ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisAutobiographie |
Philosophie et départLe Saint OfficeRetraite fanciscaine |
EN SARDAIGNELE DÉPARTL’ITALIEAu collège d’ArezzoLe Noviciat Philosophie et départ - Du ginnasio aux écoles de philosophie - À l’Angelicum - La visite du Père Pègues - La constitution du centre régional - Sous l’occupation de l’Italie par les nazis - De la théologie à la cri- tique - Le Saint Office . L’enquête . Retraite franciscaine . Le jugement du Saint Office - De Florence à la France PUIS LA FRANCE............................................ |
n attendant d’être appelé pour poursuivre l’interrogatoire ou pour le procès, je fus laissé à Rome, puis envoyé dans un couvent de sœurs à Bibbiena, où je vécus naturellement bien, mais seul avec le confesseur des sœurs et quelques autres prévenus du Saint Office. Le couvent était dans une vallée aux pieds de la Verna, le couvent où Saint François, avec les stigmates, se retira et écrivit – ou dicta peut-être – le Cantique du frère soleil. Et cela fut pour moi une grande excitation poétique, parce que la nature correspondait à cette création d’un Dieu que François chante dans son hymne. Le couvent était contigu à une église du Quattrocento, avec deux Madones, une dans la partie supérieure, toujours voilée, l’autre dans la crypte, en bois de cerisier, du Quattrocento aussi, très belle, légèrement éclairée de jour comme de nuit : la Madone des ténèbres. En face d’elle une grotte où, selon la tradition, on voyait un petit romanichel auquel était apparue la Madone. Je passai les premiers mois immergé dans cette atmosphère franciscaine, qui me semblait descendre doucement sur la vallée de la Verna. Esprit de poésie courtoise, où la nature était médiatrice entre l’homme et Dieu, par une union fraternelle entre les hommes. Je sortais pour me promener dans les champs en répétant « Loué soit mon Seigneur pour le frère soleil, parce qu’il est beau, robuste et fort ! » C’est dans cet esprit que se produisit en moi une scission entre la critique dialectique qui s’était imposée à mon esprit comme prétexte contre la foi, et le désir de paix, de compréhension et d’amour. Ce n’était pas une opposition entre la raison et le sentiment, mais seulement une distinction entre deux niveaux d’intelligence et de compréhension. Mais certes l’esprit critique remuait dans le silence de mon inconscient. Tous les soirs, je descendais dans la crypte pour parler avec la Madone des ténèbres, qui me semblait émettre des reflets de lumière en correspondance avec notre dialogue. Mais un jour, je m’approchai de la grotte du petit romanichel et y entrai. Il me vint à l’esprit que la poésie de François me conduirait peut-être sur une voie quasi mystique, c’est à dire « passive », et réduirait au silence la dialectique. Le petit romanichel me vint à l’esprit, mais contre toute attente je ne sentis que froid et humidité. Les ténèbres étaient là ! La raison semblait émerger de l’inconscient pour revendiquer mon esprit, comme pour reprendre le terrain qui était le sien. Avec elle émergeaient les doutes, les interrogations, son exigence d’analyse, mais dans une vision qui allait au-delà du doute, vers un horizon au-delà des limites de la perception. Je pris conscience que la raison ne doute pas pour douter, mais pour connaître, et que la connaissance part de l’appréhension pour lancer ses principes a priori, qui l’unissent à la cause des phénomènes. Je le savais, mais j’en avais ici une sorte d’expérience qui me mettait en face du Sujet qui donnait intelligibilité à la chose, et à moi la possibilité de le comprendre par la médiation de sa loi. Mon penser était uni à celui de Dieu. Et, en pensant que j’existais en Dieu comme homme, je répétais l’affirmation de Descartes : « Je pense, donc je suis». Mais si en pensant je suis, et si mon penser est soutenu par le penser divin, il ne s’ensuit pas que penser est un processus de communication avec Dieu. Le temps, l’Église, le lieu où je pouvais rencontrer Dieu était mon esprit. En outre, la connaissance était le motif d’une lyrique des Laudes à Dieu : « Loué soit mon Seigneur, parce que l’être est ». En sortant de l’antre sacré, je n’étais certes pas un petit romanichel, mais un homme qui avait trouvé le lieu où devaient être présents Dieu et lui-même : la raison. Point de rencontre entre le Pensant qui détermine l’être en partant de la cause, et le pensant qu’est l’homme, qui le définit par sa perception. Rencontre que je peux considérer comme temple, école, foi et recherche, conjugaison entre l’immanence et la transcendance, intériorité et extériorité. Mais