ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie


Au risque de croire





Itinérance, une quête du sens :
Dieu contesté par Job


Sommaire

Préface
Quittez un monde bon
Vivre la foi dans le siècle

Présence de l’Église au monde

Église en dialogue avec le monde

Itinérance : une quête du sens
- Servitude et libération
- Dieu contesté par Job
  . Introduction
  . Le "Pourquoi ?" de Job
  . Le Dieu des "amis"
  . Job et la "mort de Dieu"
    - Seule la douleur
    - Quel Dieu ?
    - Job, croyant areligieux
    - Le Goël vivant
    - Dieu est mort
  . Dieu... au-delà de Dieu

Croire au-delà des perplexités

En écoutant l’Alléluiah d’Hændel




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Job et la « mort de Dieu » :
le Goël vivant


   Quelle maladie d’avoir toujours réponse à tout ! Quel abîme parfois entre le langage et l’existence ! La parole devient jugement quand elle ne pénètre pas en sympathie dans l’être profond de l’homme ! « Moi aussi, je pourrais parler comme vous, si votre âme était où est mon âme, je saurais vous accabler de discours » (Jb 16:4). Pourtant l’innocence de Job crie de la terre au ciel, comme la voix du sang d’Abel. « Quand je parle, ma souffrance demeure ; si je me tais, en quoi disparaît-elle ? » (Jb 16:6). L’homme accablé par le malheur n’a plus désormais que son sang (sa vie blessée) pour crier à l’injustice, et son innocence comme prière.
   Le crime d’Abel, ici, se renouvelle ; le criminel, le « Caïn » est celui qui méprise son frère, l’homme devenu le « railleur » de l’homme (Jb 17:2). Job est le témoin d’Abel, terrassé sans raison. « Je vivais tranquille quand il m’a secoué, saisi par la nuque pour me briser… Pourtant, point de violence dans mes mains, et ma prière est pure. Ô terre, ne couvre point mon sang, et que rien n’arrête mon cri » (Jb 16:12 ; 18). Accablé par les circonstances de l’histoire, son seul crime est son malheur. C’est pourquoi son sang crie réparation et justice. « Ma clameur est mon avocat auprès de Dieu, tandis que devant lui coulent mes larmes » (Jb 16:20).

   Job maintient que sa culpabilité doit être instruite devant un juge libéré des rigidités des doctrines orthodoxes ; dans son appel, il ne rencontre cependant que le silence de Dieu : « Si je crie à la violence, pas de réponse ; si j’en appelle, point de jugement » (Jb 19:7). Il ne découvre ensuite que solitude et abandon dans ses relations les plus proches : « Mes frères me tiennent à l’écart… mes proches et mes familiers ont disparu… mon haleine répugne à ma femme » (Jb 19:13-19).
   Néanmoins, Job n’abdique pas ; déjà il se redresse, au-delà de son abandon ; il assume sa condition, il transcende le silence de Dieu et le rejet des hommes ; ses paroles sont expression d’une plénitude, son langage n’est point discours, mais « chair et sang ». « Je voudrais qu’on écrive mes paroles, qu’elles soient gravées en une inscription, avec le ciseau de fer et le stylet, sculptées dans le roc pour toujours » (Jb 19:23-24). Lors seulement, parvenu au point extrême du rejet, du non-être, sans Dieu et sans frères dans le monde, sans secours ni recours possibles, Job se dresse comme signe de justice : il attend un Goël, un défenseur.
   Qui est ce Goël ? Chez les Israélites, il représentait celui qui sauvegardait l’honneur d’une famille, en vengeant un meurtre, en épousant une veuve sans enfant, ou en rachetant un patrimoine. Il était le « vengeur du sang » (1) ; il était aussi le plus proche parent.

   Job fait-il appel à Dieu, après lui avoir jeté un défi ? Le poème situe toujours le débat au sein d’un tribunal. Le Shaddaï y est le juge suprême qui prononce l’acte d’accusation ; alors le Goël se dresse, comme le plus proche parent, pour sauvegarder l’honneur de l’homme accusé injustement. Dans la pensée juive, le sang appartient à Dieu, ce qui signifie que toute vie humaine est sacrée et que tout sang versé doit être vengé. Job, image d’Abel, a fait appel à son « défenseur », son plus proche parent, son Goël : « Dès maintenant, j’ai dans les cieux un témoin, là-haut se tient mon défenseur » (Jb 16:19), c’est-à-dire son propre cri, son appel à la justice, sa déclaration d’innocence. « Ma clameur est mon avocat auprès de Dieu » (Jb 16:20).
   Le Goël n’est donc pas Dieu lui-même, mais précisément l’innocence de Job qui crie de la terre au ciel, comme la voix du sang d’Abel : « Yahvé dit à Caïn : Qu’as-tu fait de ton frère ? Écoute la voix de ton frère crier vers moi du sol » (Gn 4:10).
   « Je sais, moi, que mon goël est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la terre. Après mon éveil, il me dressera près de lui, et de ma chair je verrai Dieu » (Jb 19:25). Le « goël vivant » n’est pas le rédempteur de la tradition courante, ou le « Christ ressuscité » que l’Église chrétienne déclare trouver dans ces paroles. Le défenseur, voix du sang d’Abel, parole « gravée avec un ciseau de fer et un stylet » au-delà du silence de Dieu et de l’abandon des hommes, inscrite dans la chair humaine opprimée injustement, est le cri de Job. C’est lui qui, le dernier, se dressera sur la terre comme le vengeur de l’honneur et de la vie de l’homme. Alors justice sera rendue, dans l’innocence déclarée. « De ma chair, je verrai Dieu » (Jb 19:26). Dieu, Shaddaï, est mort, détrôné de son pouvoir judiciaire. Le jugement appartient désormais à cette voix du sang d’Abel, à cette clameur qui crie à la violence et à l’oppression, à cette conscience qui fait surgir l’être de l’homme au-delà de son rejet et de son anéantissement. « Celui que je verrai sera pour moi… craignez pour vous l’épée, car la colère s’enflammera contre les fautes, et vous saurez qu’il y a un jugement » (Jb 19:27-29).

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(1) Voir Nb 35:19 ; Dt 19:12 ; Lv 25:23-25.   Retour au texte



juin 1971




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