ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


L’écriture  des  évangiles




Les évangiles et la structure de leur discours :

La censure




Sommaire

Introduction

La foi en Jésus-Christ

Mort et résurrection

Refoulement et sublimation de Jésus

Tournant historique de l’Église

Naissance de l’anti évangile

De l’Évangile aux évangiles

Structure de l’anti évangile

Structure des évangiles
- Déstructuration de
   l’anti évangile
- Espace référentiel de
   Marc
- L’image de Jésus-
   Christ
- Les informations
   traitées comme des
   signes
- Les figures rhétoriques
- La censure
   . L’écart informations-
     évangiles

   . Modifications
     successives

Le Jésus de l’histoire

Genre littéraire et genre référentiel



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

L’écart entre les informations et les évangiles


   Le caractère défensif des évangiles impliquait que la personne de Jésus-Christ qu’ils décrivaient était en antithèse avec celle qui était présentée par l’accusation juive. Autant dans celle-ci Jésus apparaissait comme étant un antéchrist, autant dans ceux-là il fut le Christ. Mais l’écart des deux images ne fut pas égal dans les quatre évangiles, puisqu’ils avaient du Christ des représentations théologiques dont le degré d’idéalité était différent. Nous avons vu en effet qu’ils ont puisé leur image dans une approche des Écritures qui fut analogique chez Marc et métaphorique chez Matthieu, tandis qu’elle fut parabolique chez Luc et allégorique dans le quatrième évangile. Ces quatre figures ne sont pas du même ordre, et chacune possède vis-à-vis du réel une distance qui lui est propre.

   En façonnant la personne de Jésus par analogie avec celle des personnages bibliques, Marc ne pouvait que le faire à leur image. Il s’ensuivait que toute information qui aurait porté atteinte à cette similitude était retranchée. Toutefois, s’il y avait des faits qui étaient étrangers à la relation de similitude sans toutefois l’entamer, ils étaient incorporés dans la mesure où ils servaient pour fixer l’individualité de la personne de Jésus.
   L’analogie exige que les deux termes de comparaison demeurent distincts, quoique l’un soit éclairé par l’autre. En disant que le lion parmi les animaux est comme le roi parmi ses sujets, on ne nie pas que le lion est un lion. Ainsi, en voulant demeurer dans le cadre de l’analogie, Marc n’a-t-il pas refusé d’employer aussi des détails d’information susceptibles de distinguer la personne de Jésus de celle de ses modèles bibliques.

   Il n’en est pas de même dans la métaphore qui (Aristote l’avait bien vu) dépasse les limites de la comparaison pour parvenir à une identité représentative. Si l’on transforme l’analogie entre le lion et le roi en métaphore, on dira que le lion est roi et que le roi est lion.
   On comprend ainsi pourquoi dans le deuxième évangile, qui est régi par la métaphore, l’adaptation des sources d’information à la personne christique de Jésus se fait plus rigoureuse et exigeante. Il en est rejeté non seulement ce qui s’oppose à la relation de similitude, mais aussi ce qui est en marge d’elle et qui serait susceptible de déterminer Jésus dans une individualité qui ne serait pas celle du modèle. Jésus n’étant pas seulement comme Moïse mais le Moïse véritable au niveau messianique, il ne peut être dessiné que par des traits qui relèvent de lui. Ainsi l’écart entre l’image de Jésus de l’évangile et celle de l’anti évangile devient-il plus grand.

   Quant à la parabole – et son nom le dit clairement – elle redouble la distance, puisqu’elle situe la métaphore dans le cadre d’une comparaison ultérieure qui la projette hors d’elle-même. Non seulement Jésus est le Moïse de l’accomplissement du temps messianique, mais il n’est compréhensible que par rapport au Christ selon l’Esprit, dont il est représentation anticipée.

   En ce qui concerne le quatrième évangile, il comporte une distance maximale entre Jésus et l’anti évangile, puisqu’il le remplace par une représentation christique de caractère gnostique et métaphysique. Mais, phénomène apparemment étrange, au lieu de rejeter les données d’information sur lesquelles s’appuyait l’image juive de Jésus, il les assume. C’est que l’allégorie qui soutient l’articulation de son discours est un langage, dont la signification s’opère par la réduction des faits en morphèmes. Ainsi tout fait, même le plus contradictoire, devient signifiant de la représentation christique.

   Ces différents modes d’approche, qui touchent aussi bien l’image du Christ que les informations sur Jésus, constituent, à mon avis, la cause qui permet de comprendre les rapports à la fois de continuité et d’opposition qui existent entre les quatre évangiles. Car mis dans un tableau synoptique qui tient compte aussi bien de leur parallélisme que de leur succession, non seulement ils s’accordent sur des points et ils s’opposent sur d’autres, mais ils apparaissent aussi soumis à un processus de reprise et de révision progressive au niveau des informations et de l’image du Christ.
   La critique historique ignore ce phénomène puisqu’elle ne se soucie que des différences, qu’elle cherche à expliquer par le caractère littéraire de chaque auteur et par l’hétérogénéité des sources. Elle ne prend pas en considération d’une part que les différences d’un récit impliquent une reprise et une modification du texte qui le précède, et que, d’autre part, ces modifications traversent la diversité littéraire des sources.
   À mon avis, cette révision est le fruit d’une véritable censure, due au fait que les récits se continuent et se reprennent, mais dans le cadre d’un mode d’approche différent aussi bien des informations sur Jésus que de la conception christique. Je revendique pour ma recherche le mérite d’avoir repéré ces différents modes d’approche dans les quatre figures rhétoriques. Il est évident que Matthieu, articulant son discours sur la base de la métaphore, ne pouvait reprendre le contenu de l’évangile de Marc sans dépasser les limites de l’analogie dans lesquelles il était contenu. Il s’agit d’une censure dictée moins par une exigence dogmatique que par une nécessité catégoriale de pensée et d’écriture. La même remarque vaut pour le récit de Luc par rapport à ceux de Marc et Matthieu, et pour le quatrième évangile vis-à-vis des synoptiques.



c 1980




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tg08610 : 22/03/2021