ce qui m’empêchait de connaître le flux de vie qui se dégageait de cette rencontre, c’était la « dogmatique », dans laquelle j’étais docteur, parce qu’elle fige le penser en formules, ce qui empêche la dynamique vers la vérité dans la connaissance de Dieu et de l’homme. Je me rendis compte que le moment était venu de reconnaître que la raison est l’arbitre de tous les jugements de la pensée, y compris de ceux de la foi. Dans ce but, je n’aurais pas à me servir de beaucoup de livres : Saint Thomas et la Bible me suffiraient. Ma première décision fut de soumettre à la critique les différentes thèses de la foi, ou les thèses qui la fondent. Le premier texte qui s’offrait à moi était le verset de Matthieu sur la conception de Jésus-Christ. Je compris que la première proposition se fonde sur une contradiction : « Marie fut trouvée enceinte du Saint Esprit ». Que Marie soit trouvée enceinte est un fait d’expérience ; qu’elle le soit par le Saint Esprit ne peut être qu’une conclusion théologique, obtenue par l’interprétation de cette expérience à travers une « parole de Dieu ». Mais l’analyse me convainquit qu’il n’existait pas dans les Écritures une seule parole de Dieu qui puisse légitimer la vérité de cette conclusion théologique, et que l’information interdisait même de la supposer. Que Marie ait été trouvée enceinte n’était qu’un paralogisme. Ce qui reste à la fin de l’analyse, c’est que Marie fut trouvée enceinte avant d’aller vivre dans la maison de son époux. Résultat stupéfiant et bouleversant pour un croyant : les Écritures n’annoncent pas un Christ conçu par le Saint Esprit, et l’information oblige à penser que Marie a été fécondée par un tout autre que le Saint Esprit. Toute la théologie sautait en l’air, et on ne pouvait voir en elle la vérité de la naissance du Rédempteur, mais le déroulement d’un drame dans lequel l’actrice trouve la justification de sa grossesse dans son personnage. Je n’en fus pas bouleversé, mais l’exigence de clarté me poussa à aller rencontrer l’actrice. Où ? Mais sur la scène, sur les planches où se joue le drame de la foi, l’église, les rites, les statues dans leurs niches. Et je pouvais trouver Marie dans la crypte, en habit de vierge mère et tournée vers le spectateur, vers le croyant. Elle me regardait mais ne parlait pas. Alors, c’est moi qui parlerai : « Écoute, Marie, permets que je t’arrête un petit instant dans ton interprétation du drame christologique, et que je te parle comme à une actrice, c’est-à-dire comme à une femme. Je sais que tu as été trouvée enceinte, et peut-être que tu as été choisie pour représenter la mère du Rédempteur parce que tu ne sais pas qui t’a mise enceinte. Tu tiens la scène comme un acteur qui cherche son personnage. Et tu l’as trouvé, dans cette vierge mère enceinte du Saint Esprit. Je ne sais pas comment tu pourras supporter la terrible tension entre toi et le personnage ! Mais je constate étrangement que même moi je me soumets à cette tension. Certes, je te crois la « toute pure », la « vierge et enceinte », mais souvent j’oublie le personnage pour te voir, Marie, trouvée enceinte. Dans les moments difficiles de ta vie, et sans doute les plus sincères, quand tu te retournes vers ton Fils, appelé le " Fils de pute ". En toscan cela doit représenter le personnage, mais en italien il en va autrement. Je confesse que, quand j’étais petit, j’ai entendu mon grand-père qui se tournait vers le ciel, avec son index tendu, criant " la bagascia qui t’a nasciu ". Je ne compris pas le mot mais, un an plus tard, j’entendis ma mère me dire de ne pas aller chez " cette bagascia ". C’était la femme de son frère. Tout d’un coup, je compris que tu étais celle à laquelle mon grand-père faisait allusion. Tu viens de la vie réelle, Marie. Nous, les hommes, nous aimons une femme qui soit en même temps putain et qui pourra s’offrir sans honte, sans perdre sa virginité et sans accuser celui qui l’aime de l’avoir forcée ! Un coït qui joigne au licite le plaisir, et qui atteigne le sommet du bien. Ô drame du Christ qui devait naître de cette dialectique de vie ! Maintenant, Marie, je te demande de reprendre la représentation du drame. Mais désormais je te porte en moi, et je n’ai plus besoin de venir devant ta représentation, parce que je te porte dans mon esprit. Au revoir, Marie, j’entends le hululement du hibou. » Par une tonalité de son visage, il m’a semblé que Marie souriait légèrement. Et je remontais au couvent, presque à la nuit. L’ajout d’autres textes à cette première analyse me convainquit que j’étais désormais en dehors de la théologie et de la foi. |
t505630 : 20/12/2020