Sommaire
GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS
LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU
LECTURE DU RÉCIT DE LUC
L’annonce faite à Marie
- Introduction
- Le modèle biblique
- La question de Marie
- Le modèle érotique
- En-deçà de l’intention
- Le signe
La visite à Élisabeth
Le recensement
Couché dans une crèche
Les bergers
Le nom de Jésus
La purification
Un homme appelé Syméon
Le signe de la contradiction
L’épée
Anne la prophétesse
Marie gardait ces paroles
CONCLUSION
. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .
|
Le modèle biblique
En étroite relation avec l’annonce à la mère de Samson, la narration de Luc dépend aussi directement du récit narrant l’apparition de l’ange de Dieu à Gédéon. Cette parenté structurale confirme son caractère héroïque. Comme dans les modèles littéraires, chez Luc aussi l’ange de Dieu accomplit sa mission en trois temps : la salutation (Lc 1:28), l’annonce ( Lc 1:30-33) et la manifestation du signe ( Lc 1:36-37).
Puisque le but de mon étude n’est ni littéraire ni sémantique, je ne m’attarderai pas à poursuivre des recherches structurales comparatives entre le texte de Luc et ses modèles, je me limiterai seulement à relever les différences qui proviennent du contexte référentiel.
Je noterai, quant à la salutation, que dans les autres récits l’ange de Dieu est censé « apparaître » : on trouve l’expression « être vu » (ophte). C’est le verbe qui donne à une rencontre la possibilité d’être une manifestation divine, sans pour autant l’authentifier. C’est ainsi que les personnes par lesquelles l’ange de Dieu « est vu » doutent toujours de savoir si celui-ci est vraiment un ange ou un homme.
Or la rencontre de l’ange Gabriel avec Marie ne s’inscrit pas dans le cadre d’une vision, quoiqu’il s’agisse du même ange que celui qui était apparu à Zacharie (Lc 1:11). N’apparaissant pas, il ne peut s’approcher de Marie qu’en « entrant chez elle » (Lc 1:28). Mais alors son être-là est appréhendé comme celui d’un homme et non d’un ange. On peut penser que Luc s’éloigne du schéma dans le but de donner à l’annonce le caractère d’un fait concret et certain. Mais l’apparition aussi était censée être certaine au même titre que le fait, avec la différence qu’elle portait en plus en elle-même l’indice de son origine divine. En lui ôtant ce caractère, Luc risque d’induire en erreur le lecteur, puisqu’il signifie l’apparition de l’ange par un mot qui n’est pas tiré de son champ sémantique.
Cette discordance s’explique si on admet que Luc avait dans sa documentation des renseignements concernant la visite d’un homme qui avait osé entrer chez elle, alors qu’elle « ne connaissait pas d’homme » (Lc 1:31). Or Luc – c’est le but de son écrit – n’entendait pas nier les faits, mais seulement les relater à la lumière d’une interprétation théologique : il était vrai qu’un homme était entré chez Marie alors qu’elle était vierge, mais il s’agissait de l’ange Gabriel qui était venu pour lui annoncer l’événement de sa maternité. Ainsi se montre-t-il autant théologien avisé qu’écrivain scrupuleux et respectueux de ses sources. Il introduit le lecteur dans le récit par le biais de l’information, et si des doutes surgissent, il les dissipe par les paroles du visiteur qui répète à Marie la salutation que l’ange avait adressée à Gédéon : « Le Seigneur est avec toi ! » (Lc 1:28).
Le récit de Luc se sépare aussi des modèles au niveau du « signe ». Dans les apparitions prophétiques, le signe sert moins à donner une preuve de l’origine divine de la manifestation qu’à offrir une marque capable d’indiquer l’accomplissement du message. Dans les annonces de naissance, il a l’office d’assurer sur l’authenticité de sa vision et sur le bienfondé de son espérance. Le signe est donné par le mode extraordinaire du départ de l’ange. Ainsi, si la femme avait douté pendant l’apparition, ne sachant pas vraiment si elle se trouvait face à un ange ou à un homme, quand il disparaît tel un ange, elle trouve toute assurance qu’il lui a transmise la parole de Dieu.
Marie ne demande pas de signe. Elle pose certes à l’ange des questions, mais celles-ci concernent la possibilité de concilier la maternité avec son état de virginité et ne mettent pas en doute l’origine divine de l’annonce.
Lorsque l’ange la quitte, il s’en va de la même façon qu’il était venu, à la manière d’un homme et sans les prodiges qui accompagnent sa disparition dans les visions : dans l’apparition de Samson, l’ange disparaît en montant au ciel (anabaino) (Jg 13:20). Dans celle à Gédéon, on affirme qu’il « s’éloigne », mais on précise « de leurs yeux » ; de plus, il s’éloigne pendant que le feu du sacrifice « monte au ciel » (Jg 6:21). Dans le récit de Luc, nous retrouvons le même verbe « venir » ( ercomai), modifié par deux prépositions : « is » (vers) avec le sens de « venir », et « apo » (de) pour désigner le départ. Ainsi le mouvement de l’ange ne trace-t-il qu’une ligne horizontale, comme la venue et le départ d’un visiteur quelconque. La marque de distinction de sa personnalité d’ange ne repose que dans le contenu de son message.
|