RENAISSANCE
Foi et intelligence
Il est intéressant de faire le parallèle entre les recherches de
Floris, la série
Corpus Christi et l’ambitieux « programme de politique culturelle » de
Galilée, dont j’ai parlé plus haut.
(1)
Des propos de
Mordillat et
Prieur sur leur documentaire, je retiens ces quelques passages: «
La forme peut paraître sévère et nécessite un effort de concentration, mais tant mieux... Face à des chercheurs qui réfléchissent à voix haute, le spectateur peut faire sa propre analyse... La mise en doute des textes... peut dérouter... Notre propos peut paraître radical, comme un manifeste, mais il n’est pas démagogique » (
Le Monde, 23-24/3/97). Ils évoquent pour moi ces propos tenus par
Galilée vers la fin de sa vie, dans une lettre à son ami
Benedetto Castelli : «
Il est manifeste... que le doute en philosophie [par là il faut entendre : "en sciences"]
est père de l’invention et qu’il ouvre la voie à la découverte du vrai » (lettre citée par
Geymonat,
Galilée, p. 260).
De même, mes rencontres avec
Floris me font penser aux discussions du jeune
Vicenzio Viviani avec le grand savant, telles que celui-ci les évoque dans la suite de la lettre que je viens de citer : «
Des objections m’avaient été faites par ce jeune homme... Elles m’obligèrent à tellement approfondir la question, dans un désir de le convaincre... qu’il m’arriva finalement, pour notre plus grand plaisir à tous deux, de découvrir, me semble-t-il, la démonstration concluante que j’enseigne désormais ».
Comme
Galilée autrefois,
Corpus Christi et la méthode de Floris visent tous deux, et contrairement à l’exégèse traditionnelle, à donner à leurs arguments «
une clarté perceptible à un grand nombre, là où, jusqu’ici, leur présentation en rendait la compréhension très difficile » (
Galilée, cité par
Geymonat,
ibid. p. 100). Et il semblerait que
Mordillat et
Prieur y soient parvenus : «
En quelques jours, l’exégèse des Évangiles, qui restait un exercice confiné à quelques milliers de personnes, est devenue une démarche très claire pour plus d’un million de français. Elle leur permet de comprendre en quoi les interprétations littérales et intégristes de ces textes n’ont aucun fondement ». (
Écran total, 3/4/97). Ainsi que le commente
Geymonat «
il s’agit de ne pas circonscrire la fonction libératrice de la raison au cercle étroit des spécialistes, mais de l’étendre à tous les hommes » (ibid. p. 100). Un tel résultat serait magnifique en soi.
Mais combien ont suivi la démarche de
Corpus Christi assez loin pour saisir le véritable thème du documentaire, c’est à dire la thèse de
Mordillat et
Prieur concernant « l’écriture et la mémoire » et « la puissance de l’écriture » (mis à part, bien sûr, ceux qui ne sont pas entrés du tout dans la problématique de la série...) ? La suite sera sans doute plus explicite sur ce point, et notamment la dernière partie prévue, dénommée
Corpus (ou
Écriture).
L’appréciation d’
Écran Total est d’ailleurs exagérée, comme le montre un commentaire de
Télé Poche sur la partie
Christos : «
La fin de cette série est toujours aussi peu accessible. Ces débats étymologiques passionneront les spécialistes » (24/3/97).
Pour conclure ce paragraphe sur un chant de victoire modeste mais réel, je citerai un exégète catholique : «
Tout en sachant que la foi chrétienne ne découle pas d’une reconstitution, si honnête soit-elle, de la vie de Jésus, il [le croyant, le catholique]
apprécie qu’on ait pu montrer que cette foi ne requiert pas la mise en veilleuse d’une certaine forme d’intelligence » (
Simon Legasse,
La Croix, 12/4/97).
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(1) Voir « Aboutissement ». Selon Geymonat, Galilée a écrit son fameux Dialogue des deux grands systèmes du monde – où il exposait pour la première fois ses arguments en faveur du système de Copernic – en toute conscience du risque d’interdiction encouru par le livre, même s’il ne se doutait pas de ce qu’il allait subir dans sa personne. Il espérait par une discussion ouverte gagner l’Église catholique à la « cause » des sciences nouvelles. « Mais l’Église [catholique] ne voulut pas être éclairée et préféra maintenir tels quels ses propres décrets, sans se préoccuper... de savoir de quel côté penchait la vérité scientifique » (ibid. p. 198). A mon avis, Galilée voulait aussi que son pays, l’Italie, ne reste pas à la traîne des bouleversements scientifiques et techniques qui s’amorçaient ; d’où son attitude très ambivalente vis à vis des savants allemands (tel Kepler qui l’a pourtant toujours soutenu).