INCERTITUDES,
ou SANS CERTITUDES ?
Quelles « véritables » intentions ?
Daniel Schneidermann, comme plusieurs autres commentateurs, affirme que la série «
restera comme un des grands moments de télévision de la décennie » (
Le Monde, 31/3/97). Lui seul, cependant, attire notre attention sur «
cette remarquable habileté – involontaire ? - des œuvres portées par un souffle, une nécessité, une époque, ou les trois à la fois. Habileté ? Un film qui réconcilie si harmonieusement évêques et agnostiques, juifs et chrétiens, et dont on sort à la fois ébloui et incertain des intentions des auteurs, ne peut pas en être dépourvu ».
Cette habileté et cette incertitude sur les intentions de
Mordillat et
Prieur ont gêné certains téléspectateurs. L’un d’eux, bien que très intéressé, a écrit au
Monde : «
Oui, leur émission est ambiguë et on ne sait pas très bien le dessein poursuivi » (lettre d’
Alain Turpaut,
Le Monde, 14/4/97).
C’est aussi la principale critique que
Paul Thibaud formule à l’encontre du documentaire : «
On a vu des experts mal présentés... qui ne s’affrontaient pas directement, soumis à un pouvoir de donner et de couper la parole, [pouvoir]
qui restait dans l’ombre, puisqu’il n’était justifié par aucune problématique définie. Les médiologues devraient s’interroger sur la légitimité d’un pouvoir de mise en scène aussi étendu, avalisé sans états d’âme par la critique ».
Cette irritation est exprimée de manière paroxystique par un autre téléspectateur : «
Plus tard sur la même chaîne dans Arrêt sur images
, on vit enfin ceux qui jusqu’alors s’étaient contenté de tirer les ficelles... Avait-on le droit de manipuler des gens trop confiants qui sont entrés naïvement dans le jeu sans savoir où il menait ?... C’est dommage aussi pour les hommes éminents qui ont apporté leur concours à cette entreprise. Se rendent-ils compte maintenant qu’ils ont été piégés ? » (lettre de
Jean Meyer,
La Croix, 24/4/97).
Je proposerai
plus loin une explication à cette agressivité, qui n’est pas seulement le fait de quelques « fondamentalistes » attardés.
Au contraire, pour
Henri Tincq, «
les enquêteurs se retranchent totalement derrière la trentaine de spécialistes mondiaux, sans craindre de laisser le temps à ces experts... d’expliquer leurs recherches et leurs doutes » (
Le Monde, 24/3/97) ; et «
l’un après l’autre, car les réalisateurs avaient même renoncé, parmi toutes les facilités, à celle du débat » précise
Geneviève Jurgensen (
La Croix, 1/4/97).
Jean-Pierre Lemonon – un de ces grands experts – répond aux détracteurs de la série (dans
La Croix, 12/4/97) que «
d’emblée quelques règles du jeu ont été posées » entre les réalisateurs et les chercheurs choisis par eux. Il souligne à cette occasion que «
le contenu des émissions était donné par les chercheurs invités », qui devaient être «
reconnus par leurs pairs, indépendamment de leur appartenance confessionnelle ». Ces intervenants étaient interrogés séparément «
à partir de questions formulées par les deux cinéastes ». Quant au découpage de leurs réponses en brèves séquences, cela devait permettre à
Mordillat et
Prieur de «
marquer le film de leur empreinte » ; et s’il reconnaît qu’effectivement «
là se trouve la surprise du participant »,
Lemonon juge néanmoins que cela donne aux dites réponses à la fois faiblesse et force : «
faiblesse, car affirmation et argumentation ne se trouvent plus nécessairement liées ; force, car la réponse est mise en valeur ou nuancée par le point de vue légèrement différent d’un autre chercheur ».
Quant aux « véritables » intentions des auteurs de
Corpus Christi, ils s’en sont un peu expliqués dans chacune de leurs interviews : il s’agit d’une recherche sur le thème « l’écriture et la parole, l’écriture et la mémoire », qui était déjà au centre de leur précédent documentaire : «
Quel est l’objet de notre recherche, sinon l’écriture des Évangiles ? » (
Le Monde, 24/3/97). «
J’ai découvert à quel point ces textes étaient écrits » (
Libération, 25/3/97). «
Nous avons procédé à une analyse politique de la puissance de l’écriture » (
L’Humanité, 25/3/97). «
Pour comprendre notre démarche, il faut rapprocher deux choses : d’une part notre film documentaire sur Antonin Arthaud La Véritable Histoire d’
Arthaud le Mômo
, qui posait le problème de l’écriture et de la mémoire ; d’autre part un projet de fiction sur le suaire de
Turin » (
Télérama, 19/3/97). «
Le rapport entre Jésus et Arthaud, c’est l’écriture... Les amis d’Arthaud témoignaient sur lui, avec des opinions contradictoires. Et pourtant se formait, de lui, une image qui n’avait rien à voir avec la réalité » (
L’Humanité, 25/3/97). «
Ce texte sacré contient d’ailleurs tous les procédés littéraires qui sont devenus ceux de l’avant-garde du XX° siècle » (
Libération, 25/3/97). «
Enquête sur l’écriture des Évangiles » (sous-titre du coffret contenant les 5 livrets).
Mais ce thème ne ressort pas clairement des cinq premières émissions, bien qu’il doive faire tout particulièrement l’objet de la douzième partie, dénommée
Écriture (ou
Corpus), la dernière prévue de la série. Peu de commentateurs en ont parlé. Nous verrons plus loin pourquoi (
voir et
aussi).