ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


L’écriture  des  évangiles




Genre littéraire et genre référentiel du discours des évangiles :

Le genre littéraire




Sommaire

Introduction

La foi en Jésus-Christ

Mort et résurrection

Refoulement et sublimation de Jésus

Tournant historique de l’Église

Naissance de l’anti évangile

De l’Évangile aux évangiles

Structure de l’anti évangile

Structure des évangiles

Le Jésus de l’histoire

Genre littéraire et genre référentiel
- Genres référentiels
- Structure référentielle
- Dissolution catégoriale
- Forme littéraire
- Genre littéraire



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   Il convient avant tout de préciser le sens que cette expression assume dans ma démarche. Puisque l’on présuppose que le récit est déjà accompli non seulement à la base, par son infrastructure référentielle, mais aussi au sommet, par sa superstructure littéraire, elle ne pourra désigner qu’une classification ne concernant pas la nature des écrits, mais leur individualité d’œuvre littéraire. On serait plus près du réel si on parlait de « type » littéraire plutôt que de « genre », puisqu’il s’agir de classes empiriques qui permettent de grouper ou de distinguer les œuvres littéraires historiques selon les affinités et les différences de leur composition.
   En tant qu’œuvres littéraires, les évangiles se présentent comme étant des récits narratifs concernant :
1- La personne historique de Jésus appelé le Christ,
2- dont cependant l’image et les actions sont décrites à partir des exemples typologiques du Christ des Écritures
3- en vue d’amener le lecteur à croire en son messianisme et à l’Évangile confessé par l’Église.
   Ils peuvent donc être considérés comme des essais à la fois biographiques et d’initiation, historiques et imaginaires, d’expérience vécue et d’engagement pour la vie.

   Ces caractères ne sont pas propres aux évangiles, mais à un type d’œuvre littéraire que nous retrouvons aussi bien dans la production profane que religieuse, il s’agit des biographies légendaires. L’existence de celles-ci relève moins des circonstances contingentes que d’un moment spécifique du développement historique de la culture.

   Selon Vico, les cultures trouvent leur origine dans une représentation mythique de l’univers et de l’homme, et elles aboutissent à leur maturité historique en passant par des périodes d’expression rhétorique où la conscience, quoiqu’encore imaginative, s’engage dans le processus de rationalisation pratique du concret de l’existence. Les biographies légendaires sont une expression de cette période intermédiaire.
   Dans la littérature profane, le temps mythique est jalonné par les récits des héros qui, en tant qu’éponymes, sont des personnifications de la naissance des perspectives historiques des peuples ainsi que de leur caractère spécifique. Personnages mythiques donc, dans la mesure où ils existent dans des temps et des espaces totalisants, où leurs exploits recouvrent l’action historique du peuple, dont ils sont l’image comme une thématique exemplaire. Tels, à titre d’exemple, Prométhée, Héraclès ou Ulysse dans le monde grec, Abraham, Jacob et Moïse dans la civilisation juive.
   Le passage du mythe à la légende est marqué par la prise de conscience des individualités concrètes par opposition à l’homme totalisant du mythe. Il y a un renversement du regard sur l’univers et sur les hommes : tandis que dans la période mythique les individus ne sont compris que dans le personnage totalisant, maintenant ceux-ci sont interprétés selon la mouvance de l’histoire concrète et les faits marquants qui la déterminent. Dès lors on sent le besoin soit d’individualiser, voire même de banaliser le personnage éponyme par des épisodes tirés de la vie de tous les jours, soit de compléter leur fonction exemplaire par l’exaltation des personnages les plus importants de l’histoire. Historiques, ceux-ci deviennent toutefois en partie héroïques, dans la mesure où leurs gestes ne sont pas vus et racontés tels qu’ils se sont passés, mais tels qu’ils devaient répondre à l’attente populaire et au rôle qu’ils auraient dû jouer dans la vie individuelle. Ainsi sont nées les Vies des hommes illustres, hommes-héros dont le personnage est fondé sur l’histoire, mais construit par l’imagination et qui se situent entre le mythe et l’histoire. Alexandre le Grand, Hannibal, César et Auguste furent objets de tels récits.

   Ce phénomène littéraire est analogue dans la littérature religieuse, où le récit mythique précède le conte légendaire. Dans la religion des mystères, on parla tout d’abord de la mort et de la résurrection du dieu ou du héros, tels Isis, Dionysos, Orphée ou Mithra : mythe constituant aussi bien le mystère que la personne du dieu. C’est par la suite, par l’oubli peut-être du mystère, qu’on a éprouvé le besoin d’imaginer autour du dieu une vie qui fut l’exemplaire éthique quotidien d’existence. La mort et la résurrection du dieu furent donc précédées ou suivies par des contes biographiques dans lesquels on présentait des hommes exemplaires et intègres, dont la vie semblait répondre à l’image du « saint » propre à l’idéologie des croyances populaires. Dans la littérature religieuse, ces saints furent le pendant des hommes-héros de la littérature profane. Hommes, ils avaient cependant vécu le quotidien de leur vie mus par la toute-puissance ou par l’esprit de dieu. On ne pouvait alors parler d’eux qu’en cherchant à les représenter plutôt selon l’image typique de « l’homme de dieu » qu’en correspondance avec les faits réels.
   Les hagiographies sont nées de cette exigence. Ce sont des narrations qui se rapportent à des hommes réels, mais dont la source est moins constituée par les faits historiques que par l’a priori typologique. Il suffit de jeter un regard sur l’immense production hagiographique du catholicisme pour confirmer ce caractère imaginaire des écrits. Pour l’antiquité, je rappellerai les hagiographies d’Esculape et de Pythagore, d’Empédocle et d’Apollonios de Tyane pour le monde gréco-romain et, pour les juifs, de David et d’Élie, d’Ester et de Tobie et des Maccabées.

   Les évangiles ne pouvaient être rédigés que comme des hagiographies de Jésus-Christ. Le contexte historique de leur genèse correspond en effet à la phénoménologie de la naissance des hagiographies. Ils apparurent – rappelons-le – dans le cadre d’un tournant historique où l’Église, jadis communauté eschatologique de mystère, prit conscience de sa mission historique. Un renversement s’opéra dans ses perspectives d’existence : il ne s’agissait plus de conditionner l’histoire par l’eschatologie, mais celle-ci par l’histoire.
   L’Église dût prendre du recul envers le Christ de la foi, dont la représentation était mythique, sur le modèle du dieu des mystères. Il fallait que le Christ devienne un exemple de la vie éthique des individus, de même qu’il l’était du genre humain. Dès lors il était nécessaire de le connaître dans la vie terrestre qui avait précédé le mystère de sa mort et de sa résurrection, et de le représenter comme un « homme de Dieu » selon l’image typologique de la tradition scripturaire. La complexité de l’écriture à la base de sa référence ne posait à ce genre littéraire aucun problème, puisqu’il exigeait justement un argument qui soit à la fois biographique et mythique, d’expérience et de souvenir, d’initiation et d’engagement.
   L’hagiographie était le seul habit littéraire adapté à la taille du personnage.



c 1980




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tg10500 : 02/07/2016