ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


L’écriture  des  évangiles




Genre littéraire et genre référentiel du discours des évangiles :

La structure référentielle du discours évangélique et les genres suprêmes de la parole




Sommaire

Introduction

La foi en Jésus-Christ

Mort et résurrection

Refoulement et sublimation de Jésus

Tournant historique de l’Église

Naissance de l’anti évangile

De l’Évangile aux évangiles

Structure de l’anti évangile

Structure des évangiles

Le Jésus de l’histoire

Genre littéraire et genre référentiel
- Genres référentiels
- Structure référentielle
- Dissolution catégoriale
- Forme littéraire
- Genre littéraire



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   Tel qu’il apparaît à la suite de nos analyses, le discours évangélique ne se laisse comprendre dans aucune de ces quatre catégories prises séparément. Peut-être cette constatation doit-elle être faite à propos de tout texte : il est rare que les hommes écrivent en s’astreignant avec rigueur et sans digressions aux normes imposées par leur démarche. D’ailleurs les limites entre les quatre univers, claires in abstracto, deviennent confuses dans le concret, tellement l’homme est tiraillé entre la positivité des faits et les visées de son existence, l’exigence de la rationalité et l’évasion dans l’imaginaire.

   Les évangiles opposent aux catégories une résistance beaucoup plus complexe, car non seulement ils pénètrent dans les différents champs catégoriaux, mais ils semblent échapper à toute classification, laissant en suspens le problème de leur propre structure fondamentale.
   Par leur démarche, ayant pour but de parler de l’Évangile de Jésus, ils étaient destinés à être un récit historique. Effectivement, ils sont du genre littéraire narratif, par l’emploi de la troisième personne et par l’intention de décrire des faits tels qu’ils ont été vus. On remarquera aussi que leur discours part d’un noyau d’informations qui se rapportent à Jésus de Nazareth. Le choix et la disposition des termes géographiques correspondent à la géographie de la Palestine, celui des canevas des actions du Jésus des récits est celui-là même qui sous-tend le Jésus de l’accusation juive.
   Mais la portée historique s’arrête à ce niveau, autrement dit à l’infrastructure du texte. Le fond de l’information apparaît comme mutilé, renversé dans son ordre originel, parsemé de vides. Et le discours, tout en partant de ces sources, s’échappe dans des directions opposées à l’histoire. Si l’on trouve ici de l’histoire, c’est une histoire manquée, aliénée dans d’autres catégories.
   En premier lieu, cette évasion s’opère dans l’imaginaire, dont la présence se trahit dans la démarche elle-même. Car s’il est vrai que leur objet est Jésus, il est vrai aussi que celui-ci est atteint en tant que « Christ », qui est une représentation de l’univers imaginaire. En effet le Christ est un personnage, dont la silhouette décalque celle des héros propres à l’imaginaire tant biblique que païen. Le récit naît donc comme une narration à la fois historique et littéraire, de caractère mythique et romanesque.

   Le propre du récit littéraire, c’est la liberté de son sujet vis-à-vis de tout conditionnement venant de l’extérieur. Cela ne signifie pas qu’il lui est défendu de puiser dans l’histoire, mais seulement qu’il doit coordonner dans des structures imaginaires les éléments empruntés. Celles-ci doivent dominer la matière et empêcher qu’elle lui résiste en raison de leur appartenance d’origine à l’ordre des faits.
   Mais, dans les évangiles, cette liberté et cette cohérence font défaut, car il s’agit d’un mythe qui apparaît comme déréglé dans l’ordre que lui impose sa propre structure. Selon l’exigence du mythe, le Christ aurait dû agir dans un temps et dans un espace cosmologiques et totalisants, n’étant que la représentation individualisée de l’homme collectif. Or il se trouve que, étant lié à des renseignements concernant la personne de Jésus, le temps s’historicise et les actions cessent parfois d’être compréhensibles et exemplaires pour se banaliser dans le quotidien de la vie d’un homme. Ainsi l’individuel n’est-il pas résolu avec cohérence dans l’universel. Des oppositions existent aussi au niveau de l’imaginaire lui-même, en ce que le Christ n’est pas seulement une image mythique, mais aussi romanesque, féérique et d’initiation.
   Pour conclure, je dirai que le récit résulte de l’interférence des deux catégories historique et imaginaire, qui ne parviennent pas à une synthèse. Elles coexistent par juxtaposition et par des soudures qui leur demeurent étrangères. Mais, en s’unissant, elles se limitent et s’entrecoupent au point d’aboutir à un récit qui, en réalité, n’est ni historique ni littéraire. Histoire manquée, il apparaît aussi comme un roman mythique raté.

