Sommaire
GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS
LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU
LECTURE DU RÉCIT DE LUC
L’annonce faite à Marie
La visite à Élisabeth
Le recensement
Couché dans une crèche
Les bergers
Le nom de Jésus
- Introduction
- Le dilemme de Luc
- Les deux sens du nom
La purification
Un homme appelé Syméon
Le signe de la contradiction
L’épée
Anne la prophétesse
Marie gardait ces paroles
CONCLUSION
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Plusieurs sens pour le même nom
Dans la loi mosaïque, l’imposition du nom ne faisait l’objet d’aucune prescription, pas plus d’une cérémonie spéciale. La circoncision se faisait le huitième jour après la naissance (Lv 12:3), alors que l’enfant avait déjà reçu son nom.
Cependant la circoncision d’Abraham, considérée comme étant l’événement fondateur du rite, avait impliqué, selon le récit de la Genèse, le changement de nom du patriarche : « On ne t’appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham » (Gn 17:5). Le texte oppose le nom qui doit lui être propre à partir de la circoncision au nom dont il était appelé auparavant. Ce changement, aussi bien sémantique que grammatical, était nécessaire, dans la mesure où Abraham devenait un homme nouveau, puisqu’il devait incarner l’idéal humain exigé par l’alliance.
Luc veut sans doute éclairer la circoncision de Jésus à la lumière de cet événement fondateur, c’est pourquoi elle tire son sens de l’imposition du nom. Il s’agit cependant moins d’un nom nouveau que d’un sens différent du même nom. Peut-être Luc a-t-il voulu souligner qu’en Jésus il n’y a qu’un seul homme avant et après la circoncision : le fils de Dieu.
Mais quoique Jésus fût identique en lui-même, il n’en reste pas moins que son approche était double selon qu’il était saisi par le fait de sa naissance ou par la manifestation de la parole. Ainsi, tout en ayant le même nom, celui-ci prend un sens différent. Le rattachement de l’imposition du nom à la cérémonie de la circoncision peut être alors interprété dans le sens qu’il ne s’agissait pas de donner un nom, mais de comprendre ce nom par rapport à la véritable personnalité messianique de l’enfant.
L’analyse du texte confirme cette interprétation : dans sa traduction littérale, celui-ci dit : « Son nom fut appelé Jésus, tel qu’il fut (appelé) par l’ange, avant qu’il (l’enfant) fut conçu dans le sein maternel » (Lc 2:21).
Il est important de préciser que le sujet n’est pas l’enfant, mais son nom. Cela est conforme aux catégories juives de pensée, où le nom prend une valeur idéale, représentant l’essence de la chose. Dès lors, il est aussi distinct de son « appellation ». Ainsi celle-ci peut varier cependant que le nom, constituant la personnalité de l’individu, demeure immuable. Le texte doit donc être compris dans le sens qu’il ne se rapporte pas à l’appellation de Jésus, mais à la jonction de cette appellation avec le nom, qui définit l’enfant dans sa propre personnalité de Sauveur.
En effet, Luc a le souci de mettre cette imposition du nom au cours de la circoncision en relation avec celle faite par l’ange lors de l’annonce à Marie. Or, que le nom de l’enfant doive être communiqué à la mère enceinte par l’ange était un thème structural, constitutif de la naissance du héros. Puisque ce schéma n’était employé que pour donner un sens à des naissances déjà advenues, ce thème avait la fonction d’interpréter le nom donné par la mère dans le cadre du rôle prophétique auquel l’enfant était destiné par Dieu. Ainsi, quoiqu’à la surface de l’écriture l’ange précède la naissance de l’enfant aussi bien que l’imposition de son nom, en réalité il les suit, puisqu’il ne se situe qu’au niveau de l’interprétation.
On peut admirer l’habileté avec laquelle Luc réussit à donner au fait de la naissance de Jésus un sens théologique, sans le renier dans sa phénoménalité. Alors que Matthieu parvient à sauver Marie, mais au prix d’en nier la personnalité face à celle de Joseph qui devient seul acteur du drame, Luc, grâce au schéma du mythe de la vierge enceinte, fait de Marie un sujet responsable tel qu’elle l’a été dans la réalité : consciente et responsable face à l’annonce, elle l’est aussi dans son accouchement.
Aurait-elle aussi donné un nom à son enfant à partir, comme il se devait pour une femme juive, de l’expérience de sa grossesse ? Luc se tait au sujet de cette imposition mais, puisque ce silence n’est motivé que pour éviter d’interpréter ce nom dans le contexte d’une naissance naturelle, cela prouve négativement que Jésus avait reçu un nom. Luc a préféré l’inscrire dans le cadre du signe. Il est appelé « Jésus », de même qu’il était un enfant couché dans une crèche, mais cette appellation n’est pas à proprement parler son nom ; c’était, certes, le même phénomène « Jésus », mais pas encore joint au nom, c’est-à-dire au sens correspondant à la personne du Sauveur. Il n’avait pour signifié que ce que le signe – la sensibilité du fait – faisait connaître de lui : un enfant sauvé.
Ainsi l’anticipation du nom dans l’apparition angélique et le report de sa proclamation au moment de la circoncision ne sont que moyens littéraires pour conduire à lire dans le nom « Jésus » le sauveur et non l’homme sauvé.
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