Sommaire
GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS
LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU
LECTURE DU RÉCIT DE LUC
L’annonce faite à Marie
- Introduction
- Le modèle biblique
- La question de Marie
- Le modèle érotique
- En-deçà de l’intention
- Le signe
La visite à Élisabeth
Le recensement
Couché dans une crèche
Les bergers
Le nom de Jésus
La purification
Un homme appelé Syméon
Le signe de la contradiction
L’épée
Anne la prophétesse
Marie gardait ces paroles
CONCLUSION
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Le signe
Marie n’avait pas demandé de signe, et cependant l’ange le lui donne lorsque, à la conclusion de son discours, il lui dit « Voici, Élisabeth, ta parente, a conçu elle aussi un fils en sa vieillesse et celle qui était appelée stérile est dans son sixième mois » (Lc 1:36).
Au lieu d’appuyer la véracité de son message sur un prodige, l’ange se borne à faire comprendre à Marie sa conception virginale à la lumière de la maternité des femmes stériles, dont celle d’Élisabeth clôt la série. Cela confirme que Luc n’a pas eu l’intention de raconter un prodige, mais d’interpréter théologiquement, dans le cadre de la conception virginale, les données documentaires concernant la grossesse de Marie.
Pour Luc, la conception virginale est un événement messianique. Comme tel, il se trouve contenu d’avance dans des oracles ou dans des figures prophétiques. Or, pour connaître un événement messianique, il n’est pas besoin de prodiges, mais de « signes » qui indiquent l’accomplissement de l’image prophétisée : la reconnaissance de l’événement messianique s’appuie moins sur les prodiges que sur l’interprétation des Écritures.
Dans l’information que Marie fut trouvée enceinte, Luc a vu le signe de l’accomplissement d’un événement messianique annoncé par les grossesses des mères stériles, qui deviennent ainsi des figures prophétiques. Cette intuition, qui lui est propre, a d’une part poussé Luc à faire naître Jean, par un a priori théologique, d’une mère stérile, et d’autre part à considérer cette naissance comme la somme et l’aboutissement de toutes les naissances issues de mères stériles de l’ancien testament. En envoyant Marie chez Élisabeth, Luc entend donc montrer le fondement de son discours théologique.
Il convient ici de jeter un coup d’œil sur l’ensemble du récit. Luc n’a pas voulu défendre Marie des accusations portées contre elle par la polémique juive au moyen d’arguments extérieurs à l’interprétation théologique des faits. S’il a des buts apologétiques, ceux-ci sont confiés à l’interprétation théologique elle-même. Il se montre très lucide quant à l’impossibilité et à la stérilité, pour les chrétiens, d’insister sur une polémique qui serait poursuivie en-dehors de la foi, autrement dit à l’interprétation de la figure prophétique concernant la naissance virginale.
C’est pourquoi il a fait précéder l’annonce de l’ange à Marie par celle à Élisabeth. Marie ne parviendra à la reconnaissance du caractère messianique de sa grossesse que lorsqu’elle sera devant Élisabeth, dont elle accomplit l’image prophétique. Quant à nous, si nous cherchons à nous approcher des textes de la conception de Jean, nous serons interpellés par les deux personnages du récit, Zacharie et Élisabeth.
Celle-ci est la personnification de celui qui croit à la parole de l’ange ; c’est elle qui dit à Marie « Heureuse celle qui a cru, parce que les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur auront leur accomplissement » (Lc 1:45). Élisabeth nous invite donc à croire en Marie. Autrement dit, Élisabeth serait le fondement scripturaire qui nous pousse à voir dans le canevas de l’information concernant la grossesse de Marie le signe de la naissance authentique du Christ.
Zacharie, par contre, est la personnification de celui qui n’a pas cru à la parole de l’ange. Il porte sur la chair de son personnage la marque de son infidélité, puisqu’il est muet. Incroyants, nous serons nous aussi muets, puisque nous nous trouverons devant un fait – que Marie ait été trouvée enceinte – sans pouvoir l’inscrire dans une perspective messianique. Sans parole, nous ne pourrons parler qu’au niveau de la causerie, du bavardage et du bruit dépourvus de sens !
Sans doute avons-nous vécu pendant deux millénaires dans la peur de ce silence, c’est pourquoi nous avons longuement parlé, au point de vider la puissance opératoire de l’image offerte par Luc. Par un détour de l’histoire, nous nous sommes trouvés tout à fait muets ! Dès lors, le retour au document nous est apparu comme l’unique façon de parler à nouveau à partir du fait et mus par un étonnement qui jaillit de la découverte du vrai.
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