   Un troisième discours, de caractère théorique, s’interpose entre ces deux premiers, qu’il soutient et traverse de toute part, c’est la christologie de l’Église. Certes, si les évangiles avaient été conçus exclusivement en fonction de celle-ci, ils auraient dû prendre la forme des dialogues de Platon, et ils le sont en partie, puisque les discours de Jésus sont souvent en forme de dialogues dont l’enchaînement, surtout dans le quatrième évangile, suit le mouvement d’une argumentation dialectique. Toutefois ils ne parviennent pas à s’inscrire dans le contexte avec une cohérence parfaite : Jésus n’est pas une pure personnification littéraire d’un actant dialectique. Possédant une épaisseur qui lui vient en partie des éléments biographiques et en partie des représentations mythiques dont il est chargé, il fait pour ainsi dire écran à ses propres discours, qui ne parviennent pas à le traverser.
   On peut affirmer que ces dialogues butent contre sa personne, car ils relèvent toujours d’un système de pensée qui non seulement est postérieur au Jésus historique, mais varie aussi selon les évangiles. Le Jésus des évangiles parle comme s’il était ce Jésus-Christ ressuscité et monté au ciel propre à la théologie de l’Église. Ses discours montrent que sa conscience n’adhère pas à son existence d’homme tel qu’il apparaît vivre dans le temps, les lieux, et avec les hommes qui constituent le cadre des évangiles. C’est une conscience aliénée, qui lui reste étrangère et qu’il assume comme un masque.

   Un quatrième discours, relevant de la catégorie de l’acte, s’ajoute aux trois premiers, car les évangiles ne parlent de Jésus-Christ que dans l’intention de le défendre contre les accusations juives. Il s’ensuit qu’avant de décrire ce que le Christ est, ils doivent rejeter les témoignages de ses adversaires.
   Dans ce contexte, on aurait dû s’attendre à ce que leur discours soit précédé par la réfutation de ces accusations et appuyé sur des arguments qui puissent accréditer le bien-fondé de leur démarche, or il n’en est rien : au lieu de s’engager ouvertement dans une dialectique de discours, ils recourent à une censure qui modifie les témoignages des adversaires, au point de fausser les faits historiques. Il en résulte qu’ils se trouvent eux-mêmes dans l’impossibilité de fonder leurs affirmations sur des faits, qu’ils remplacent par des schémas littéraires tirés des Écritures. En ce qui concerne celles-ci, en outre, ils n’en ont pas une approche objective et exégétique susceptible d’accréditer leur défense, mais conditionnée d’avance par celle-ci.

   Pour conclure, il convient d’affirmer que les évangiles, à leur base référentielle, sont moins un discours qu’une pluralité de discours qui ne parviennent pas à se joindre à cause d’une profonde rupture qui affecte l’ordre catégorial. Cet ordre apparaît en effet ébranlé et comme dissout. Se trouvant dans toutes les catégories de l’objet, le discours des évangiles n’est ainsi nulle part, puisqu’il échappe à toute saisie, d’où le problème concernant son intelligibilité. Mais quelle est la raison de cette dissolution catégoriale ? Par quel moyen les évangiles parviennent-ils alors à se tenir dans une unité formelle du récit ?



c 1980




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