ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


L’écriture  des  évangiles




L’a priori de la foi en Jésus-Christ :

De l’interrogation au scandale




Sommaire

Introduction

La foi en Jésus-Christ
- De l’interrogation au
   scandale

   . Jésus, figure
     contrastée
   . Le drame des
     disciples

- Du scandale de la croix
   à la résurrection
- La confession : Jésus
   est le Christ
- Les apparitions de
  Jésus ressuscité

Mort et résurrection

Refoulement et sublimation de Jésus

Tournant historique de l’Église

Naissance de l’anti évangile

De l’Évangile aux évangiles

Structure de l’anti évangile

Structure des évangiles

Le Jésus de l’histoire

Genre littéraire et genre référentiel



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Le drame des disciples,
de l’interrogation au scandale


   En lisant les évangiles, émus du drame de Jésus, nous négligeons celui des disciples : prêts à les excuser, nous ne leur épargnons pas la condamnation. Et pourtant, leur drame aussi fut tragique, les allusions que nous avons faites à leur état d’âme peuvent nous introduire dans la connaissance de ce drame.
   Même si nous l’approfondirons dans la troisième partie de ce livre, il convient ici de suivre le déroulement du drame qui trace une ligne parabolique.
   La première période de celle-ci fut montante. Des événements étonnants se passèrent : les vocations, les prodiges de guérison et d’exorcisme opérés par Jésus, l’expérience surprenante de se découvrir « pêcheurs d’hommes ».
   Le plateau apparut dans la deuxième période, à la suite de l’expérience de colportage dans une stratégie qui prévoyait d’atteindre les familles après avoir touché les masses. Or cette expérience fut décevante, et il est légitime de penser que les disciples durent plus souvent secouer la poussière de leurs pieds devant les portes qui se fermaient qu’entrer dans les maisons. Par contre, ils furent pourchassés par les pauvres et les déshérités, qui ne pouvaient pas les recevoir parce qu’ils avaient eux-mêmes besoin d’être reçus. À leur retour probablement hâtif, Jésus, comprenant l’échec et prévoyant leur afflux, eut la finesse de les éviter en quittant les lieux. Mais ce fut inutile, car il fut vu et suivi. Et là, dans un lieu désert, la crise éclata.
   Ce fut la rupture de Jésus avec le peuple. Discrédité, sous le coup d’un mandat d’arrêt, il dût s’enfuir, arrêter son œuvre d’évangélisation et même quitter la Galilée. La confiance de ses disciples en fut ébranlée.
   Les textes de Marc laissent entrevoir cette crise entre les lignes : le silence des disciples et leur détresse, leur peur et les reproches que Jésus leur adresse au sujet de leur « dureté de cœur ». Comment leur foi aurait-elle pu rester intacte si la foi de leur maître semblait faiblir ? N’avait-il pas lui aussi peur ? N’était-il pas en fuite dans des pays païens, indécis sur son orientation future ? La lecture du texte de la multiplication (voir l’étude détaillée) montre que les disciples subirent le choc le plus troublant par l’attitude de Jésus face au défi des pharisiens. C’est qu’ils attendaient, eux aussi, le « signe » venant du ciel, or Jésus n’avait pas donné de signe, et en plus il les avait écartés pour qu’ils ne puissent pas constater son impuissance. Mais celle-ci éclatait au grand jour dans son comportement de peur et de fuite.
   Lorsque Jésus décida d’aller à Jérusalem, ils lui résistèrent : par ce voyage, n’allait-il pas à la rencontre de ses persécuteurs et de la mort ? Ils le suivirent cependant, dans l’espérance, peut-être, que le « signe » tant attendu aurait été donné dans la ville sainte. Mais par tous ses détails et par sa fin, ce séjour devint le signe qui le condamnait au nom de Dieu. D’abord son arrivée à Jérusalem, qui fut quasi clandestine et de toute façon ignorée par le peuple ; son comportement ensuite, qui fut contradictoire parce que polémique et environné de circonspection et de peur, courageux au départ, mais entaché de lassitude et de dépression.
   Son attitude à Béthanie (voir étude) envers la femme qui lui avait oint la tête et les pieds fut sans doute la goutte d’eau qui transforma la crise en « scandale ». Comment se permettait-il cette réjouissance dans un moment de crise et de danger ? Ne donnait-il pas à ses adversaires un motif de fonder leurs accusations ? Pouvait-il permettre de faire dépenser une somme folle pour son plaisir, quand il s’était lancé contre les riches pour les pauvres ? Aux yeux de plusieurs, cet événement fut une lâcheté et une trahison de son propre message, qui manifestait son imposture. Pour d’autres, elle fut le signe d’une crise et d’une lassitude, et peut-être fut-elle ressentie comme une énigme, qui ne faisait qu’accentuer leur situation de crise et de méfiance.
   Les jours qui suivirent montrèrent de plus en plus que Jésus lui-même ne se faisait plus d’illusions sur son sort : la lassitude fut suivie par une dépression qui l’enfonça dans une expérience de mort.

   La fuite des disciples lors de son arrestation confirma dans les faits une rupture qui s’était déjà opérée dans les âmes. Un seul disciple – si l’on excepte les femmes, qui aiment en dehors de toute idéologie – voulut encore le suivre : Pierre. Matthieu affirme : « Pierre le suivit de loin, jusqu’à la cour du souverain sacrificateur, pour voir la fin » (Mt 26:58). Attachement ? Curiosité ? Ou bien fidélité jusqu’à la limite du croyable ? Le mot « fin » (telos) que Matthieu emploie me pousse à cette interprétation. Pierre fut le dernier des disciples qui crut encore en lui, mais il le crut dans l’attente du signe que le Christ caché en lui pût se détacher de son incognito pour se faire connaître dans toute sa puissance. Hélas, le Christ ne se manifesta pas. Quant à lui, il parvint à le renier : « Je ne connais pas cet homme » (Mt 26:72 ; 74). Cette affirmation n’était pas un mensonge, car celui qu’il avait connu n’était pas cet homme-là mais une image qui maintenant disparaissait. « Cet homme-là » lui devenait autant étranger qu’il l’était à la serveuse du grand pontife. Et continuant à l’épier « de loin » il vit à la fin le « signe » qui fut la fin de de sa foi et de son espérance.

   Les paroles « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27:46), si elles furent vraiment prononcées par Jésus, marquèrent pour lui l’heure de vérité. Elles nous montrent qu’il avait lui aussi attendu un signe, une présence de son Dieu, le Père, afin d’accréditer son message. Dieu l’ayant abandonné, il mourait en remettant radicalement en question son projet. Il eut seulement le temps de sortir de sa vision grandiose et révolutionnaire et de vivre un instant, sans rêve, sa propre existence.
   Pierre et d’autres disciples qui eurent la force et le courage d’être là ne pouvaient interpréter ce cri – car ce fut ce cri qui enfanta l’homme à la mort – que comme l’aveu de son illusion.
   Si on lit la narration en mettant entre parenthèses l’interprétation théologique qui l’accompagne – la représentation de la mort comme manifestation de son messianisme – ce cri marque l’effondrement de la foi en lui : les disciples auraient-ils pu encore croire en lui, alors que Jésus lui-même n’y croyait plus ?

   Mais si ces paroles ne furent pas prononcées par Jésus, elles ne peuvent être comprises que comme une interprétation théologique messianique d’une prise de conscience par les disciples des conséquences tragiques de la mort de Jésus et de la fin de la croyance en lui.



c 1980




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tg01120 : 18/02/2021