L’accusation des Juifs contre les apôtres d’avoir livré Jésus

   Cette accusation survint au moment où les disciples se trouvaient dans un état d’exaltation et ne pensaient pas selon le critère de l’expérience, mais selon les codes d’interprétation par la foi au Christ. Témoins du ressuscité, ils voyaient en tout homme un pécheur que le Christ était venu sauver.

   Mais les anciens du peuple et les sacrificateurs, les scribes et les pharisiens ne les savaient pas aussi exaltés ! Celse nous fournit l’image fort peu reluisante que les Juifs en avaient : « Jésus, s’étant attaché dix ou onze hommes décriés, publicains et mariniers fort misérables, s’est enfui avec eux deçà et delà, mendiant la subsistance de manière honteuse et sordide » (Origène, Contre Celse, 1,62). Pour Origène, image caricaturale et obscène, qui attestait que Celse n’avait même pas lu les évangiles, puisque Jésus avait choisi douze disciples et non onze (Origène, Contre Celse, 1,62). Celse aurait-il omis Judas « afin de corser l’accusation » (Origène, Contre Celse, 2,11) ?
   À nos yeux, cette omission prouve que Celse emprunte cette image à des informations venant des milieux juifs. Les disciples de Jésus étaient onze et non douze parce que les Juifs firent l’économie de Judas, que les évangiles considèrent comme celui qui a livré Jésus. Ce Judas n’existait pas, parce que Jésus avait été livré par tous ses disciples. La trahison de Judas ne serait qu’une invention, afin de fournir un alibi à leur propre trahison.

   On peut supposer que les Juifs, se souvenant bien qu’un disciple de Jésus s’était effectivement rendu chez eux dans l’intention de le livrer, aient ignoré son nom parce qu’il avait caché son identité. En apprenant qu’il était le compagnon de Jésus, ils avaient été convaincus qu’il trahissait son maître au nom de tous les disciples. Cela ne pouvait pas les surprendre, s’ils avaient des disciples une image conforme à celle de leur maître.
   Un autre texte de Celse est explicite à cet égard : « Un bon général qui commande à des milliers de soldats n’est jamais livré, ni même un misérable chef de brigands à la tête des plus dépravés, tant qu’il semble utile à ses associés. Mais Jésus, puisqu’il fut livré par ses subordonnés, n’a pas commandé en bon général, et après avoir dupé ses disciples, il n’a pas inspiré à ces dupes la bienveillance, si l’on peut dire, que l’on a pour un chef de brigands » (Origène, Contre Celse, 2,12). Il savait que les Juifs l’avaient ainsi traité parce que, à leurs yeux, il s’était montré sous un tel jour à la Dédicace, en occupant le Temple avec le noyau dur des disciples, armés de bâtons et d’épées. Mais, trahis par ses disciples, Jésus s’était révélé plus misérable qu’un chef de brigands !
   Si Celse parle ainsi, c’est que son opinion sur Jésus et ses disciples reposait sur des conversations qu’il avait eues avec les milieux juifs.