Sommaire
GENÈSE ET MÉTHODE D’APPROCHE DES RÉCITS
LECTURE DU RÉCIT DE MATTHIEU
LECTURE DU RÉCIT DE LUC
L’annonce faite à Marie
- Introduction
- Le modèle biblique
- La question de Marie
- Le modèle érotique
- En-deçà de l’intention
- Le signe
La visite à Élisabeth
Le recensement
Couché dans une crèche
Les bergers
Le nom de Jésus
La purification
Un homme appelé Syméon
Le signe de la contradiction
L’épée
Anne la prophétesse
Marie gardait ces paroles
CONCLUSION
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La question de Marie
À l’ange qui lui annonce qu’elle sera enceinte, Marie répond : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? » (Lc 1:34). Prise dans sa forme, cette question est identique à celles que posaient les femmes stériles aux envoyés de Dieu. Elle s’en distingue par le contenu, puisqu’elle s’enquiert de la possibilité de la conception par une vierge et non par une femme stérile. C’est cette différence qui marque, dans le texte de Luc, les limites de l’influence du modèle génétique juif, l’ouvrant aux perspectives du modèle mythique grec.
La question de Marie pose des problèmes insolubles aux exégètes, surtout eu égard à la condition sociale de Marie. En général, il apparaît étrange que Marie puisse trouver un obstacle à la maternité dans sa condition temporaire de jeune-fille vierge, puisqu’elle était fiancée à Joseph. S’il est vrai que, dans sa situation de vierge promise, elle ne connaissait pas d’homme, elle était en passe de le connaître et il était déjà désigné. Il est possible de penser que Marie a compris qu’elle devait devenir enceinte à l’instant même de la rencontre, mais pourquoi alors l’ange parle-t-il au futur ?
Les exégètes catholiques – à quelques exceptions près, mais dans les temps modernes – ont toujours lu l’affirmation de Marie comme indiquant un vœu de virginité : comment puis-je devenir enceinte – aurait-elle demandé – alors que je suis vierge consacrée ? Dieu délierait-il mon vœu ? Serait-il possible que je puisse devenir mère sans rompre ce vœu ? Il va sans dire que cette explication du texte pose plus de problèmes qu’elle n’en résout, car il est totalement anachronique de faire assumer un vœu de virginité par une jeune-fille juive. Et même si Marie avait fait un tel vœu avant ses fiançailles, ne s’en trouvait-elle pas déliée après, par la loi ? Si, par contre, elle avait prononcé ce vœu après la promesse de mariage, n’était-il pas nul et non avenu ? Quant à Joseph, comment aurait-il pu accepter ce vœu tout en se liant par un mariage solennel ?
Si on en reste au niveau de l’interprétation exégétique, le problème est sans issue. Il devient par contre soluble si on cherche à lire le texte dans le cadre de sa propre structure. Comme nous l’avons dit, Luc n’entend pas raconter des faits tels qu’ils se sont passés, mais ne cherche pas non plus à inventer une fable de toutes pièces. La structure mythique de son discours nous montre qu’il ne cherche qu’à interpréter des faits par un processus de sublimation symbolique à l’aide des modèles mythiques.
Si Marie n’est pas tout à fait une héroïne, elle n’est pas non plus une personne, mais un personnage auquel Luc confie la tâche de résoudre les problèmes qu’il se pose et qui surgissent d’un conflit entre les données de sa documentation et ses intentions d’écrivain. Selon ses informations, il savait que Marie avait reçu un homme chez elle pendant la période de virginité où elle ne devait pas fréquenter d’homme. Il savait aussi qu’elle avait été trouvée enceinte à l’issue de cette rencontre.
En conformité avec sa méthode et avec la structure du discours mythique, Luc veut interpréter les faits en les sublimant mais sans les nier. Il met donc dans la bouche de Marie l’affirmation « je ne connais pas d’homme » au moment même de la rencontre avec cet ange dans lequel d’autres avaient vu un séducteur, voulant préciser deux choses : d’abord que Marie avait reçu cet homme alors qu’elle était vierge, ensuite qu’elle n’a pas eu de rapport sexuel avec lui. Marie ne défend pas une virginité à laquelle elle se serait consacrée par vœu, mais sa virginité d’épouse promise que cette visite même mettait en doute. Elle n’a pas été séduite par l’étranger, puisqu’elle ne consent à devenir enceinte qu’à condition de garder son état de virginité et donc de fidélité à son promis. Elle n’est pas devenue mère parce qu’elle a cédé aux instigations d’un courtisan, mais parce qu’elle a cru à la parole d’un ange.
Les paroles de Marie deviennent ainsi claires, mais le personnage de la jeune-fille change, en raison d’un nouvel éclairage. Elle n’est plus mise en relief par les mères stériles de l’épopée biblique mais par l’attrait et le poétique des vierges mythologiques, mues par le désir du dieu.
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