ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Judas




II- Du Judas de l’histoire
au Judas des récits




1- La mort tragique de Judas



PROLOGUE

INTRODUCTION

REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVANGILES

DU JUDAS DE L’HIS­TOIRE AU JUDAS DES RÉCITS
- La mort tragique de Judas
  - La mort de Judas
  - Hakeldama
  - Témoins de la résurrection
  - Judas, bouc émissaire
- Accusations réciproques
- Du compagnon au traître
- Raisons et intrigues
- Dans le mystère du Christ

ÉPILOGUE

ANNEXES


. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Judas, bouc émissaire


   Dans la condamnation de Judas par Pierre on doit reconnaître la première excommunication de l’Église. Mais on se tromperait si on ne voyait-là qu’un acte intérieur à une communauté religieuse.

   L’auteur des Actes a eu conscience qu’il s’agit d’un événement qui bouleverse l’histoire, pour mettre les hommes en marche vers l’accomplis­sement de la finalité de leur existence. Ces hommes réunis dans la « chambre haute » furent les mêmes que Jésus appela pour prêcher le royaume de Dieu, à la différence que maintenant le royaume de Dieu était présent par la résurrection de Jésus dont ils étaient les témoins. Les temps étaient révolus, et leur rencontre revêtait une dimension universelle.
   L’intervention de Pierre concernait directement la condamnation de Judas, mais elle s’inscrivait aussi dans le cadre de la reprise du procès de Jésus. L’interprétation des Écritures, poursuivie à la manière d’une enquête judiciaire, a permis de découvrir non seulement que Jésus est le Christ, mais que Judas est le traître. Jésus est acquitté par la sentence de Dieu qui le déclare Christ et les apôtres deviennent les juges du royaume du Christ sur la terre, tandis que Judas, celui qui l’avait livré, est le premier sur lequel tombe la condamnation du meurtre.

   Dans le récit des Actes, le jugement à l’encontre de Judas est catégorique et sans tergiversations. Et cependant, il n’a pas dû être aisé, car Judas était l’un des douze, et tout jugement qu’on portait sur lui ne pouvait que retomber sur eux-mêmes. Incapables de prouver par l’expérience la responsabilité de Judas dans la trahison de Jésus, ils y parvinrent par les Écritures.
   Mais pouvaient-ils le juger par l’a priori des Écritures, en faisant fi de la connaissance qu’ils avaient de lui par l’expérience d’une vie fraternelle ? Étaient-ils sûrs que leur jugement n’était pas un alibi qui leur permettait d’échapper eux-mêmes au jugement ?
   L’interprétation des Écritures leur offrit Judas comme un bouc émissaire, sur lequel ils purent rejeter leur connivence avec son crime par omission et lâcheté, leurs faiblesses et leurs doutes, leur reniement et leur scandale, leur passivité et leur silence. L’affirmation finale du récit nous intrigue à cet égard. Judas a abandonné son ministère apostolique pour « s’en aller dans son lieu » (Ac 1:25). Son chemin est court, puisqu’il meurt. Étrangement, la mort ne semble pas avoir arrêté sa marche : frappé d’anathème par ses frères, il poursuit son chemin vers le lieu que lui assignait le Destin qui l’avait déterminé à devenir, selon les Écritures, le traître du Christ.

   Mais quel est ce lieu ? En questionnant les Écritures, le récit du Pentateuque sur le sacrifice d’Aaron s’offre à notre attention (Lv 16).
   Aaron accomplit le sacrifice d’expiation avec deux boucs qu’il charge des péchés du peuple, et dont l’un est tué, pour être offert à Dieu, l’autre laissé vivant pour être chassé dans le désert, chez Azazel. Le texte ne précise pas la fonction des deux boucs qui, dans la tradition, prennent le nom de « bouc expiatoire » et de « bouc émissaire », c’est à dire envoyé. Mais si le rite du bouc expiatoire exprime, avec certitude, le sacrifice de la vie du pécheur pour la rémission des péchés, celui du bouc émissaire peut être compris comme visant la libération de la conscience du complexe des péchés commis. L’un offre à Dieu en sacrifice la mort du pécheur, l’autre amène à Azazel, le Diable, le péché que l’homme a commis à son instigation, comme purification de sa conscience.
   Ce texte du Pentateuque est sans doute un des passages qui a inspiré les apôtres dans l’interprétation de la mort de Jésus comme sacrifice pour les péchés des hommes. Or, si Jésus-Christ était l’accomplissement de la signification messianique du bouc expiatoire, il serait étrange de penser que les apôtres n’auraient pas vu dans le bouc émissaire la préfiguration de la mort de Judas. Qui, après le sacrifice de la mort du Christ pour la rémission des péchés, aurait pu être chargé de rapporter à Satan tous les péchés pardonnés, sinon Judas par qui le Christ avait été livré sous l’instigation de Satan ?

   Le Judas qui s’avance vers le désert comme bouc émissaire n’est certainement pas celui de l’histoire, mais son image qui n’existe que dans la conscience de celui qui croit : le « désert » est l’inconscient des croyants. La foi a entraîné chez les apôtres un processus de sublimation du moi, projeté en Jésus conçu comme le Christ des Écritures. Leur moi, libéré du péché, était mené à la victoire sur la mort, transcendant l’espace et le temps. Cette sublimation même provoquait chez eux, par le doute et la résignation, le mensonge et la lâcheté, le rêve et l’aliénation, le refoulement de leur conditionnement. Ils projetèrent sur Judas, le traître au Christ, leur refoulement comme sur un bouc émissaire
   Ainsi, selon les Écritures, Jésus et Judas devinrent les supports, le premier du Christ, élevé au faîte de la sublimation, le second du traître au Christ, rejeté au tréfonds du refoulement. Dès lors Judas s’enfuit dans le désert de l’inconscient des apôtres eux-mêmes qui, purifiés, sublimés, surgirent de leur écorce d’homme, en « témoins de la résurrection » du Christ pour la résurrection des hommes.



juillet 1987




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