RENAISSANCE
Exégèse et système de Ptolémée
Devenu adulte, ma gêne est devenue perplexité. Certes, les exégètes ne nient pas l’existence des « difficultés » du texte évangélique. Bien au contraire, chaque fois qu’ils en admettent une, ils l’analysent avec une attention et une érudition fantastique (cela se voit bien dans
Corpus Christi)
(1). Mais ils les étudient une par une, et non pas comme un problème général. Ainsi, ils répondent au coup par coup à chacune par quelque argument
ad hoc, sans vraiment se soucier de rendre cohérentes entre elles ces « solutions ». Et cela aussi, hélas, se vérifie à plusieurs reprises dans
Corpus Christi.
Par exemple, dans la troisième partie
Lemonon affirme : «
Le génie du recueil néotestamentaire, c’est de rassembler des textes qui, à lecture première se contredisent ». Et pourquoi est-ce qu’ils ne se contredisent plus « à lecture seconde » aux yeux de
Lemonon ? Parce que «
ce n’est pas sur la date de la Pâque qu’il y a débat dans la première communauté chrétienne, c’est sur le sens à donner, c’est sur l’accent théologique à mettre sur la mort de Jésus ». À mes yeux de scientifique (ingénieur passionné d’astronomie, d’histoire des sciences et de logique mathématique) l’édifice de plus en plus complexe, formé par ces « explications exégétiques », ressemblait à l’accumulation des « excentriques » et des « épicycles » dans le système de
Ptolémée (selon lequel le S
oleil et les planètes tournaient autour de la
Terre) : cela permettait tout au plus de «
sauver les apparences » au prix d’acrobaties et de subtilités indéfiniment croissantes. Je cherchais un «
Copernic » ou un «
Kepler » pour rendre le système plus simple, et surtout moins arbitraire.
Si la réponse de
Lemonon éclaire l’existence d’une « petite » contradiction sur la date de la mort de
Jésus, elle soulève par contrecoup des questions autrement plus redoutables. Comment se fait-il que la date réelle ne se soit pas imposée à la première communauté chrétienne comme une donnée incontestable, excluant d’office certaines interprétations, tout en en permettant d’autres – entre lesquelles il pouvait alors (et alors seulement) y avoir débat ? Le dernier repas du
Seigneur avec ses
disciples (repas de la Pâque, ou non ?) et le jour de la crucifixion du
Messie, mort pour nos péchés, ce ne sont quand même pas des « détails » (sur lesquels on sait que même des témoins oculaires peuvent se contredire). Cela ne s’oublie pas facilement, même si l’on n’a pas pour objectif «
l’exactitude d’un procès-verbal » selon l’expression de
Thibaud. Comment et pourquoi de tels événements de la vie de
Jésus ont-ils pu être oubliés ?
«
Comment montrer que cette histoire, tellement investie au cours des siècles par les interprétations religieuses, risque de disparaître sous elles ? » s’interrogent
Mordillat et
Prieur dans l’Introduction aux 5 livrets. Il y a pourtant une autre question : comment se fait-il qu’une quasi disparition de l’homme
Jésus sous les interprétations religieuses ait été possible ? J’aimerais savoir ce que leur a appris à ce sujet leur travail sur
Antonin Arthaud.
Certes «
les chrétiens n’ont dissimulé ni la honte de la croix, ni la fuite des apôtres » (
Cothenet,
La Croix, 24/4/97). Cependant, il faut bien reconnaître que ces deux faits ne pouvaient que très difficilement être dissimulés, d’autant que le second est cause du premier. Et sauf sur ces deux faits, c’est l’interprétation qui détermine le récit des événements. Une tare pire encore qu’une mort infamante et abandonnée de tous, a-t-elle pu être à l’origine de l’oubli de l’homme réel
Jésus ?
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(1) « Leur capacité d’analyse des contradictions, des impasses, des différences est d’ailleurs ravageuse » reconnaît Mordillat quand il s’adresse à... L’Humanité (25/3/97). À Libération (25/3/97), il tient un discours assez différent (voir la note 2).