ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Judas




Introduction




8- Approche historique de Jésus



PROLOGUE

INTRODUCTION
- La narration des évangiles
- Documents d’histoire ?
- Processus phénoméno-
  logique de la foi

- Jésus comme Christ
- Les évangiles entre raison
  et foi

- Les évangiles comme
  anti-histoire

- Fois
- Approche historique de
  Jésus

- Recherche historique sur
  Judas


REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVAN­GI­LES

DU JUDAS DE L’HIS­TOIRE AU JUDAS DES RÉCITS

ÉPILOGUE

ANNEXES


. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

   Le moment est venu d’aborder la recherche du Jésus historique. Le lecteur est à présent informé que les évangélistes ont voulu rapporter les événements de Jésus dans sa personnalité christique puisée dans les Écritures et non dans celle d’homme et de prophète, qu’ils ont refoulée. Mais ces informations sur Jésus n’ont pas été entièrement effacées. Il en est du Jésus des évangiles comme de toute construction ancienne adaptée à un bâtiment nouveau. Le dessin demeure, même enfoui, mais la forme et la fonction changent. Il est donc illusoire de chercher à connaître Jésus par une lecture exégétique, c’est-à-dire selon le sens du récit, car celui-ci conduit à Jésus-Christ, non au Jésus historique.

   Quelle méthode conviendrait-il d’utiliser ? Sans doute la méthode archéologique, qui procède à une analyse sémantique et syntagmatique du discours pour aboutir à sa disparition. Les évangélistes n’ont pas élaboré leur discours par bricolage, mais au moyen de règles logiques et rhétoriques.
   Tout d’abord, ils ont interprété les passages messianiques des Écritures pour chercher à réduire les informations sur Jésus à des schémas phénoménologiques imprécis, en les re-formali­sant pour qu’ils puissent supporter le sens du « Christ des Écritures ».

   Il importe, en première instance, de déstructurer le discours, en inversant le cheminement des auteurs qui, pour le constituer, sont allés de « Jésus » au « Christ des Écritures », aboutissant ainsi à « Jésus-Christ ». Nous partirons de « Jésus-Christ » pour revenir au « Jésus refoulé », en mettant entre parenthèses tout ce qui concerne le Christ et qui relève des Écritures. Ensuite, nous repérerons dans le récit l’existence de conflits de sens. L’analyse du discours conduit à relever des « apories », c’est-à-dire des ruptures de sens, dues non à des erreurs d’écriture mais à des tensions entre deux discours, celui concernant le « Christ », extrait des Écritures, et celui historique des informations sur « Jésus ». Souvent ce second discours, même refoulé, résiste au premier.
   Les apories, surtout, permettent de séparer les deux discours et de mettre en évidence leur caractère informatif. On agira ainsi sur la parole comme on fait sur des objets archéologiques : on les nettoie afin de retrouver leur état originel. À partir de ces résidus d’information, on tentera de reconstituer des faits. L’opposition de ces deux sens apparaît, de façon plus radicale, dans les deux passages où les écrivains se sont servis non des informations personnelles ou internes à l’Église, mais de celles de ses adversaires.
   Dès lors, juxtaposer les deux discours était insuffisant; il fallait aussi retoucher ces in­for­mations, les rendre capables de supporter le sens christique. Le Christ devait avoir accompli des guérisons miraculeuses. Quand, dans la tradition juive, les rédacteurs ont trouvé des accusations concernant une fausse guérison ou portant des signes de son origine magique, ils ont remanié l’information pour qu’elle puisse devenir un miracle de guérison. Ils y étaient aidés quand, dans une des figures du Christ, ils trouvaient une guérison miraculeuse qui s’offrait comme modèle.

   À titre d’exemple, citons le récit de la guérison du lépreux. Un lépreux demande à Jésus s’il veut le guérir, puisqu’il le peut. Jésus le guérit en le touchant de sa main. Mais aussitôt il s’emporte et le chasse, lui intimant de se rendre chez le sacrificateur pour être déclaré pur. Le lépreux s’en va, mais au lieu de se rendre chez le sacrificateur, il parcourt les places, déclarant à tout le monde qu’il a été guéri par Jésus. Quant à Jésus, il est contraint de demeurer dans les lieux déserts, car il n’a plus le droit d’entrer dans les villes (Mc 1:40-45).
   Le récit est traversé par des apories qui le rendent illisible. Pourquoi Jésus s’emporte-t-il contre le lépreux après l’avoir guéri et le chasse-il ? Pourquoi doit-il demeurer dans les lieux déserts, où sont relégués les lépreux auxquels il est interdit de se rendre dans les villes ? Peut-être parce que le lépreux, en proclamant avoir été guéri par Jésus, lui faisait une telle renommée que tout le monde l’aurait importuné ?
   L’analyse référentielle permet de découvrir que le récit joue sur le double sens du verbe « guérir » (katarizo) : « déclarer pur » et « guérir ». Le lépreux s’adresse à Jésus qui peut le déclarer pur, s’il le veut. Selon la loi juive, lorsqu’un lépreux s’apercevait que la plaie qui le rendait impur avait disparu, il devait se rendre chez le sacrificateur pour être déclaré pur. Le lépreux ne demande pas à Jésus de le guérir, mais de le déclarer pur, en lui épargnant le déplacement chez le sacrificateur qu’il redoutait peut-être.
   Jésus refuse, en lui intimant d’aller chez le sacrificateur, qui seul avait autorité selon la Loi. Quelqu’un touche de la main, mais qui ? Le texte permet une double lecture : soit Jésus touche le lépreux, soit ce dernier touche Jésus. Étant donné que Jésus s’emporte et le chasse, la logique veut que ce soit le lépreux qui touche Jésus, le rendant ainsi impur, et l’obligeant à se comporter comme tel pour la durée établie par la Loi.
   Le récit est donc la transformation par bricolage d’une accusation portée contre Jésus d’avoir été souillé par un lépreux, alors qu’il se prétendait auteur de guérisons miraculeuses.

   En conclusion, la possibilité d’une approche historique de Jésus est fournie par les apories du récit. Celles-ci tracent dans les récits une ligne de partage entre l’information et la christologie obtenue par l’interprétation des Écritures. Et puisque le sens christologique entraîne le refoule­ment du Jésus de l’histoire, il suffira de mettre entre parenthèse ce sens pour que l’information émerge de son refoulement.
   Sans doute l’information sera-t-elle altérée, mutilée dans son intégrité, présentant souvent l’aspect d’une ruine, mais elle pourra toujours être restituée, par comparaison avec d’autres résidus d’informations, ou par une mise en rapport avec les coutumes et les habitudes du temps, en un mot avec la vraisemblance historique. On procèdera donc à une reconstitution de caractère archéo­logique.



juillet 1987




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t602800 : 14/11/2017