ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Les récits de la naissance de Jésus





Lecture du récit de Luc :

Des bergers passaient les veilles de la nuit


Sommaire

GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS

LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU

LECTURE DU RÉCIT DE LUC
L’annonce faite à Marie
La visite à Élisabeth
Le recensement
Couché dans une crèche
Les bergers
- Introduction
- Détournement d'Isaïe
- Interprétation des faits
- Apôtres et disciples
Le nom de Jésus
La purification
Un homme appelé Syméon
Le signe de la contradiction
L’épée
Anne la prophétesse
Marie gardait ces paroles

CONCLUSION



. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

Luc interprète les faits à la lumière des Écritures



   Cette nouvelle apparition d’ange serait de trop, si elle n’était pas demandée par la cohérence du discours. Il faut rappeler qu’en écrivant cette scène, Luc était obsédé par la nouvelle selon laquelle Jésus avait été un enfant « trouvé ». Cette information venait de la même source qui avait fait de Marie une femme « trouvée enceinte » (Mt 1:18). Or, puisqu’il ne niait pas les faits, il n’a pas voulu répondre par d’autres faits qui leurs seraient opposés, mais par leur interprétation à la lumière des Écritures. Ainsi, de même qu’il avait répondu à la première information concernant la grossesse de Marie par l’annonce de l’ange, de même il fait apparaître ici l’ange pour annoncer que Jésus n’est pas un enfant « trouvé », mais le fils de Dieu découvert, reconnu dans sa personnalité messianique. Cela implique aussi que, dans la crèche, il n’y avait pas un enfant « exposé » mais offert, donné par Dieu à la reconnaissance et à l’accueil du peuple au moyen d’un signe.
   Le récit de Luc vise donc à la reconstruction d’un fait dans le cadre du sens qu’il acquiert à la lumière de la parole. Il relate le fait non pas tel qu’il s’est passé dans la nuit de la non-croyance, mais tel qu’il s’est révélé et se révèle à la lumière de la foi, à la parole. L’ange est la personnification de cette parole, symbole de cette lumière qui transforme les aveugles en croyants.

   Quant au récit de l’apparition, il convient de souligner que, tout en se conformant au modèle de l’apparition angélique, il s’inscrit aussi dans le cadre des théophanies. En effet, selon le modèle des apparitions angéliques, il comprend quatre mo­ments : l’apparition, la crainte, le message et le signe. De plus, il se trouve que l’ange ne cache pas, contrairement aux autres apparitions, sa nature en se montrant sous forme humaine, mais qu’il se révèle dans la gloire qui lui est propre, qui de surcroît enveloppe aussi les bergers, comme dans une théophanie. Ainsi la scène ne s’achève-t-elle pas par le départ de l’ange, mais est complétée par l’apparition d’une multitude d’autres anges. C’est pourquoi cette apparition se détache des autres, dont elle devient l’aboutissement eschatologique.
   L’ange, comme dans l’apparition à Marie, n’apparaît pas, mais il « vient à eux » (Lc 2:9). Cependant, tandis que dans l’annonce son approche n’est pas exprimée par un verbe signifiant la marche propre à l’homme, ici par contre le verbe désigne le venir commun à tout étant, homme comme ange, en fait ou en songe ou pensée.
   Il semble bien que cette propriété des mots soit moins exigée par l’intention de la signification que par la relation de référence. En effet, le venir de l’ange chez Marie (eiselthon) se rapportait, au niveau de l’information, à la venue d’un homme, tandis que celle de l’ange auprès des bergers (epeste) se réfère à l’apparition de la parole dans l’âme des croyants. L’événement que Luc entend relater n’est pas celui qui aurait pu se passer à l’endroit et au moment où Jésus est né, mais dans l’Église et au moment de la foi en Christ. L’ange vient aux bergers de la même façon que vient la foi.

   Cet écart d’espace et de temps entre la crèche et l’apparition de l’ange aux bergers explique aussi que ceux-ci soient saisis par la lumière de la révélation, tandis que la crèche reste toute seule, dans la nuit de l’abandon et de la solitude, puisqu’au lieu où elle est placée il n’apparaît pas d’ange et ne jaillit aucune lumière. L’événement de la révélation se passe dans le cœur de celui qui croit, tandis qu’au niveau du réel la naissance reste obscure, dans l’ambiguïté du signe. Lorsqu’on approche de la crèche sans cette lumière, on ne peut y découvrir que la présence d’un enfant abandonné.

   La grande peur que les bergers éprouvent à l’approche de l’ange est voulue par la structure littéraire de l’apparition. Elle vise toujours à mettre en relief l’origine divine et la transcendance du message. Ici, cette transcendance est soulignée aussi par l’opposition entre les ténèbres et la lumière. Mais en réalité il s’agit d’un seul et même événement : la lumière qui traverse la nuit n’est rien d’autre que la parole qui rompt le silence de l’esprit. Le voir dans la lumière n’est que le connaître par la parole et dans la parole.

   Il y a une différence profonde entre Luc et Matthieu dans la façon de comprendre l’ac­complissement de la prophétie messianique. Pour Matthieu, elle s’accomplit dans le fait ; pour Luc, au contraire, il n’y a pas à proprement parler de conjonction entre la parole et le fait puisque celui-ci reste, comme nous venons de le voir, au niveau du signe. Dès lors, pour que la parole s’accomplisse, l’événement d’une autre parole, non plus prophétique mais théophanique, et dans laquelle la prophétie soit jointe au signe, est nécessaire. C’est dans ce but que l’ange apparaît. Dans son message, nous retrouvons en effet la reprise de la parole du prophète condensée au verset 11 : « aujourd’hui un Sauveur vous est né » (Lc 2:11), mais aussi la révélation de l’accomplissement du signe : « vous trouverez un enfant emmaillotté et couché dans une crèche » (Lc 2:12). Or cette parole où la prophétie rejoint le signe est l’évangile.

   Il devient alors illusoire de vouloir retrouver l’événement au niveau des faits. À l’écoute du message de l’ange, on est tentés de se demander quand et où le Sauveur est-il né. Si on répond à Bethléem et au moment où Marie a accouché, il n’en reste pas moins qu’il s’agit toujours d’un lieu et d’un temps assumés par la nouvelle parole. Ainsi, l’aujourd’hui de la naissance du Christ se confond-t-il avec le temps et le dire de la parole de l’évangile.
   De plus, il est important de souligner que la naissance de Jésus prend aussi sa valeur de signe non au niveau du fait, mais seulement en tant que reprise par la parole. En effet elle est signe seulement et exclusivement par la crèche qui, comme nous l’avons vu, n’est qu’une image biblique. Ainsi même une rencontre avec la crèche – le signe – n’est possible que par l’écriture de l’évangile. Hors de lui, lorsque nous cherchons à aller en-deçà de sa parole pour retrouver un fait, nous ne retrouvons qu’un phénomène de naissance sans père.
   La naissance de Jésus en tant que Christ n’est donc qu’un événement de parole dans le cadre d’un langage. Pour ceux qui vivent en-dehors de la convention de ce langage, ils ne peuvent se rapporter au même référent que par des approches communes à tous les phénomènes. Comme toute parole, la naissance du Christ n’a d’existence que pour celui qui, faisant partie de la convention du langage, est apte à la saisir comme signe.



1982




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tj22052 : 06/12/2018