Sommaire
Préface
Quittez un monde bon
Vivre la foi dans le siècle
Présence de l’Église au monde
Église en dialogue avec le monde
- Quête du Christ
. Dialogue Église-monde
. Le monde, lieu de souveraineté de Dieu
- Église et vérité
- Expression de la souveraineté de Dieu
- Dialogue Église-monde
- Que signifie dialoguer
- Marche vers l’unité
- Scandale de la division
- Dialoguer aujourd’hui
- Parole et image
Itinérance : une quête du sens
Croire au-delà des perplexités
En écoutant l’Alléluiah d’Hændel
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Le monde comme lieu de la souveraineté de Dieu : qu’est-ce que dialoguer ?
Comment l’Église est-elle alors en dialogue avec le monde, afin de chercher Christ dans le monde ? Le dialogue, évidemment, ne se réduira jamais au statu quo, à l’immobilisme : il n’est pas un monologue à deux ou à plusieurs, dans lequel chacun reste le prisonnier de sa thèse, étant certain de détenir la vérité. Le dialogue de l’Église et du monde devra partir de cette réalité première que, si le Christ est le seigneur du monde, la vérité qui est en Christ est en devenir : une vérité dynamique. N’est-ce pas la signification néotestamentaire de « l’œuvre du Saint-Esprit » ?
Dialoguer consistera donc en un constant « déracinement » en vue d’un nouvel « enracinement » ; ce sera courir un risque, faire un pari. Dialoguer sera signe de la foi, « assurance des choses qu’on espère, démonstration de celles qu’on ne voit pas » (He 11:1). Dialoguer sera l’attitude des serviteurs fidèles de la parabole des talents ( Mt 25), dont la fidélité a été mise en évidence dans le risque couru en « confiant l’argent aux banquiers », alors que l’infidélité du « serviteur paresseux » a consisté dans sa peur du risque et la conservation intacte du talent confié.
Dialoguer sera, en conséquence, accepter d’avoir avec soi quelqu’un d’autre que soi, acceptant que cet « autre » soit pleinement lui-même. Ce sera reconnaître délibérément que nous sommes ensemble, sur un pied d’égalité devant le Christ seigneur du monde, manifesté en Jésus de Nazareth et dont la vérité apparaîtra dans la dialectique de l’amour, à travers la trame complexe des événements de l’histoire humaine. Dialoguer sera reconnaître que cette vérité ne pourra jamais être possédée, rendue captive d’une manière ou d’une autre, mais toujours à partager au même niveau dans l’histoire humaine.
Dialoguer – cela devient clair – ce sera accepter les tensions et les affrontements pour entrer dans une dialectique dynamique : il se trouve, en effet, qu’une « thèse » (ma position, ma situation, ma compréhension des choses et des événements… et de la vérité) rencontre une « antithèse » (la position, la situation, la compréhension que l’autre a des choses, des événements et de la vérité). À ce point, le dialogue n’est pas encore engagé ; ce n’est encore qu’affrontement et tension.
Entrer dans le dialogue exige un dépassement de la thèse et de l’antithèse, afin que l’amour puisse surgir dans ce dépassement, dans cette « mort » pour l’autre. Dans une synthèse originale, mais provisoire, dans laquelle la tension sera réduite, l’aliénation vaincue, ne sera-t-il pas possible de discerner un moment de surgissement du Christ dans l’histoire par le moyen du dialogue ? Quelque chose de l’unité du monde réconcilié et de l’humanité récapitulée sera donné.
Comment rendre possibles ce dépassement et cette synthèse ? Il importera de situer dans le vécu historique, dans l’analyse des circonstances et des conditionnements humains les tensions, les lieux de rupture, afin de déterminer les causes de l’aliénation : existentielle (solitude, ghetto), sociale (lutte de classes, conflits de générations), internationale (points chauds dans le monde, tensions entre nations ou blocs de nations), interraciale (racisme), etc. Autant de lieux de rupture de l’unité du monde et de l’homme, autant de déchéances de l’amour, autant d’atteintes portées au Christ, seigneur du monde. Les caractéristiques de cette analyse devront être la lucidité et la rigueur. Alors la synthèse sera possible dans le monde où l’invention et l’imagination créeront un langage commun, inédit, surprenant, et des attitudes, des comportements, des actes, « justes », c’est-à-dire libérateurs des tabous et des mystifications, des servitudes aliénantes.
Le billet de l’apôtre Paul à Philémon offre un bon exemple de ce dialogue. Voici la « thèse » : Philémon est un maître antique, et « l’antithèse » : Onésime est un esclave qui vient de le voler. Entre eux un véritable dialogue n’est plus possible. « Onésime – écrit Paul – autrefois t’a été inutile » (Phm 11). Cependant, le Christ a surgi en Onésime comme il avait autrefois surgi en Philémon. Pour cette raison existe désormais entre le maître et l’esclave un langage commun : la surprise de l’amour a rendu possible une création nouvelle. « Peut-être a-t-il été séparé de toi pour un temps, afin que tu le recouvres pour l’éternité, non plus comme un esclave mais comme un frère bien-aimé » poursuit Paul (Phm 15).
Une synthèse inédite, bien que provisoire, est opérée entre la thèse et l’antithèse, entre la condition du maître et celle de l’esclave. Synthèse provisoire, néanmoins, puisque l’esclavage n’est pas encore juridiquement condamné par l’apôtre, ni aboli socialement dans la société antique dans laquelle l’Église venait de naître. Cependant le processus historique était engagé irréversiblement : le sel de l’amour était introduit dans la condition aliénante de la société esclavagiste. Le Christ vivant avait surgi dans le moment du dialogue entre Philémon et Onésime, promesse de nouveaux dépassements et de nouvelles synthèses.
Aujourd’hui, lorsque des athées ou des marxistes rencontrent des chrétiens, le point de la tension se situe au niveau de la critique de la religion comme aliénation de l’homme. Pour atteindre à un véritable dialogue entre les uns et les autres, il importe que les chrétiens écoutent les marxistes ou les athées, afin de recevoir cette critique radicale comme la mise en question fondamentale de la vérité que les chrétiens prétendent détenir. Cette mise en question de l’Église, si elle est reçue par les chrétiens comme une analyse « juste », libératrice des mystifications religieuses et des idéologies aliénantes, devient déjà signe de dépérissement de l’Église comme « puissance » et comme institution détentrice de la vérité. Cette mise en question reçue comme juste offre la possibilité d’une nouvelle approche de Dieu, non plus « au ciel » dans son être achevé surplombant l’humanité du haut de sa transcendance, mais dans son devenir pour les hommes, surgissant dans la relation d’amour de l’homme pour les autres.
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