’une fête de Pentecôte, avait insisté pour que l’une de ses filles soit reçue dans l’Église parce qu’elle estimait qu’elle avait l’âge requis pour « faire sa com­munion » et que la fête de famille avait déjà été programmée ; cette famille, déjà marginale, s’éloi­gna aussi de la vie paroissiale parce que le pasteur avait fermement conseillé à cette adolescente, qui ne prenait aucun intérêt à l’instruction religieuse, un délai de réflexion d’une année.
   Certes, il convient aussi de na pas omettre les maladresses de la part du pasteur. Mais la désaf­fection se manifesta chez la plupart des protestants de Bruay au moment où un engagement public de conscience leur a été demandé contre la pratique de la torture en Algérie. Sans doute faisaient-ils partie de ces « Français moyens » qui jugeaient des Français incapables de commettre de telles exactions ! Ils estimèrent, en tout cas, en leur conscience protestante que « l’Église ne devait pas faire de politique » et que le pasteur avait semé la zizanie dans la paroisse.

   En quelques semaines, le vide se fit autour de lui : le culte fut déserté par la plupart, beaucoup d’enfants s’abstinrent définitivement de participer à l’instruction religieuse, les autres activités de la paroisse périclitèrent. Il n’en fallait d’ailleurs guère, vu que le nombre des familles bruaysiennes était des plus faible et que beaucoup d’entre elles vivaient depuis longtemps en marge.

   C’est ainsi qu’un jour du printemps 1960, le secrétaire général de la Société centrale d’évangéli­sation, le pasteur Jean-Paul Benoît, qui avait eu ces mots à notre égard : « je préférerais lui payer une année de salaire pour qu’il parte… » nous adressa de Paris le conseil impératif de cesser notre ministère à Bruay-en-Artois dès le premier juillet suivant.

   Alors, échec et mat ?

   Échec, sans aucun doute. De toute évidence, la parole attestée et l’action menée pendant ces quatre années n’étaient attendues et souhaitées ni par les protestants implantés dans la ville de Bruay, ni par les autorités ecclésiastiques, qui n’eurent même pas le désir ou la curiosité de s’informer à la source : une certaine « notoriété » ne me précédait-elle pas depuis Clermont-l’Hérault et Saint-Quentin ?

   Alors, mat ? Avant de prononcer cet arrêt, interrogeons les événements qui ont suivi mon départ.
   Pendant les trois années qui suivirent, de juillet 1960 à septembre 1963, le poste laissé vacant fut desservi par plusieurs pasteurs du bassin minier, de Liévin, Lens et Arras. Ils y maintinrent le « minimum vital » : le culte, l’instruction religieuse et quelques visites aux familles. En 1963, le pasteur d’Arras estimait la fréquentation moyenne du culte à vingt personnes, et une quinzaine d’enfants à l’instruction religieuse. Les messages avaient retrouvé le style du piétisme, par exemple celui-ci en mars 1963 : « L’union de Jésus-Christ et du fidèle, c’est tout le mystère du salut. Jésus-Christ, le saint et le juste, est sorti de lui-même pour s’identifier à nous jusqu’à porter nos péchés. Voilà la grâce, voilà la rédemption. À notre tour, nous pécheurs, nous sortons de nous-mêmes pour nous identifier à Jésus-Christ et nous approprier sa justice et sa sainteté. Voilà la foi, voilà la vie chrétienne, et voilà aussi le secret de l’exauce­ment ».
   En octobre 1963, un nouveau couple pastoral, celui du pasteur François Brémond, s’installa au presbytère de la rue des Escaliers. Avec lui fut reconduite en alternance l’évangélisation revivaliste, morale et sociale des anciennes Fraternités.
   Piétiste, ce message délivré dès son arrivée : « Ce dimanche 6 octobre est dans l’année ecclésiastique le dimanche avant la fête des récoltes » et le texte d’adoration lu au cours de la liturgie fut les mots du Psaume 121 « « je lève mes yeux vers les monta­gnes : d’où me viendra le secours ? » Le secours me vient de l’Éternel qui a fait les cieux et la terre annonçant déjà que celui qui se confie au Dieu créateur de toutes choses ne peut être déçu dans son attente ». En novembre 1963, il poursuit : « Célébrer Noël, c’est revivre intensément toute la joie que peut éprouver un foyer lors de la naissance. Avant, c’est l’attente : on s’y prépare dans la sérénité, nos cœurs doivent s’ouvrir dans la simplicité pour recevoir comme à nouveau ce message de Noël. Après, l’événement passé doit grandir parmi nous, et nous apporter sa vitalité, son énergie ». Enfin, en novembre 1964 : « Louez l’Éternel ! Toutes les formes de louange conviennent au Créateur, surtout lorsqu’elles partent d’un cœur sincère et d’un sincère désir de la servir mieux ».
   Évangélisation morale, aussi. En février 1965, il est rappelé aux protestants de Bruay que leur devoir de contribuables par l’impôt est « chose sérieuse », qu’il « nous faut examiner devant Dieu »… « Il est urgent qu’en ces temps mauvais où l’argent et la tromperie règnent en maîtres nous, protestants, qui mettons notre confiance dans la Bible seule comme parole de Dieu, nous soyons des hommes sur lesquels on puisse compter… Si Jésus a souffert et subi l’ignominie de la croix, ce n’est pas pour que les chrétiens aient la partie belle. Il l’a prédit lui-même : les temps de la fin seront des temps difficiles, des temps où les mœurs seront relâchées » (février 1965).
   Évangélisation sociale, enfin. Citant la parole de Jérémie 29:7 : « Recherchez le bien de la ville… parce que votre bonheur dépend du sien », il est souhaité que les protestants bruaysiens se transforment en « bâtisseurs » : « Sortons de notre léthargie, cessons de gémir parce que nous sommes trop peu nombreux… Redoublons d’efforts pour semer l’évangile et arroser ce qui germe et pousse déjà. Transformons-nous en bâtisseurs afin d’amélio­rer et rajeunir les locaux d’Église pour les rendre plus accueillants aux nouveaux venus… C’est faire du bien à la ville de Bruay que d’aller à contre-courant de la régression générale » (mai 1964). Action sociale aussi auprès des jeunes de quinze à vingt ans par la création d’un club « Bruay rencontres et loisirs », en commun avec l’équipe aînée des Éclaireurs de France de la ville (octobre 1964).
   Toutefois, le « souffle différent » de cette évangélisation revivaliste a-t-il modifié les attitudes et le comportement du plus grand nombre ? On peut s’interroger en écoutant les appels et les avertis­sements : « Il me semble que beaucoup devraient faire un effort de régularité dans l’assistance au culte. Le culte n’est pas une réunion mondaine où l’on vient faire acte de présence de temps à autre pour montrer qu’on fait partie de l’Église qui l’organise… Ceci est aussi valable pour les enfants participant à l’école du dimanche et aux caté­chismes… Votre rôle de parents consiste à donner l’exemple à vos enfants et, pourquoi pas, à user de votre autorité à leur égard » (juin 1964).

   Puis le pasteur François Brémond quitta aussi Bruay-en-Artois et ne fut jamais remplacé. Ce poste connaît, à ce jour encore, le sort d’autres paroisses réformées du bassin minier du Pas-de-Calais (comme Hénin-Liétard, Lens, Oignies…) : il fut intégré à un plus vaste ensemble territorial confié à un seul pasteur, celui de Liévin.

   Alors, échec et mat ? Peut-être, mais pour qui, et pourquoi ?



1992




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