ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisDe la naissance de Jésus-Christ
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L’évangile de Marc : le fils de Marie |
Le fils de Marie |
Sommaire Avertissement Introduction La naissance chez Paul L’évangile de Marc - Le fils de Marie - Hypothèses exégétiques - Luc : le fils de Joseph Matthieu : naissance du roi des juifs Luc : naissance du fils de Dieu La naissance du héros Jean : le samaritain Marie Joseph Les noms de Jésus L’évangile de Thomas Témoignages des juifs Jésus . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
Jésus s’était rendu au Jourdain en venant de Nazareth, en Galilée. On trouve dans l’évangile de Marc une autre allusion à ce lieu, lors d’un voyage de Jésus (Mc 6:1-6) : il s’agit de la première visite de Jésus à son village, donc de son retour après qu’il l’ait quitté pour se rendre chez Jean. Dès lors le récit de ce retour et celui du départ sont complémentaires, étroitement liés par une continuité biographique : quoique séparés dans le temps, cet aller et ce retour concernent la même personne et le même événement. En revoyant Jésus, les gens de Nazareth ne pouvaient pas ne pas se souvenir de ce qui s’était passé lors de son départ et des faits qui l’avaient précédé. En littérature les récits concernant le retour d’une personne – celui du héros par exemple – sont régis par le modèle rhétorique de la reconnaissance ; celui-ci permet de relier l’aspect d’une personne lors de son retour à l’image qu’on avait d’elle et par laquelle elle était connue avant son départ. Le lien de continuité entre les deux récits nous autorise à exploiter le second pour pallier les lacunes du premier et confirmer ses affirmations. Dans le premier récit, l’accusation de « fils de prostitution » portée contre Jésus est l’affirmation la plus importante sur son origine, mais il s’agit d’une information refoulée par le processus de sublimation du récit. Peut-on retrouver cette affirmation, mais rapportée de façon plus directe, dans le second récit ? Les Nazaréens, lorsqu’ils ont revu Jésus, se sont-ils rapportés, en le reconnaissant, à des faits, à des circonstances, susceptibles de montrer qu’il était un bâtard ? Il est nécessaire d’avoir le texte sous les yeux : « Et il se rendit dans sa patrie et se mit à enseigner dans la synagogue. Beaucoup de gens, en l’entendant, furent frappés de stupeur, en disant : d’où viennent ces choses en celui-ci ? Et quelle est la sagesse qui lui a été donnée ? D’où les prodiges qui s’opèrent par ses mains ? N’est-il pas le menuisier, le fils de Marie, frère de Jacques, de Joseph, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici avec nous ? Et ils se scandalisèrent à son sujet » (Mc 6:1-3). Mon attention est d’abord attirée par la stupeur des gens. Le texte emploie un verbe très fort : « exeplessonto » qui, dans son sens originel, désigne l’acte « d’abattre un arbre à coups de hache ». Transposé à une signification morale, il désigne le fait d’être frappé par quelque chose qui surprend fortement. Ainsi ce verbe signifie beaucoup plus que « être étonné », il suppose un coup qui ébranle l’esprit, on peut le traduire par « être frappé de stupeur », voire par « être estomaqué » (Mc 6:2). D’où la nécessité de rechercher, parmi les faits qui se sont produits à ce moment-là, celui qui a pu ébranler les témoins au point de les frapper de stupeur. La tradition exégétique croit pouvoir le trouver dans la qualité et la nouveauté de l’enseignement de Jésus : l’étonnement aurait été dû à l’opposition entre l’image primitive qu’ils avaient de Jésus – charpentier, homme qui n’avait pas fréquenté d’école – et celle d’homme instruit, de docteur et de prophète que Jésus leur offrait par son enseignement. Mais ses auditeurs n’ont pas cru à sa parole, ni au caractère prophétique de son enseignement ; cela montre que leur étonnement relevait de la honte plutôt que de l’émerveillement. Une lecture approfondie du texte permet d’entrevoir qu’ils étaient fortement choqués de ce qu’il ait osé revenir chez eux en maître et prophète. Le sens de leur interrogation apparaît à l’accent mis sur le pronom « celui-ci » (touto) : ils doutent de l’origine et de la valeur de la doctrine professée par « un tel homme ». Si nous nous arrêtons au fait que Jésus n’était pas un intellectuel mais un artisan, l’interrogation de ses concitoyens ne pouvait avoir qu’une signification : sa doctrine venait-elle de Dieu ou bien du diable, autrement dit du mensonge et de l’imposture ? C’est vers cette dernière hypothèse qu’ils penchèrent, car ils ne crurent pas à son prophétisme et même « eurent honte de lui », ce qui implique qu’ils avaient de lui une image tout à fait opposée à celle d’un rabbi ou d’un prophète. Constater qu’il se présentait comme un rabbi les consternait, ce qui est confirmé de façon certaine par la phrase « ils se scandalisèrent à son sujet » (Mc 6:3). Qu’avait fait Jésus pour susciter ce scandale ? Rien d’autre que de leur exposer une doctrine, d’oser se présenter comme un rabbi. C’était pour eux beaucoup plus qu’une surprise : son comportement était si choquant, si honteux, qu’ils n’auraient pu l’écouter sans frôler le péché. Mais qui était donc ce Jésus ? Quelle tare rendait sa personne si indigne que l’exercice de la fonction de maître et de guérisseur soit considéré par ses concitoyens comme une provocation scandaleuse ? Nous trouvons la réponse dans les paroles que ces mêmes personnes auraient prononcées : « n’est-il pas le charpentier, le fils de Marie ? » (Mc 6:3). Il y a là deux énoncés d’inégale valeur : le premier, sur « le charpentier », est indicatif ; le second, sur « le fils de Marie », est par contre qualitatif. La raison du scandale repose sur ce second énoncé. Il est vrai que Marc, en le faisant suivre des noms des frères de Jésus, tente d’en diminuer la portée, mais il s’agit d’une censure qu’il exerce sur sa propre documentation, celle-ci s’opposant au propos christologique de son récit. Quelle est en effet la signification réelle de l’expression « fils de Marie », sinon que Jésus était un bâtard ? Dans les civilisations anciennes – aussi bien dans le judaïsme qu’en Grèce ou à Rome – le nom d’une personne légitime était déterminé par référence à son père : « fils de untel » ; par contre les enfants illégitimes étaient nommés par référence à leur mère, Jésus était donc un enfant illégitime. L’attitude de ses concitoyens à son égard devient alors compréhensible. Je préciserai par la suite le conditionnement qui affectait le bâtard, aussi bien au niveau psychologique que social, pour l’heure il suffit de souligner qu’il était considéré comme un homme né du péché, donc marqué par une tache honteuse le rendant fondamentalement inapte à s’ériger en maître ou en prophète. Seule une intervention de Dieu susceptible de l’accréditer par un signe pouvait suppléer son absence de légitimité. Faute d’un tel signe, le bâtard qui revendiquait un rôle de maître ou de prophète ne pouvait être qu’un imposteur, un charlatan ou, pis encore, un homme possédé par les démons. Les questions que se posaient les Nazaréens peuvent être traduites en ces termes : « quelle sagesse cet homme peut-il bien avoir, s’il n’est que le charpentier, le "fils de Marie", ce bâtard dont nous connaissons bien les frères et le sœurs ? Et si c’est bien cet homme-là, d’où viennent alors les prodiges qu’il opère de ses mains ? » |
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t721000 : 18/12/2017