ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Jésus le charpentier





Du fils naturel au fils de Dieu :
du fils de Dieu au fils d’une adultère


Sommaire

Du fils naturel au fils de Dieu
Fils d’une adultère
- Fils de Dieu et de David
- Sans père et sans mère
- Fils adultère
  . Traditions
  . Un tel, bâtard
  . Blanchir le tombeau
- Fils de Marie
- Conclusion
La famille de Jésus
Délire ou extase ?
La solitude de Jésus
Qui est ma mère ?

La Métanoïa

Le défi et la crise

La bonne nouvelle




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Le fils d’une adultère :
« blanchir le tombeau d’un bâtard »


   « Ils demandèrent à Rabbi Eliezer : Qu’est-ce qui attend un tel dans le monde à venir ? Il leur dit : vous ne m’interrogez que sur un tel… Quelle est la situation d’un bâtard en ce qui concerne l’héritage ? Quelle est sa situation vis-à-vis du lévirat ? Doit-on blanchir sa maison ? Et doit-on blanchir son tombeau ? – Non parce qu’il voulait donner des réponses évasives, mais parce qu’il n’avait jamais dit un mot qu’il n’avait entendu de son maître ».

   Rabbi Eliezer était un tannaïm, c’est-à-dire un des docteurs qui ont suivi l’école des pharisiens et précédé les compilateurs du Talmud. Son témoi­gnage se rapporte au temps de la rédaction du Nouveau Testament. Plus précisément je dirais qu’il semble correspondre au moment du grand tournant du christianisme, marqué entre autres par l’évangile de Luc et par l’épître aux Éphésiens, où l’Église avait abandonné ses visées eschatologiques pour s’ouvrir à des perspectives historiques (1). Elle ne regardait plus vers le ciel pour y découvrir les signes de la venue du Seigneur, mais s’était mise à agir dans le monde, avec la puissance du Seigneur, pour la libération des hommes. Par ce nouveau comporte­ment de l’Église, Jésus-Christ était projeté dans le monde à venir.
   Or les juifs s’interrogeaient justement sur l’issue de ce grand projet. Il ne s’agit donc pas du Jésus de l’histoire, mais de Jésus dans sa personnalité de Christ. Les juifs ne le nomment pas, pas plus le tannaïm dans sa réponse, mais l’expression « un tel », ou « celui-là » selon les traductions le désignent. Ce projet intéressait les juifs puisqu’il plaçait l’Église dans le sillage direct du prophétisme et du messianisme. D’ailleurs c’est à ce moment-là que l’Église a davantage insisté sur le rôle messianique du Christ, qui accomplissait dans le monde le règne de paix et de justice.
   La réponse de Rabbi Eliezer étonne en raison d’un doute qui porte, certes, sur Jésus et l’Église, mais qui n’épargne pas non plus la certitude de l’espé­rance juive. L’interrogation de Rabbi Eliezer reporte le messianisme de Jésus au fondement de sa propre légitimité. Pour hériter les promesses davidiques, il faut que la personne désignée soit de la descendance royale, or, en dépit de la croyance de l’Église et des généalogies qu’elle apportait pour la soutenir, Jésus n’était pour les juifs qu’un bâtard. Selon la loi « celui qui est issu d’une union illégitime n’entrera pas dans l’assemblée de l’Éternel » (Dt 23:3). Mais le fait que Rabbi Eliezer ne se sente autorisé qu’à douter, sans s’engager dans une condamnation radicale de Jésus, est très significatif : il pouvait trouver dans la Bible des oracles qui pouvaient justifier le transfert du royaume à des bâtards, du fait qu’Israël lui-même n’était qu’un fils de prostitution. Rabbi Eliezer pensait-il à Osée ? Quoi qu’il en soit, son interrogation concernait le christianisme, mais aussi le judaïsme.

   Mais, quant à la naissance naturelle de Jésus, ce double doute de Rabbi Eliezer devient un témoi­gnage de certitude. Il nous donne aussi la possibilité de comprendre que, pour les juifs, la légitimité de la naissance de Jésus devenait l’enjeu de son problème messianique. À cet égard, l’allusion faite au lévirat revêt une importance particulière. En effet, après la destruction de Jérusalem par Titus, l’Église avait pris conscience d’être devenue désormais l’unique héritière de l’espérance juive. La destruction du temple marquait la fin du judaïsme, ainsi que l’avènement du pouvoir de l’évangile dans le monde.
   Si on voulait exprimer cette prise de conscience dans le cadre des catégories juives, on pourrait dire que la fille d’Israël restait veuve et sans enfants, et que le Christ devenait l’héritier légitime qui s’unissait à elle pour en continuer la lignée, il s’agirait d’une catégorie de pensée tirée du statut juridique du lévirat. Mais le Christ pouvait-il s’unir comme époux à la fille d’Israël, lui qui était un bâtard ? Sans doute l’Église avait-elle blanchi la naissance de ce bâtard par la généalogie davidique, elle avait aussi blanchi son tombeau par la foi en la résurrection, mais peut-on blanchir la naissance d’un bâtard, peut-on blanchir son tombeau ?
   C’est l’interrogation fondamentale qui marque les frontières entre judaïsme et christianisme, mais qui constitue pour nous le point d’ancrage d’une critique fondamentale de celui-ci, car cette interrogation marque aussi les limites entre le théologique et l’historique, le rêve et le réel.

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(1) Sur cette période, voir l’étude d’Ennio Floris (c 1975) : Le christianisme entre la préhistoire et l’histoire.   Retour au texte




c 1976




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tk113300 : 15/06/2020