Le récit de Matthieu :
Le rêve de Joseph
«
Voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe… » (
Mt 1:20).
Dieu, le Sujet au-dessus de la loi, vient au secours de
Joseph par un
ange, auquel il confie trois annonces : que
Marie est enceinte du
Saint Esprit ; que l’enfant dont elle accouchera sauvera les hommes de leurs péchés ; que sa virginité est proclamée par les Écritures : «
Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie comme femme : car celui qui a été engendré en elle vient du Saint Esprit : elle enfantera un fils et tu l’appelleras du nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (
Mt 1:20-21).
À la suite de cette apparition, le texte affirme que
Joseph prend
Marie avec lui comme épouse (
Mt 1:24). Mais arrêtons-nous sur ce message pour en connaître le sens avant de l’inscrire dans le contexte. Ce que
l’ange annonce est le condensé du message des évangiles, la charte de foi de la religion chrétienne. Pour éclairer le récit, je m’exprimerai ainsi.
Tout en condamnant les hommes à une vie mortelle comme peine du péché originel,
Dieu décide de leur pardonner et de leur envoyer un
Sauveur dans la personne de son
Fils. En
Dieu il y a donc une trinité –
Père,
Fils et
Esprit – et c’est le
Fils qui s’incarne dans le sein de
Marie sans copulation, mais par son incarnation.
Marie est donc enceinte, mais elle n’est pas blessée, comme elle aurait dû l’être selon la condamnation que
Dieu inflige à la femme (
Gn 3:16) : elle demeure vierge. Ainsi
Jésus naît
d’elle sans lui faire souffrir les peines infligées à toutes les mères. C’est que l’homme qui se forme en
elle n’est pas un pécheur, mais le
Sauveur des pécheurs :
Jésus.
Dans sa vie comme prophète,
l’enfant de
Marie manifestera son origine divine par des miracles, qui annonceront la libération de l’homme des conséquences du péché, comme aussi de la maladie et de la mort. Il mourra en sacrifice expiatoire du péché originel et ressuscitera pour suivre le chemin que les hommes devront parcourir pour atteindre l’immortalité et la béatitude des origines.
On comprend ainsi pourquoi l’évangile fait apparaître au frontispice du chapitre de la naissance de
Jésus
Marie, sa mère, comme
vierge enceinte.
Elle est le symbole de la libération de l’homme du péché par l’œuvre de
son fils.
Joseph est informé par
l’ange que
sa femme, ayant été mise enceinte par
l’esprit de
Dieu, n’a pas été violée. Il doit donc renoncer à la répudier et conclure son mariage avec
elle, en faisant implicitement croire que
l’enfant est de lui. Il n’aurait pas pu, d’ailleurs, le présenter publiquement comme
fils de
Dieu, parce qu’alors il n’aurait pas pu échapper à la peine de mort.
Quant à nous, nous serions contraints, nous aussi, de renoncer à la conviction que
Marie avait été violée ? Si
l’ange a pu convaincre
Joseph aisément, il trouvera chez nous un grand obstacle, car nous sommes dans l’obligation d’exiger de lui la preuve de l’authenticité de son apparition, et donc de la vérité de son message. Mais ne l’a-t-il pas donnée ? Si c’est ainsi, cherchons à le mettre en évidence.
Il s’agit de l’apparition
d’un ange à
Joseph et de son annonce que
Marie avait été mise enceinte non par des violeurs mais par le
Saint Esprit. Pourrions-nous ne pas y croire ?
N’oublions pas que, dans le troisième évangile, les
apôtres ne croient pas aux femmes venues leur annoncer que
des anges étaient apparus annonçant que
Jésus était ressuscité (
Lc 24:9-11), et qu’ils vont au tombeau chercher les signes de la résurrection. Nous pouvons nous aussi ne pas croire et rechercher la vérité de cette apparition par ses signes.
Or nous constatons que ce n’est pas
Marie qui a annoncé sa fécondation par le
Saint Esprit, mais l’évangile, à partir du code de foi de l’événement de la rédemption. Le
Joseph historique n’aurait pas pu le comprendre puisque cette affirmation aurait été considérée comme blasphématoire : pour la reconnaître comme parole de
Dieu, il fallait attendre l’évangile, et que
Joseph en devienne le personnage.
Il y a une deuxième raison qui nous oblige à affirmer que le changement de conviction de
Joseph ne relève pas des faits mais de la narration de l’évangile. L’apparition de
l’ange à
Joseph se passe «
en rêve » (
Katonar) et non en état de veille. Or il n’est pas nécessaire d’aller aux profondeurs de la psychologie pour affirmer qu’en rêve il ne se déroule pas des actions réelles, mais des jeux d’imagination dans le but de sublimer ou de refouler des faits accomplis en état de veille. Sous ce point de vue, ce trait du récit confirme la compréhension initiale de
Joseph sur la fécondation de
Marie : elle avait été violée.
On pourrait objecter que le texte peut se lire d’une autre façon, car on y affirme de
Joseph «
Comme il y pensait, voici un ange du Seigneur lui apparait » (
Mt 1:20).
L’ange lui apparait donc tandis
qu’il pensait. Il s’agirait donc d’une révélation de
Dieu pour
lui et non pour le récit.
L’ange, donc la révélation, vient à son esprit, quand il pensait à la situation de
Marie et cherchait un plan pour y remédier.
Joseph était donc en veille et non «
en rêve ».
Mais comment se fait-il que
Joseph tombe en sommeil juste au moment où
l’ange lui apparaît ? Sans doute, dira-t-on, afin que
l’ange
lui apparaisse en rêve ! On dirait que le rêve
lui a permis de refouler la réalité de la fécondation de
Marie par viol et de son plan de sauvetage, et de transformer ce viol en une fécondation par le
Saint Esprit, dictée par le code de foi. Mais ce code est celui de
l’écrivain et non du
Joseph réel.
Au cas où le lecteur ne serait pas tout à fait satisfait,
l’évangéliste recourt à une dernière argumentation, qui devrait ôter tout doute : la
référence aux Écritures.