RENAISSANCE
Incompréhension
Pour ma part, dès mon enfance baignée de lectures bibliques, j’ai ressenti une grande différence entre l’Ancien Testament (qui raconte des histoires terribles, banales ou merveilleuses, mais dont la narration est cohérente) et les Évangiles.
C’était d’abord pour la raison que
Pierre Geoltrain résume, d’une manière un peu hésitante, dans la cinquième partie (
Christos) : «
Dans le déroulement de la vie de Jésus, tel que nous le racontent les évangiles, donc [même dans]
sa biographie légendaire, Jésus n’a rien... n’a pas les... n’a pas tous les caractères du Messie ».
Il y avait aussi ce qu’un théologien protestant (
Olivier Abel) a eu l’occasion d’expliquer longuement dans
La Croix : «
À l’intérieur de chaque évangile, cette extrême disparité des figures de Jésus, entre le doux des béatitudes... et l’imprécateur jetant ses malédictions » (12/4/97)
(1). Et de fait,
Abel s’interroge : «
Un être aussi contradictoire est-il plausible ? ». Mais c’est pour répondre en théologien qu’il est : «
C’est justement parce que le Jésus [des évangiles]
est trop contradictoire, trop disparate et écartelé, trop improbable, que nous sentons la singularité de ce qui a dû se passer [et]
que Jésus devait être... bien autrement cohérent que tout ce que nous imaginons ». Je ne pouvais me satisfaire d’une telle réponse, que
Mordillat nomme à juste titre «
l’obstacle christo-centrique » quand il apparaît dans le travail des historiens : «
tendance des exégètes chrétiens à tout expliquer, même les impasses les plus obscures du texte, par la certitude indiscutable que Jésus est le Christ » (
L’Humanité, 25/3/97 ; voir aussi l’introduction commune aux cinq livrets
Corpus Christi).
(2)
J’avais surtout, et beaucoup plus profondément, le sentiment que les personnages, la trame même des récits, étaient quelque peu... « bizarres », qu’ils manquaient en quelque sorte de « consistance ». Ce qu’on ose à présent nommer publiquement «
invraisemblances », «
contradictions », et beaucoup plus précisément «
incohérences de la narration », «
effondrements du texte » ou «
apories », me gênait déjà. Et les textes évangéliques me restaient, d’une certaine manière, « étrangers », incompréhensibles.
(3)
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(1) Et Abel ajoute encore : « Rabbin talentueux... chorégraphe... maître du dialogue socratique... thaumaturge, guérisseur... Messie chassant les marchands du Temple, mais qui se laisse juger et condamner... moraliste subtil, tendre et cynique... » (La Croix, 12/4/97).
(2) Quel fut l’objectif du journal catholique La Croix en publiant ce protestant dans son « Forum pour prolonger Corpus Christi » côte à côte avec trois solides analystes catholiques (Lemonon lui-même, Jean Dujardin et Simon Legasse) ? Voulait-il donner à ses lecteurs le sentiment que les exégètes catholiques ne sont pas les plus « christo-centristes » ? Mais Abel est un littéraire, un théologien protestant, libre de commenter les évangiles à sa manière, et non un scientifique, un exégète ou un historien !
(3) À Libération, Mordillat et Prieur racontent de même leur expérience : « Il y a deux idées contre lesquelles il nous fallait nous révolter. La première, c’est que le texte est clair : Il ne l’est jamais. La seconde c’est que parce que c’est écrit, c’est la vérité, l’histoire » (25/3/97).