Sommaire
GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS
LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU
LECTURE DU RÉCIT DE LUC
L’annonce faite à Marie
La visite à Élisabeth
Le recensement
Couché dans une crèche
Les bergers
Le nom de Jésus
- Introduction
- Le dilemme de Luc
- Les deux sens du nom
La purification
Un homme appelé Syméon
Le signe de la contradiction
L’épée
Anne la prophétesse
Marie gardait ces paroles
CONCLUSION
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Le dilemme de Luc
Nous pouvons poser l’hypothèse que Luc a été tenté de faire imposer le nom de Jésus dans le contexte de sa naissance. Mais qui aurait dû lui donner ? Sans doute Marie, selon l’ordre de l’ange. Cependant, au niveau de l’énoncé du récit, Marie ne se trouvait pas seule mais était accompagnée de Joseph, son époux. Celui-ci aurait-il pu rester tout à fait passif, alors qu’il était le père reconnu de l’enfant qu’il inscrivait par son nom dans la famille de David ?
Luc se trouvait ainsi dans l’alternative de revenir sur l’orientation fondamentale de son récit, ou d’amoindrir encore d’avantage le rôle joué par Joseph, au point d’affaiblir l’unique fondement de l’origine davidique de Jésus. Le mieux était pour lui de déplacer la solution du problème dans un contexte plus favorable.
Luc se heurtait aussi à une autre difficulté, qui provenait du niveau référentiel de son récit. Quoique l’accouchement clandestin de Marie ait été sublimé par le symbole de la crèche, celle-ci laissait toujours entrevoir Jésus dans la situation de solitude et d’abandon propre à l’enfant « inconnu ». Or, si Marie avait donné le nom de l’enfant à ce moment-là, ce nom aurait pu être interprété en relation avec ce contexte. En effet, les femmes imposaient le nom de leur enfant à partir de la souffrance ou de l’espérance qu’elles avaient éprouvées en les concevant.
D’autre part, le nom de « Jésus » était fort équivoque. Reconduit du grec à l’hébreu, il se prononçait « Jéhochoua », signifiant – du moins selon l’interprétation populaire – « Dieu sauve ». Mais qui sauvait-il ? l’enfant, ou bien les autres par l’œuvre future de l’enfant ? Luc se sentait d’autant plus obligé d’écarter la première interprétation qu’en réalité Jésus avait été ainsi appelé parce que sa naissance le faisait enfant sauvé par Dieu, de même qu’elle le montrait enfant « inconnu » et rejeté.
Il convient alors de penser que le nom de Jésus suit, dans le récit, le même sort que sa personne : il est caché sous l’apparence d’un signe. Si l’on fait abstraction de la révélation faite par les anges, les bergers n’auraient pu voir dans le bébé couché dans la crèche qu’un enfant inconnu et abandonné. Voulant aussi le nommer, ils n’auraient pu l’appeler que « Jésus », ou mieux « un Jésus », c’est-à-dire un enfant sauvé par Dieu, de la même façon que, dans des temps plus proches de nous, on appelait en Italie les enfants naturels un « proietti » (un enfant rejeté), un « trovatelli » (un enfant trouvé), un « innocenti » (un innocent), etc.
Si les bergers en savent davantage, c’est qu’ils le connaissent par l’annonce de l’ange, mais tout en le reconnaissant ils ignorent encore son nom véritable. Ils savent qu’il est « sauveur », mais ils ignorent que « Sauveur » (Jésus = Dieu sauve par lui) est son nom. Ainsi demeurent-ils dans un certain sens victimes de l’équivoque de l’énigme. Par ce biais, l’écrivain justifie la nécessité de lier l’imposition du nom à un événement qui lui soit approprié.
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