Sommaire
Du fils naturel au fils de Dieu
Fils d’une adultère
La famille de Jésus
Délire ou extase ?
La solitude de Jésus
Qui est ma mère ?
- À Capharnaüm
- La source de Marc
- La question de Jésus
- La nouvelle famille
- La nouvelle réalité
- Le sens des mots
- La souffrance de Marie
La Métanoïa
Le défi et la crise
La bonne nouvelle
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La souffrance de Marie
Avant de suivre Jésus dans la réalisation de son projet humain, il convient de porter notre attention sur Marie, que les textes ont laissée en dehors du cercle des disciples, figée à jamais dans une attente sans réponse. Je serais tenté de croire que les évangélistes se montrent aussi cruels envers elle que Jésus. C’est la seule fois ou Marie – la mère réelle de Jésus et non l’héroïne théologique des évangiles de la naissance – violant l’interdit de la censure, apparaît en chair et en os. Il est normal que les évangélistes aient cherché à détourner d’elle le regard du lecteur, eux qui l’avaient refoulée au niveau du non-dit de leur récit. Cependant, ils lui ont laissé suffisamment de temps pour marquer de sa présence la vie de Jésus.
Nous la retrouvons telle que l’oracle de Siméon l’avait annoncée : l’âme transpercée d’une épée ! Toute sa souffrance de jadis, depuis qu’elle fut trouvée enceinte jusqu’au moment de son accouchement clandestin et de son errance périlleuse, rebondit dans un tragique qui touche à sa personne, mais aussi à la vie et au message de son fils. Elle qui n’avait vécu que pour soustraire son fils à la mort se voit rejetée par lui. De plus, par ce rejet, il se voue lui-même à la mort !
Ce tragique nous permet de comprendre pourquoi Marie avait pris part au complot que ses neveux avaient ourdi contre son fils. Elle était convaincue que la société ne permettrait pas à Jésus de vivre au-delà des limites de liberté qui lui étaient consenties comme bâtard. Le tragique consiste en ce qu’elle voit son fils sur le chemin de la mort tout en étant morte pour lui !
Et la folie de Jésus ? Elle aussi se laisse comprendre par la présence de Marie, qui en devient le témoin le plus frappant et le plus inattendu. Elle porte le tragique au niveau de la crise de conscience de son fils, placé dans l’impossibilité de parvenir à son moi, car aurait-il pu vivre en homme libre sans remettre en question les structures sociales et religieuses qui le tenaient captif ? Dès lors il projette sa propre situation de bâtard en la considérant comme la condition universelle de tous les hommes, qui naissent comme des enfants illégitimes car ils ont justement un père et une mère.
L’idée de cette projection imaginaire lui fut sans doute offerte par Osée, mais chez lui elle cessa d’être une métaphore pour devenir une condition réelle d’existence, en opposition avec les instances juridiques et éthiques de la société.
Marie avait compris cela. Son fils ne pouvait lui apparaître que comme un aliéné : il se plaçait au-dehors du concret, du réel, du possible, pour viser l’impossible croyable !
Nous ne retrouverons plus Marie sur la scène des évangiles. Elle n’apparaît pas, non plus, au milieu des femmes qui, lors de la crucifixion, épiaient de loin, puisqu’elle n’a pas suivi, comme elles, son fils lors des prédications en Galilée.
Et cependant il ne nous est pas possible de comprendre sans elle l’issue tragique de la vie de son fils. L’auteur du quatrième évangile l’a si bien compris qu’il fait apparaître Marie au pied de la croix. Mais est-ce Marie sa mère, ou bien le personnage théologique ? Non ! Marie n’aurait pas pu apparaître sans confirmer que son fils était fou… et elle ne savait sans doute pas qu’il s’agissait de la folie des grands, des créateurs, des révolutionnaires de l’histoire.
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