ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisL’écriture des évangiles |
Les évangiles et la structure de leur discours :La déstructuration du discours de l’anti évangile |
Sommaire Introduction La foi en Jésus-Christ Mort et résurrection Refoulement et sublimation de Jésus Tournant historique de l’Église Naissance de l’anti évangile De l’Évangile aux évangiles Structure de l’anti évangile Structure des évangiles - Déstructuration de l’anti évangile - Espace référentiel de Marc - L’image de Jésus- Christ - Les informations traitées comme des signes - Les figures rhétoriques - La censure Le Jésus de l’histoire Genre littéraire et genre référentiel . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
Transposons de la conscience de l’Église à celle des évangélistes, qui en furent les représentants accrédités au niveau de l’écriture, la situation créée par ce tournant historique. Leur tâche consistait dans une opération littéraire de collage du Jésus-Christ de la prédication apostolique et les données contextuelles de la vie de Jésus. Ils se trouvèrent bloqués dans l’entreprise, puisque ces données d’information, venant du champ de leurs adversaires, étaient tout à fait contradictoires avec l’image christique de Jésus. Il aurait fallu disposer d’autres sources d’information mais, à cause du refoulement originel de la mémoire, ils n’en avaient guère. Leur situation était d’autant plus critique que, s’agissant d’un discours représentatif des faits – et les faits, étant individuels, sont aussi uniques – ils constatèrent que ceux-ci étaient ordonnés dans un discours autre que celui qu’ils s’étaient proposé d’écrire et que, de surcroît, ils étaient inscrits dans des récits accomplis. Ainsi se trouvaient-ils renvoyés à eux-mêmes par manque d’espace littéraire référentiel. Ils ne pouvaient trouver cet espace qu’en déstructurant le discours qui, à leurs yeux, l’avait abusivement occupé : l’œuvre d’édification devait être précédée par une opération de démolition. Pour suivre cette action de déconstruction, il convient de se rappeler que l’anti évangile s’articulait à partir d’une situation référentielle de base indéterminée dans son sens et aboutissant, par déterminations successives, à la représentation de la personne de Jésus. L’articulation constituait un tout cohérent, mais elle offrait cependant des failles, dans la mesure où les circonstances déterminantes ne recouvraient pas la totalité du champ référentiel de base. Elles n’en mettaient en évidence qu’un aspect possible, celui qui se donnait à voir à partir de l’hypothèse d’approche de la culpabilité du sujet. En se fondant sur l’hypothèse opposée, les circonstances déterminantes disparaissaient, faisant s’écrouler la personnalité de Jésus dont elles étaient le fondement et, d’autre part, laissant la situation de base tout à fait disponible pour d’autres déterminations et donc pour un autre discours. En dépit de sa cohérence, le discours était donc vulnérable au point de jonction de la personnalité du sujet avec sa base référentielle. Naturellement cette négation n’est pas radicale, dans la mesure où elle ne se situe pas dans le cadre d’une dialectique réelle mais rhétorique : elle conteste les circonstances en tant que déterminations de la situation de base dans le sens de la culpabilité du sujet, mais non dans leur fait. On peut grouper les modes de négation en cinq classes, selon qu’ils visent à omettre, transposer, substituer, modifier ou aliéner les circonstances déterminantes. Étant donné le caractère synthétique du présent exposé, je ne pourrai me référer ici aux modes concrets de dissolution du discours opéré par les évangiles que par quelques exemples. La négation par omission est justifiée du fait que toute circonstance visant à déterminer la situation de base en fonction de la culpabilité de l’actant se situe hors du champ visuel du défenseur : de par sa démarche, elle est inexistante pour lui. À titre d’exemple je me rapporterai à l’information, omise par Matthieu, selon laquelle les parents de Jésus seraient venus se saisir de lui parce qu’ils le croyaient « hors de sens » (Mc 3:21). Sans doute s’agissait-il d’un témoignage à charge qui s’appuyait sur le comportement de la famille de Jésus pour montrer qu’il était fou. Aussi ce témoignage est-il rapporté par Marc avec une lacune dans son énoncé, puisqu’il lui a ôté une précision importante, à savoir qu’il s’agissait des frères de Jésus et de sa mère. On a ainsi omis tout ou partie selon l’intérêt que la circonstance, comme fait, pouvait avoir dans le nouveau récit. La transposition peut avoir lieu toutes les fois où la circonstance s’oppose à l’hypothèse de l’innocence de Jésus par son contexte et non par le fait lui-même. Ainsi la recherche de Jésus que ses frères et sa mère font aussitôt arrivés à Capharnaüm est-elle détachée, chez Marc, de l’intention de le saisir, et jointe à l’un de ses logia en qualité de contexte. Le refus de Jésus de donner un signe est tout à fait retiré de son conditionnement par un défi, et laissé comme un fait flottant que chaque évangéliste situe à sa guise dans un autre contexte. Le récit de la tentation de Jésus chez Marc trahit la présence d’un témoignage d’accusation selon lequel Jésus aurait été « jeté » dans le désert par l’esprit impur, le diable. Jésus aurait donc été un homme possédé par les démons avant sa mission de prédication. Les évangélistes séparent l’esprit qui mène Jésus dans le désert de celui qui le tente, Satan, substituant l’Esprit Saint à l’esprit mauvais dans la première partie. Parmi les exemples de modification, je noterai l’épisode de la venue de Jésus à Nazareth, sa patrie. Selon le texte d’accusation subjacent, les gens l’auraient reconnu comme étant le menuisier, le « fils de Marie » (Mc 6:3). Chez Matthieu, l’expression est modifiée : au lieu de « fils de Marie » – expression qui implique une naissance illégitime – il emploie « le fils du menuisier » (Mt 13:55). Chez Luc, la correction se détermine davantage dans le sens de la naissance légitime, puisqu’il écrit « le fils de Joseph » (Lc 4:22). Quant à la négation par aliénation, elle consiste dans le changement de sens, jouant sur l’équivoque aussi bien des mots que du fait lui-même. Les gens cherchent à se saisir de Jésus pour le traduire en jugement, Jean interprète cet événement comme si le peuple avait eu l’intention de le proclamer roi ; les juifs accusent les chrétiens d’avoir volé le corps de Jésus, Jean joue sur le double sens du verbe « prendre » (airo), passant du sens de vol à à celui d’enlèvement par Dieu. La situation de déchirure et d’éparpillement de ces renseignements au niveau de l’infrastructure des textes montre que les évangélistes restèrent aussi fidèles à la logique de la défense que les juifs le furent à celle de l’accusation. Je ne sais pas si les uns et les autres connaissaient la Division de l’art oratoire de Cicéron, mais il est certain qu’ils en mirent en pratique les préceptes, car de même que les juifs devinrent des accusateurs « suivant l’ordre des faits » et lancèrent leurs arguments « comme des javelots », les chrétiens, en assumant la défense, « retranchèrent de la narration ce qui pouvait nuire, ou supprimèrent ce qui leur était contraire ». Ainsi purent-ils parvenir à la situation constituante qui, rendue disponible par de nouvelles relations, créa un nouveau champ référentiel de discours. |
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![]() ![]() ![]() ![]() ![]() tg08100 : 17/03/2021 |